The Good City
Urbanisme
Il s’agit de la plus grande opération d’aménagement de la capitale depuis le XIXe siècle : la ZAC Paris Rive Gauche semble avoir tenu ses promesses de modernité au sein de la Ville Lumière. Avec des signatures architecturales majeures et un prix au m² élevé, cela se fait parfois au prix d’une esthétique déroutante.
On peut tout à fait être parisien sans pour autant être haussmannien. Faut-il le démontrer ? Depuis quelques décennies, la capitale tente de se détacher du paradigme de la ville-musée pour repousser plus loin les frontières d’un renouveau urbanistique et architectural. En bref, la Ville Lumière innove encore. Dernier exemple en date : la Tour Wood Up, plus grand immeuble européen en bois, pièce majeure du quartier Paris Rive Gauche, dans le 13e arrondissement. Cette zone de 130 hectares, située à l’extrémité sud-est de la capitale, coincée entre la Seine et les voies ferrées du réseau d’Austerlitz, promet depuis plus de trente ans une modernité avant-gardiste en intramuros. Elle a vu se dresser un ensemble d’immeubles contemporains, jamais semblables, signés par des architectes de renom tels que Portzamparc, Foster ou Wilmotte, offrant un contrepoint au tissu haussmannien classique.
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D’une zone mal famée à un quartier très recherché
L’histoire démarre en 1991, alors que Jacques Chirac est encore maire de la capitale. Le Conseil de Paris approuve le plan d’aménagement d’une zone nommée à l’époque « Seine Rive Gauche », qui se développe autour de la nouvelle Bibliothèque François Mitterrand. Il s’agit de la plus grande opération d’aménagement parisienne depuis le baron Haussmann, visant à rééquilibrer l’offre de bureaux à l’est de la ville. Mais pour l’heure, le secteur reste un no man’s land en marge, coupant la capitale de sa banlieue.
« C’était très bizarre », se souvient Jérôme Coumet, maire du 13e arrondissement. « Le quartier se terminait rue du Chevaleret par un mur longeant les rails. Beaucoup d’habitants ignoraient que leur arrondissement s’étendait jusqu’à la Seine, car l’accès en était physiquement empêché. » Dans cette friche se dressaient quelques entrepôts et l’ancienne gare frigorifique de Paris, un lieu mal famé fréquenté par des prostituées et des dealers, où le réalisateur Cyril Collard tournera certaines scènes de ses Nuits Fauves. « C’était franchement glauque », tranche l’édile.
Sous la supervision de la SEMAPA, aménageur du site, les premiers logements sont livrés en 1996, année d’inauguration de la BNF. Puis viennent l’arrivée de la ligne 14 du métro et les premiers commerces et entreprises. Le quartier se structure autour d’un nouvel axe principal nommé Avenue de France, surplombant les voies ferrées. Certaines traces du passé industriel sont conservées et mises en valeur, comme la Halle Freyssinet, aujourd’hui occupée par l’incubateur de start-up de la Station F, ou les Grands Moulins de Paris, restaurés pour accueillir les étudiants de l’université Paris-VII. L’esthétique du quartier reste parfois déroutante, notamment avec les étonnantes Tours Duo de Jean Nouvel, emblèmes du secteur, qui réintroduisent l’urbanisme de grande hauteur dans la capitale, malgré la volonté de Paris de freiner ce type de développement.
Quartier Paris Rive Gauche : un lieu de destination et de mixité
Alors, peut-on parler de succès ? « Ce genre de quartier a besoin de temps pour s’épanouir », tempère Umberto Napolitano, architecte de Wood Up, qui reconnaît cependant la grande qualité des espaces publics et des bâtiments à l’échelle du quartier. « Le principal succès, c’est évidemment la reconnaissance des habitants », renchérit Jérôme Coumet.
Un signal fort est l’importante fréquentation du quartier, devenu un lieu de destination avec de nombreuses animations culturelles, des galeries d’art, le cinéma MK2, et plus largement tout le campus universitaire. La moitié des logements sont conventionnés (étudiants, logements sociaux, jeunes actifs, familles).
Paris Rive Gauche est le quartier le plus recherché de l’arrondissement
Pour l’accession à la propriété, Paris Rive Gauche est le quartier le plus recherché de l’arrondissement, avec des logements neufs avoisinant les 11 000 euros du m², l’innovation et la modernité ayant ici la cote. « Toutes les toitures sont végétalisées et accessibles aux habitants des immeubles », ajoute le maire.
Toutefois, la carence en espaces verts reste un point faible du secteur, avec des espaces publics souvent d’une minéralité excessive, notamment sur l’Avenue de France, où l’on ressent une certaine froideur. « C’est un quartier sur dalle, ce qui engendre de nombreuses contraintes techniques », justifie Coumet. « Nous avons réussi à créer un lien avec la Seine, ce qui n’était pas évident, mais surtout à construire un quartier au-dessus des voies ferrées. » Le site est effectivement complexe, avec un dénivelé important. « Il y a un niveau bas et un niveau haut ; c’est l’un des quartiers de Paris qui comporte le plus d’escaliers, après Montmartre », commente Umberto Napolitano. « Il faut s’habituer à ces différentes hauteurs pour bien l’appréhender. »
Relier Paris à Ivry-sur-Seine
L’objectif initial du quartier de Paris Rive Gauche était de relier Paris à la commune voisine d’Ivry-sur-Seine, séparées par plusieurs infrastructures, dont le boulevard périphérique. « Nous avons mené des travaux titanesques pour supprimer l’échangeur autoroutier et créer ce lien », explique Jérôme Coumet. « Nous aménageons des voies piétonnes, des pistes cyclables et le TZen, un tramway qui assurera la liaison. » Il est également prévu de prolonger la ligne 10 du métro – aujourd’hui limitée à la gare d’Austerlitz – pour desservir la ZAC jusqu’à Ivry-sur-Seine, bien que l’échéance reste à définir. « Le financement des études est prévu, mais tant que les pouvoirs publics ne lancent pas les travaux, nous ignorons quand ce sera effectif », déplore le maire.
Achevé à l’horizon 2030, le quartier Paris Rive Gauche est sur le point d’atteindre ses objectifs : « Il reste à urbaniser le secteur de la porte de Vitry, et nous réfléchissons aussi à l’avenir du périphérique pour envisager d’y construire des immeubles d’activités ou même une salle de spectacle », conclut Coumet.
À l’autre extrémité du secteur, le quartier d’Austerlitz connaîtra également de grands changements dans les deux prochaines années, avec un nouveau pont accessible au public, un jardin aménagé au-dessus d’un bassin ayant servi à dépolluer la Seine, et la gare, dont la rénovation sera enfin achevée, redonnant à l’édifice son unité originelle. Paris Rive Gauche attire de nombreuses délégations françaises et étrangères en raison de sa technicité (construction au-dessus des voies ferrées, construction bas carbone) et de son innovation, notamment en matière de nouveaux usages urbains (sports en ville, partage d’espaces communs). Une modernité que l’on espère ne pas voir vieillir trop vite.