« Dormez bien » ; « ancrez-vous » ; « respirez »… Ces promesses ne sont celles ni de compléments alimentaires, ni d’un établissement de soins, mais bien d’une marque de parfums. Créée en 2017 par Christophe Bombana, ancien de L’Oréal et d’Hermès, 100Bon s’est d’abord lancée avec un positionnement tourné vers l’ingrédient naturel et une démarche « less is more ».
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Mais lorsque Patty Canac, experte en thérapie olfactive et en aromachologie – l’étude de l’influence des senteurs sur l’esprit –, est venue à la rencontre du fondateur, une idée à la fois évidente et originale s’est imposée. « Patty m’a dit : “on va faire des parfums qui font du bien” », raconte l’intéressé.
Comment ? En faisant travailler aux parfumeurs de la société grassoise Robert et des compositions basées sur des synergies – c’est-à-dire des associations particulières d’huiles essentielles – répondant à des problématiques toutes contemporaines. Parmi elles, le besoin de s’oxygéner, la difficulté à s’endormir… et le stress, évidemment : best-seller de la marque, Lâcher-Prise favorise la détente grâce à un coeur actif de dix ingrédients, dont le magnolia et le jasmin.
Composée de cinq brumes parfumées à vaporiser « sur soi ou autour de soi », la collection aromachologie de 100Bon, lancée deux jours avant le premier confinement en mars 2020, marche si bien qu’elle a emmené la marque tout entière vers un nouveau cap, à la frontière du « sentir bon » et du « se sentir bien ».
« Avec le Covid, beaucoup de gens ont redécouvert l’importance première du bienêtre et, notamment, de la respiration qui vient avant tout le reste », constate Christophe Bombana, qui présente désormais ses produits comme des « parfums qui se respirent ».
L’aromathérapie bénéficie désormais d’une véritable assise scientifique
Le dernier en date, Breathe in Paris, est le fruit d’une collaboration avec Susan Oubari, pionnière en France d’une technique de respiration profonde nommée breathwork. Sa synergie de douze ingrédients, dont le sapin de Sibérie, la sauge sclarée et le bois de santal, promet « un rééquilibrage complet, mental, physique et émotionnel ». Et elle sent très bon, ce qui ne gâche rien.
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Odeurs de santé
À l’heure où le parfum fait l’objet d’une industrie mondialisée tournée vers sa seule dimension esthétique, l’idée qu’il puisse (aussi) servir à guérir le corps et l’esprit laisse parfois perplexe.
Cette vocation a pourtant largement fait ses preuves, rappelle Annick Le Guérer, historienne et autrice des Pouvoirs de l’odeur (éd. Odile Jacob) : « De l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle, les hommes se sont soignés grâce au parfum. C’était le premier médicament ! Cette réalité a été éclipsée par la fonction hédoniste du parfum, passée au premier plan il y a environ deux siècles, mais on voit qu’aujourd’hui le rôle thérapeutique du parfum revient. »
En phase avec les préoccupations écologiques de notre époque, l’aromathérapie est en plein essor : ravivant la pratique plurimillénaire du soin par les plantes, elle bénéficie désormais d’une véritable assise scientifique. En France, plusieurs services hospitaliers ont d’ailleurs intégré les huiles essentielles dans leurs protocoles, pour désinfecter et soigner les plaies, calmer les douleurs ou encore diminuer les effets secondaires des traitements du cancer.
En parallèle, de nombreuses études démontrent l’influence de certaines senteurs sur la psyché, en vertu de la connexion unique entre notre odorat et la zone limbique du cerveau, dont dépendent les émotions. L’industrie du parfum, évidemment, suit tout cela de très près.
Depuis les années 80, les sociétés de composition qui conçoivent et fabriquent la majorité des parfums du marché se sont mises à s’intéresser aux bénéfices émotionnels des fragrances et de leurs matières premières.
Dès 1982, le géant américain International Flavors & Fragrances commençait, par exemple, à cartographier l’ensemble de ses ingrédients en fonction des émotions qu’ils évoquaient à des panels de consommateurs à travers le monde. Cette base de données lui a notamment permis de répondre à des demandes de parfums « joyeux », comme Happy de Clinique ou La Vie est Belle de Lancôme.
Et les sociétés concurrentes ne sont pas en reste : ces dernières décennies, toutes ont développé des programmes visant à objectiver les vertues des odeurs – et donc à pouvoir les revendiquer –, en s’appuyant non seulement sur des données déclaratives, mais aussi sur les neurosciences. Bien que la plupart des développements soient encore guidés par des critères purement esthétiques, de plus en plus de produits parfumés entendent offrir du bienêtre à leurs utilisateurs, ce qui pousse les industriels à intégrer ces attentes en amont de la création.
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Chez le leader suisse Givaudan, les parfumeurs peuvent s’appuyer sur la plate-forme MoodScentz pour créer des compositions aux bénéfices émotionnels avérés, tandis que la technologie brevetée DreamScentz les aide à formuler des senteurs capables d’améliorer la qualité du sommeil.
Ce printemps, Véronique Gabai offre une nouvelle preuve que cette tendance est tout sauf marginale. Ancienne directrice d’Estée Lauder, elle dévoile, dans la marque qui porte son nom, une ligne baptisée Aroma : trois parfums croisant l’aromathérapie et la parfumerie, « aux résultats prouvés sur le bien-être émotionnel ». Heart favorise la confiance, Body augmente le bien-être physique, et Soul procure harmonie et équilibre.
« Autrefois, nous comprenions intuitivement le pouvoir des huiles essentielles, explique-t-elle. À travers l’observation et l’expérimentation, nos ancêtres utilisaient les plantes pour les bénéfices qu’elles apportaient, et l’odorat faisait partie intégrante du processus. » Mais notre époque préfère les chiffres à l’intuition.
Conçus par un docteur en aromathérapie, ces trois parfums ont été soumis à l’étude d’un groupe de neuroscientifiques pour mesurer leurs effets. Verdict : une « augmentation de l’interaction positive du cerveau jusqu’à 58 % ».
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Des hommes et des dieux
Comme portée par un grand retour aux sources, la parfumerie contemporaine ravive également la fonction sacrée du parfum – la première de toutes. « Le mot même de parfum, rappelle Annick Le Guérer, vient de “per fumum”, qui veut dire “à travers la fumée”. Le parfum originel, ce sont des substances qu’on brûle et qui s’élèvent vers le ciel, établissant un lien entre les hommes et les puissances surnaturelles. »
Notre époque pourrait renouer avec des approches sacrées du parfum
Myrrhe, benjoin, encens… ces ingrédients longtemps boudés par l’industrie de la parfumerie – précisément pour ces évocations religieuses – retrouvent grâce à ses yeux.
Tandis que la jeune marque Spiritum emprunte aux cérémonies chamaniques ses ingrédients fétiches, la maison de « parfums raisonnables » Olibanum – elle aussi créée en pleine pandémie – va jusqu’à faire de l’oliban, cette résine dont on fait l’encens, le fil conducteur de toutes ses créations.
« André Malraux avait dit : “Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas” , cite Annick Le Guérer. Et effectivement, on voit réapparaître des parfums à la résonnance sacrée. C’est un phénomène qu’on peut lier à la crise de civilisation que nous traversons : les gens se raccrochent à ces ingrédients chargés de spiritualité, qui véhiculent également une idée de grande préciosité. »
Baromètre de son temps, le parfum ne manque jamais de raconter les événements qui façonnent une société. Bouleversée par le Covid, ébranlée par l’urgence climatique et la guerre, notre époque en perte de repères pourrait renouer durablement avec des approches sacrées et oubliées du parfum afin de lui donner un supplément d’âme… et de sens.
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