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Bienfaits sur le corps et l’esprit, résonnances sacrées… Dans le paysage du parfum contemporain, de nouvelles marques renouent avec les vocations premières d’une pratique plurimillénaire. Un supplément d’âme doublé d’un vrai potentiel business.
« Dormez bien » ; « ancrez-vous » ; « respirez »… Ces promesses ne sont celles ni de compléments alimentaires, ni d’un établissement de soins, mais bien d’une marque de parfums. Créée en 2017 par Christophe Bombana, ancien de L’Oréal et d’Hermès, 100Bon s’est d’abord lancée avec un positionnement tourné vers l’ingrédient naturel et une démarche « less is more ».
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Mais lorsque Patty Canac, experte en thérapie olfactive et en aromachologie – l’étude de l’influence des senteurs sur l’esprit –, est venue à la rencontre du fondateur, une idée à la fois évidente et originale s’est imposée. « Patty m’a dit : “on va faire des parfums qui font du bien” », raconte l’intéressé.
Cologne mania
Indémodable depuis son premier jour à l’aube du XVIIIe siècle, l’eau de Cologne témoigne aujourd’hui encore des liens très étroits qui ont longtemps uni le parfum à la santé. Typiquement composée d’agrumes et d’aromates, elle allie une haute proportion d’alcool à des plantes aux bienfaits connus et reconnus, comme le citron (tonifiant), le néroli (apaisant), le thym (antiseptique), le petit‑grain (sédatif), la citronnelle (anti‑inflammatoire)… Frictionnée, ingérée, inhalée, ajoutée à l’eau du bain et parfois même injectée, elle guérit, désinfecte, lave et parfume : un vrai miracle, que Napoléon Ier(qui en raffolait) a contribué à populariser. Produit d’hygiène universel et transégérationnel, l’eau de Cologne se sophistique depuis les années 2000 et inspire au secteur du luxe des fragrances alliant fraicheur et naturalité.
Comment ? En faisant travailler aux parfumeurs de la société grassoise Robert et des compositions basées sur des synergies – c’est-à-dire des associations particulières d’huiles essentielles – répondant à des problématiques toutes contemporaines. Parmi elles, le besoin de s’oxygéner, la difficulté à s’endormir… et le stress, évidemment : best-seller de la marque, Lâcher-Prise favorise la détente grâce à un coeur actif de dix ingrédients, dont le magnolia et le jasmin.
Composée de cinq brumes parfumées à vaporiser « sur soi ou autour de soi », la collection aromachologie de 100Bon, lancée deux jours avant le premier confinement en mars 2020, marche si bien qu’elle a emmené la marque tout entière vers un nouveau cap, à la frontière du « sentir bon » et du « se sentir bien ».
« Avec le Covid, beaucoup de gens ont redécouvert l’importance première du bienêtre et, notamment, de la respiration qui vient avant tout le reste », constate Christophe Bombana, qui présente désormais ses produits comme des « parfums qui se respirent ».
L’aromathérapie bénéficie désormais d’une véritable assise scientifique
Le dernier en date, Breathe in Paris, est le fruit d’une collaboration avec Susan Oubari, pionnière en France d’une technique de respiration profonde nommée breathwork. Sa synergie de douze ingrédients, dont le sapin de Sibérie, la sauge sclarée et le bois de santal, promet « un rééquilibrage complet, mental, physique et émotionnel ». Et elle sent très bon, ce qui ne gâche rien.
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Odeurs de santé
À l’heure où le parfum fait l’objet d’une industrie mondialisée tournée vers sa seule dimension esthétique, l’idée qu’il puisse (aussi) servir à guérir le corps et l’esprit laisse parfois perplexe.
Et la séduction, alors ?
Si le parfum, par ses bonnes odeurs, a toujours joué un rôle de séduction, celui-ci est longtemps resté au second plan. Il a fallu attendre qu’un décret de Napoléon, en 1810, acte la séparation de la pharmacie et de la parfumerie pour que cette dernière s’empare pleinement de sa vocation esthétique. L’industrialisation du secteur, en diversifiant l’offre et en la rendant accessible aux couches populaires, a accéléré ce mouvement. Et l’avènement du marketing dans les années 70 a fini de transformer le parfum en objet de consommation, dépouillé des deux grands rôles fondamentaux qu’il avait tenus pendant des millénaires.
Cette vocation a pourtant largement fait ses preuves, rappelle Annick Le Guérer, historienne et autrice des Pouvoirs de l’odeur (éd. Odile Jacob) : « De l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle, les hommes se sont soignés grâce au parfum. C’était le premier médicament ! Cette réalité a été éclipsée par la fonction hédoniste du parfum, passée au premier plan il y a environ deux siècles, mais on voit qu’aujourd’hui le rôle thérapeutique du parfum revient. »
En phase avec les préoccupations écologiques de notre époque, l’aromathérapie est en plein essor : ravivant la pratique plurimillénaire du soin par les plantes, elle bénéficie désormais d’une véritable assise scientifique. En France, plusieurs services hospitaliers ont d’ailleurs intégré les huiles essentielles dans leurs protocoles, pour désinfecter et soigner les plaies, calmer les douleurs ou encore diminuer les effets secondaires des traitements du cancer.
En parallèle, de nombreuses études démontrent l’influence de certaines senteurs sur la psyché, en vertu de la connexion unique entre notre odorat et la zone limbique du cerveau, dont dépendent les émotions. L’industrie du parfum, évidemment, suit tout cela de très près.
Depuis les années 80, les sociétés de composition qui conçoivent et fabriquent la majorité des parfums du marché se sont mises à s’intéresser aux bénéfices émotionnels des fragrances et de leurs matières premières.
Dès 1982, le géant américain International Flavors & Fragrances commençait, par exemple, à cartographier l’ensemble de ses ingrédients en fonction des émotions qu’ils évoquaient à des panels de consommateurs à travers le monde. Cette base de données lui a notamment permis de répondre à des demandes de parfums « joyeux », comme Happy de Clinique ou La Vie est Belle de Lancôme.
Et les sociétés concurrentes ne sont pas en reste : ces dernières décennies, toutes ont développé des programmes visant à objectiver les vertues des odeurs – et donc à pouvoir les revendiquer –, en s’appuyant non seulement sur des données déclaratives, mais aussi sur les neurosciences. Bien que la plupart des développements soient encore guidés par des critères purement esthétiques, de plus en plus de produits parfumés entendent offrir du bienêtre à leurs utilisateurs, ce qui pousse les industriels à intégrer ces attentes en amont de la création.
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Chez le leader suisse Givaudan, les parfumeurs peuvent s’appuyer sur la plate-forme MoodScentz pour créer des compositions aux bénéfices émotionnels avérés, tandis que la technologie brevetée DreamScentz les aide à formuler des senteurs capables d’améliorer la qualité du sommeil.
Ce printemps, Véronique Gabai offre une nouvelle preuve que cette tendance est tout sauf marginale. Ancienne directrice d’Estée Lauder, elle dévoile, dans la marque qui porte son nom, une ligne baptisée Aroma : trois parfums croisant l’aromathérapie et la parfumerie, « aux résultats prouvés sur le bien-être émotionnel ». Heart favorise la confiance, Body augmente le bien-être physique, et Soul procure harmonie et équilibre.
3 questions à Jonathan Dufour - Fondateur de la marque Spiritum Paris
À la suite d’une retraite chamanique au Pérou en 2020, cet entrepreneur audacieux, forgé dans le milieu de la restauration à Lille, a lancé Spiritum, des fragrances « pensées pour harmoniser le corps, l’âme et l’esprit ». Le jeune trentenaire a su s’entourer de deux parfumeurs de renom, Bertrand Duchaufour et Philippe Paparella-Paris. Il vient d’ouvrir sa première boutique parisienne, en plein Saint-Germain-des-Prés.
Comment la dimension sacrée de vos parfums se manifeste-t-elle ?
Je suis passionné d’ésotérisme et, notamment, de numérologie, inspiration de ma première collection, Numérus. De manière concrète, mes parfums contiennent tous, en proportions variables, un accord de bois de santal, encens et sauge ; trois ingrédients récurrents dans les cérémonies chamaniques que j’ai vécues au Pérou, et dans les rituels spirituels en général.
Vous vous êtes lancé sans moyens ou presque. Comment avez-vous fait ?
Je n’ai jamais trouvé la solution pour réaliser mon projet, c’est elle qui est venue à moi ! Je crois beaucoup à la puissance de la pensée et de l’intention. Comme je n’avais rien au départ, j’ai fait « comme si » : j’ai sollicité des parfumeurs, travaillé sur mes idées… Et c’est finalement un ami qui m’a proposé, de lui-même, d’investir dans ma marque. C’est aujourd’hui mon seul associé, et j’en suis très heureux.
Quels sont vos projets ?
Je viens de lancer une ligne de bougies, coulées par la manufacture Trudon, en Normandie. Grâce à ma première adresse en propre, je compte bientôt proposer des ateliers et des consultations de numérologie, ainsi que des activités alliant parfum et spiritualité, comme des méditations olfactives.
« Autrefois, nous comprenions intuitivement le pouvoir des huiles essentielles, explique-t-elle. À travers l’observation et l’expérimentation, nos ancêtres utilisaient les plantes pour les bénéfices qu’elles apportaient, et l’odorat faisait partie intégrante du processus. » Mais notre époque préfère les chiffres à l’intuition.
Conçus par un docteur en aromathérapie, ces trois parfums ont été soumis à l’étude d’un groupe de neuroscientifiques pour mesurer leurs effets. Verdict : une « augmentation de l’interaction positive du cerveau jusqu’à 58 % ».
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Des hommes et des dieux
Comme portée par un grand retour aux sources, la parfumerie contemporaine ravive également la fonction sacrée du parfum – la première de toutes. « Le mot même de parfum, rappelle Annick Le Guérer, vient de “per fumum”, qui veut dire “à travers la fumée”. Le parfum originel, ce sont des substances qu’on brûle et qui s’élèvent vers le ciel, établissant un lien entre les hommes et les puissances surnaturelles. »
Notre époque pourrait renouer avec des approches sacrées du parfum
Myrrhe, benjoin, encens… ces ingrédients longtemps boudés par l’industrie de la parfumerie – précisément pour ces évocations religieuses – retrouvent grâce à ses yeux.
Tandis que la jeune marque Spiritum emprunte aux cérémonies chamaniques ses ingrédients fétiches, la maison de « parfums raisonnables » Olibanum – elle aussi créée en pleine pandémie – va jusqu’à faire de l’oliban, cette résine dont on fait l’encens, le fil conducteur de toutes ses créations.
« André Malraux avait dit : “Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas” , cite Annick Le Guérer. Et effectivement, on voit réapparaître des parfums à la résonnance sacrée. C’est un phénomène qu’on peut lier à la crise de civilisation que nous traversons : les gens se raccrochent à ces ingrédients chargés de spiritualité, qui véhiculent également une idée de grande préciosité. »
La pharmacie la plus ancienne au monde
Établie à Florence en 1221 par des frères dominicains, la pharmacie la plus ancienne au monde perpétue aujourd’hui encore l’esprit de ses fondateurs, fins connaisseurs des plantes médicinales qu’ils cultivaient à l’origine sur place. Ce sont eux qui ont lancé sa gamme de remèdes et de parfums, d’abord destinés à couvrir les besoins du couvent, puis commercialisés à partir de 1612. Longtemps demeurée un secret d’initiés, l’Officina Profumo‑Farmaceutica di Santa Maria Novella jouit désormais d’un succès international. En 2021, année de son acquisition par le fonds d’investissement Italmobiliare, son chiffre d’affaires s’élevait à 30 M €. Dans ses rayons, entre de sublimes fragrances – dont l’Eau de la Reine, composée en 1533 pour Catherine de Médicis – et une toute nouvelle ligne de cosmétiques baptisée Idralia, on trouve encore des produits ayant servi jadis à combattre la peste, dont son célèbre pot‑pourri, son vinaigre aromatique et son eau de rose.
Baromètre de son temps, le parfum ne manque jamais de raconter les événements qui façonnent une société. Bouleversée par le Covid, ébranlée par l’urgence climatique et la guerre, notre époque en perte de repères pourrait renouer durablement avec des approches sacrées et oubliées du parfum afin de lui donner un supplément d’âme… et de sens.
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