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Les frontières sont toujours des espaces intéressants. Des entre-deux qui échappent aux clichés, empruntant le meilleur des deux cultures qu’ils chevauchent. En sa partie la plus orientale, la Toscane conserve ses atouts charme: les rangs de cyprès, les belles villas, les vignes. Mais au contact de sa voisine Ombrie, elle se fait moins précieuse, moins maniérée.
C’est à Palazzone, sur cette frontière à la nature dense et sauvage, que Paolo et Giovanni Bulgari – respectivement petit-fils et arrière-petit-fils du fondateur de la maison de joaillerie – ont acquis des terres et créé le domaine viticole Podernuovo au début des années 2000.
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Équilibre toscan
À flanc de collines, ils ont replanté 26 hectares de vignes, bâti un très beau chai contemporain et démarré la production de leurs vins, avec une première cuvée sortie en 2009. Dans ce vignoble, se trouvaient deux maisons, dont l’une a été rénovée par Giovanni pour être sa résidence. Ce sera finalement une maison d’hôtes, qui vient tout juste d’être ouverte à la location.

Si, de l’extérieur, la Casale Godiluva possède tous les attributs de l’architecture locale – la pierre, les tuiles -, il en est tout autrement à l’intérieur. C’est un esprit urbain qui vient ici casser les codes, avec une immense pièce à vivre, offrant de larges vues sur les vignes et la forêt.
Dans cette région où l’homme a laissé une grande part de liberté à la nature, ont vécu les peuples les plus anciens d’Italie. C’est d’ailleurs non loin de là, côté Toscane, à San Casciano dei Bagni, que des archéologues ont découvert en 2020 des statues en bronze et des pièces de monnaie prouvant que Romains et Étrusques cohabitaient.

« Une découverte extraordinaire », nous apprend Francesca Morgantini, une enfant de la région qui a participé aux fouilles en tant que bénévole. Francesca est celle à qui Giovanni a confié les clés de sa maison. Grâce à elle et avec le concours d’If Experience, créateur d’expériences originales, un séjour à la Casale Godiluva se double de visites privilégiées et de découvertes hors du commun.
« Et si nous allions voir des voitures anciennes ? » Humm… le cliché pointe son nez. Mais pourquoi pas ? D’autant que l’on reste dans la famille Bulgari avec une collection constituée par Nicola Bulgari, autre petit-fils du patriarche Sotirio Bulgari.

Ces belles mécaniques, exclusivement des américaines des années 1930, 1940 et 1950, sont parfaitement restaurées dans leurs couleurs d’origine. Mais le plus intéressant est qu’elles n’ont pas été choisies pour leur luxe ou leur rareté, mais pour leur importance dans l’histoire de l’automobile.
Et lorsque tombe la proposition de faire un tour dans un coupé Cadillac de 1941, au diable le cliché, rouler dans une belle américaine sur une route de Toscane est une scène digne d’un film !
Paysans du futur
Retour en Ombrie, à Città della Pieve, cité médiévale garde-frontière, profitant d’une position stratégique au sommet d’une colline. C’est aussi le lieu de naissance, en 1446, du peintre Pietro Vannucci, surnommé donc à tort Le Pérugin, après avoir été déclaré citoyen d’honneur de la ville de Perugia (Pérouse).

Grand artiste de la Renaissance, contemporain de Léonard de Vinci et de Botticelli, qu’il a côtoyés à Florence, il a contribué aux fresques de la chapelle Sixtine. C’est dans un contexte bien plus modeste et paisible que peuvent s’admirer les cinq œuvres qu’il a réalisées dans sa ville natale.
En se promenant, on remarquera les maisons de brique typiques de la ville, ses ruelles étroites, dont la plus petite ne fait que 80 centimètres de large. Une épicerie, regorgeant de légumes, de bocaux et de bouteilles, attire notre attention. C’est le lieu de vente au public de la ferme Quintosapore (la cinquième saveur), située à moins de deux kilomètres.

Ça tombe bien, est prévue une visite de cette exploitation agricole qui ne ressemble à aucune autre. « À cheval entre Toscane et Ombrie, on est dans une région plutôt pauvre, que personne ne connaissait il y a quinze ans », explique Alessandro Giuggioli qui, avec son frère jumeau Nicola, dirige Quintosapore.
Il y a six ans, il quittait Rome et une carrière de producteur pour se consacrer à ce bout de terre, propriété de ses parents. Sur 65 hectares s’épanouit une formidable biodiversité et sont cultivées des centaines de variétés, en croisant de nombreuses techniques d’agriculture : régénérative, biodynamique, agroforesterie, et d’autres moins connues utilisant le biochar (charbon végétal), l’EM Technology (l’usage de micro-organismes) et même la physique quantique !

Ici, on cherche – et on trouve – des solutions innovantes au réchauffement climatique, par exemple en plantant des paulownias à la pousse ultrarapide afin d’apporter de l’ombre sur les cultures. Enfin, tout ce qui n’est pas vendu frais est transformé sur place, mis en bocaux et expédié dans le monde entier.
Car la finalité de ce gigantesque travail est bien sûr de mieux manger, de retrouver l’intensité de saveurs oubliées. Inoubliable donc, le déjeuner entièrement végétal, dégusté sur place et accompagné d’un vin maison fait à partir du plus ancien cépage italien, le Malmaturo, que Quintosapore est le seul à cultiver.
Folie architecturale
Dernier site à découvrir, et non le moindre : La Scarzuola. Il faut, pour l’atteindre, grimper et grimper encore sur une route sinueuse traversant une dense forêt de châtaigniers. Au sommet se trouve un couvent du XIIIᵉ siècle dédié à saint François d’Assise.

C’est en le contournant et après avoir cheminé sous une tonnelle fleurie que se révèle une tout autre histoire. Celle d’un architecte, Tomaso Buzzi qui, après avoir acquis en 1954 le couvent et son domaine, a eu l’idée folle de créer une cité idéale, composée de sept théâtres.
S’inspirant d’un livre de 1499, l’Hypnerotomachia Poliphili, il a imaginé un délirant assemblage d’architectures antique et classique, de miniatures, d’amphithéâtres, de sculptures surréalistes, de symboles, de passages secrets…
Mort en 1981, Tomaso Buzzi n’a jamais vu son œuvre achevée. C’est plus tard, à partir de 1999, en suivant ses nombreux plans et dessins, que son neveu, Marco Solari, a poursuivi son œuvre.
C’est même lui qui assure les visites en italien, son partenaire Brian Pentland effectuant celles en anglais. Émouvant de voir ces deux hommes, désormais âgés, prendre soin de ce domaine.
Il est temps de partir, de quitter ce rêve, et de les laisser à leur isolement au sommet de cette route, maîtres d’un royaume fantaisiste dont nul ne sait encore ce qu’il adviendra après eux…
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