The Good Business
En partant d’une idée simple – un espresso de qualité à la maison –, la marque de Nestlé a bâti un succès mondial. La production très sophistiquée des milliards de capsules se fait exclusivement en Romandie. Exploration du savoir‑faire helvète appliqué au café.
Verts pâturages et vastes forêts, crêtes des montagnes du Jura à l’horizon… Et au milieu coule même une rivière ! Bienvenue dans la multinationale Nespresso. En lisière d’Orbe, bourg médiéval dans la bucolique campagne du canton de Vaud, la filiale de Nestlé a bâti son tout premier site de production. Une usine, une vraie, avec machines allemandes et savoir-faire suisse.
A l’arrière du bâtiment arrivent par wagons des sacs de café du monde entier dont les grains seront méticuleusement transformés et conditionnés dans les fameuses capsules adoptées par les amateurs sur tous les continents. Un concentré de mondialisation, une fabrication ultralocale pour un marché ultraglobal.
Après des débuts laborieux – la création de la filiale remonte déjà à 1986 –, le décollage des années 2000 sera spectaculaire. Ce sont les « années Clooney » et, aujourd’hui, environ 800 boutiques fonctionnent dans 80 pays, avec quatre nouveaux marchés ouverts en 2018 : Croatie, Serbie, Slovénie et Malte.
Julia Lauricella, ingénieur agro-alimentaire et docteur en mécanique des fluides dirige l’usine d’Orbe avec l’onctuosité de la crème sur un café bien serré. « J’avais fait un premier passage ici il y a dix ans pour développer en secret ce qui est devenu la gamme Vertuo, raconte-t-elle. Puis je suis partie fabriquer de la glace. Mais j’ai toujours voulu revenir au café. »
Un contrôle qualité quasi obsessionnel
Julia Lauricella adore faire le tour des installations, depuis le quai de déchargement jusqu’au laboratoire de contrôle des produits finis. Ce jour-là, les grains de café vert arrivent du Zimbabwe, après un transit par le port d’Anvers, où Nespresso centralise ses approvisionnements depuis treize pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique. Le contrôle qualité, quasi obsessionnel, commence à Orbe dès le déchargement des sacs : une tour de nettoyage élimine les corps étrangers éventuels, comme des petits cailloux. Avant que ne soit mesurée la taille, la densité ou l’humidité du grain de café vert, qui sera ensuite dégusté, au nez et en bouche, légèrement torréfié pour conserver ses caractéristiques d’origine.
Dates clés
• 1986 : création de Nestlé Nespresso.
• 1995 : lancement des machines et capsules professionnelles.
• 2003 : inauguration, à Orbe (Suisse), du premier centre de production.
• 2009 : ouverture d’une deuxième usine à Avenches (Suisse).
• 2014 : création de la technologie et de la gamme Vertuo.
• 2018 : inauguration d’un centre de R&D mondial dans le nouveau centre de production de Romont (Suisse).
• 2019 : lancement (hors France) de capsules Starbucks pour la grande distribution.
Des panels de quatre volontaires se relaient chaque matin, tous employés à d’autres postes. Ils sont eux-mêmes évalués – des pièges sont parfois glissés entre un café du Pérou et un autre du Costa Rica – dans un genre de championnat interne de la dégustation. Même souci du détail dans la zone de torréfaction, la plus vaste, où la température et la durée varient selon l’origine, et dans la salle des moulins où chaque blend a sa mouture précise.
Sur les lignes automatisées de la fabrication des capsules, leur bombage est millimétré et leur étanchéité vérifiée dans un bain d’eau. « Tout le processus est réalisé sous atmosphère contrôlée pour préserver les arômes et protéger le café torréfié de l’oxygène », conclut Julia Lauricella, dont l’œil traque la poussière de produit moulu qui traînerait dans les coins.
Après, il faut du savoir-faire, de la technologie et du temps – souvent de trois à quatre ans – pour développer de nouveaux profils aromatiques et créer des gammes de capsules, comme la récente Master Origin. « En moyenne, nous réalisons 25 prototypes avant de trouver le bon, assure Alexis Rodríguez. Et il reste à passer les tests consommateurs. Si bien qu’à la fin plus personne ne sait vraiment qui a été à l’origine de la nouveauté ! » Karsten Ranitzsch ajoute : « Nous travaillons avec l’ambition de faire chaque fois quelque chose qui n’existe pas, c’est quand même plus intéressant que de copier. »
Un accord avec Starbucks de 7 Mds $
La concurrence s’est exacerbée ces derniers mois, à coups d’investissements colossaux : Coca-Cola a racheté Costa, la famille allemande Reimann empile les marques Senseo, L’Or, Maison du Café, Jacques Vabre… Pour consolider sa place de leader, Nestlé a répliqué en signant un accord de commercialisation mondial avec Starbucks, un deal à 7,15 milliards de dollars.
Le marché nord-américain est, notamment, très disputé. Nespresso y a lancé la ligne Vertuo pour le conquérir. Un moyen également de recréer le système fermé original, alors que les capsules classiques ont été largement copiées et diffusées par des marques de la grande distribution, à la suite de l’impossibilité pour Nespresso de protéger ses brevets.
Autre levier de fidélisation des clients, des formules d’abonnement sont proposées en France depuis la fin de l’année dernière, rappelant celles de la téléphonie mobile : la machine à 1 euro contre l’équivalent de 19 ou 29 euros de capsules chaque mois pendant un an.
« C’est une réponse à la multiplication des dosettes compatibles, reconnaît Arnaud Deschamps, le directeur général de Nespresso France. Jusqu’à maintenant, en faisant des promotions sur le prix de nos machines, nous financions l’extension du parc au profit de nos concurrents. L’enjeu, c’est aussi d’entrer dans les codes de l’économie d’usage qui se répandent. D’ailleurs, nous réfléchissons déjà à des offres d’abonnement sans machine… ».
Chiffres clés
• Chiffre d’affaires : le groupe Nestlé ne communique pas sur sa filiale Nespresso, dont les résultats sont consolidés dans la division « Autres activités ». Celle-ci a réalisé 12,3 Mds CHF (10,8 Mds €) de CA en 2018 sur un total de 91,4 Mds CHF (80,4 Mds €).
• Effectifs : 13 600 collaborateurs dans le monde, dont 70 % dans le réseau des 792 boutiques ouvertes dans 80 pays (chiffres à fin 2018). Les centres de production suisse emploient environ 1 200 salariés.
• Approvisionnement : Nespresso travaille avec plus de 100 000 caféiculteurs répartis dans 13 pays.
• Produits : 25 cafés (hors éditions limitées) dans la gamme originale, 26 dans la gamme Vertuo. 15 cafés permanents pour la consommation hors domicile (restauration et entreprise).
Lire aussi