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Souffrant souvent de sa réputation de ville désorganisée et dangereuse, Naples a entrepris de redorer son blason. Ses efforts portent leurs fruits et le tourisme bat maintenant des records. Mais faute d’inspirer confiance, la métropole italienne pâtit encore d’un important manque d’investissements.
Si Milan se revendique comme la seule ville italienne de dimension européenne, Naples, pour sa part, se veut ouverte sur la Méditerranée et internationale depuis toujours, la seule ville « mondiale » de la péninsule. Rien que ça ! Son nom peut avoir une résonance sulfureuse, et son implication dans des affaires – pendant l’opération Mani pulite (« Mains propres ») en 1992, et la crise des déchets, qui atteint son apogée en 2008, mais n’est toujours pas totalement réglée – a encore entaché sa réputation.
Toutefois, depuis peu, plusieurs indicateurs montrent que la volonté de la ville de se développer porte ses fruits. « Aujourd’hui, Naples est la ville d’Italie où le tourisme et la culture progressent le plus. Des activités sont lancées par de “vrais” entrepreneurs, c’est-à-dire pas seulement pour décrocher des contrats publics grâce à des accointances politiques, mais pour développer des entreprises qui oeuvrent pour le territoire au sein de la communauté. Nous sommes la troisième ville du pays pour la création de start-up et la première pour les tournages télé et cinéma, nous avons même dû créer un bureau rien que pour les autorisations de tournage… détaille Luigi De Magistris, maire de Naples depuis 2011. Nous avons montré que, malgré les critiques et nos fragilités, bien que maltraités et discriminés par les organisations centrales, nous nous développons et nous atteignons des objectifs importants ! »
Une histoire riche d’innovations
Jusqu’au début du XXe siècle, Naples a été une capitale culturelle européenne influente qui a multiplié les innovations. Le premier quotidien italien, le Diario Notizioso, y a vu le jour en 1759. L’école militaire Nunziatella, créée en 1787, est la plus ancienne académie au monde encore active.
La première ligne de train en Europe y a été inaugurée en 1836, ses 10 kilomètres reliant Naples à Portici. L’Osservatorio Vesuviano, fondé en 1841, a été le premier observatoire vulcanologique créé dans le monde. Naples était aussi une étape incontournable du « Grand Tour », ce voyage au long cours des jeunes Européens fortunés aux XVIIe et XVIIIe siècles.
C’est d’ailleurs le tourisme qui porte la croissance actuelle de la ville et de ses environs. Pendant longtemps, les touristes qui visitaient Pompéi, Herculanum, Sorrente ou Capri ne passaient que quelques heures à Naples et n’y dormaient pas ; ils prennent à présent le temps de s’y arrêter.
Les musées, les églises, les cloîtres, rénovés et aménagés, mais aussi les quartiers typiques et les restaurants gastronomiques attirent les touristes du monde entier. Sans oublier le roman d’Elena Ferrante, L’Amica geniale, publié en 2011, qui a ravivé l’attractivité de Naples.
« Nous vivons un moment de redécouverte de la ville. Il y a tellement de choses à y voir que souvent les gens ne voient la mer qu’après plusieurs jours », souligne Roberto Barbieri, directeur de l’aéroport international de Capodichino. En 2019, l’aéroport, qui dessert 106 destinations, dont cinq nouvelles, recevra pas moins de 10 millions de passagers.
S’y ajoutent 1,5 million de croisiéristes. Outre les grands bateaux de croisière, le port voit passer près de 7 millions de passagers de et vers les îles du golfe (Capri, Ischia, Procida), la Sicile, les îles Eoliennes et la Sardaigne. « Nous menons plusieurs projets de front pour améliorer aussi bien la qualité du bord de mer pour les passagers que l’activité du port commercial », explique Pietro Spirito, président de l’autorité portuaire. Et d’énumérer : « le port a été dragué, il peut désormais recevoir des porte-conteneurs de plus grande capacité. Un entreposage de gaz liquéfié va être créé. Une nouvelle station maritime va bientôt accueillir la billetterie des bateaux pour les îles, et les magasins généraux vont être transformés en musée de la mer et des migrations. Le môle San Vincenzo va être transformé en promenade, et les mégayachts pourront s’y amarrer. »
L’arrivée de touristes dans la ville a augmenté de près de 8 % l’année dernière contre 1 % en moyenne pour l’Italie. Entre Pâques et le 25 avril, jour de la fête nationale italienne, les hôtels ont affiché un taux de remplissage de 90 %, du jamais vu dans la cité parthénopéenne. Cette envolée a incité les maires de Naples et de Salerne à augmenter la taxe de séjour, aussi bien sur les nuits d’hôtel que sur les locations afin de contribuer au renflouement des caisses de leurs communes.
Explosion des locations Airbnb
Cette médaille a un revers que les Napolitains commencent à éprouver. Le nombre de locations type Airbnb a augmenté de 337 % en 2017 – les chiffres de 2018 ne sont pas encore connus. Conséquence de la gentrification rapide du centre, les locataires des appartements et des boutiques sont expulsés pour laisser place à des locations Airbnb et à des échoppes de souvenirs made in China…
La municipalité étudie des mesures strictes qui limiteront leur nombre et favoriseront l’implantation d’artisans locaux. « Nous devons décongestionner le centre, éviter le marché noir et les locations sauvages, faire que la croissance économique profite à tous et surtout aux jeunes et à leur formation pour qu’ils puissent trouver du travail », poursuit Luigi De Magistris. Pour miser durablement sur le tourisme, Naples doit améliorer considérablement son offre de services, notamment de transports.
Outre deux lignes de métro (1 et 6), une ligne de métro-train (2) et des funiculaires, la ville dispose d’un réseau de lignes ferroviaires qui desservent le centre et les communes à l’ouest et à l’est, jusqu’à Pompéi et Sorrente. L’Ente Autonomo Volturno (EAV), qui gère ces lignes de train, était au bord de la faillite en 2015, quand Umberto De Gregorio en a pris les rênes.
« Pour des raisons d’investissements inconsidérés et de choix politiques, EAV avait 750 millions d’euros de dettes, un patrimoine de 10 millions d’euros et 10 000 employés quand je suis arrivé. Après un financement de l’Etat et de la Région de 591 millions d’euros, nous avons 100 millions de dettes, 100 millions de patrimoine et 2 800 employés », détaille Umberto De Gregorio.
Depuis trois ans, EAV investit pour moderniser les rails et ses trains, dont la particularité est d’entrer en ville et de transporter aussi bien les touristes que les banlieusards. L’histoire d’EAV est symptomatique des problèmes chroniques de la ville : manque de gouvernance et manque d’investissements.
« Naples est la capitale d’un Mezzogiorno en crise dans un pays qui est lui- même en crise, remarque Marcello D’Aponte, avocat et professeur de droit du travail à l’université Frédéric-II et à l’université d’Amiens. Le manque de transfert de fonds publics vers le secteur privé efface le potentiel de la ville qui est parmi les plus jeunes d’Europe. »
Le secteur de la construction est probablement le plus touché. « La situation est dramatique, les contraintes urbanistiques sont vieilles, les processus bureaucratiques sont tellement longs que les fonds européens qui ne sont pas dépensés dans les délais sont récupérés par l’Europe ! reconnaît Federica Brancaccio, présidente de l’ACEN (association des entreprises de construction de Naples) et de la Federcostruzioni. Les entreprises et les savoir-faire existent, mais il faut inspirer confiance aux investisseurs. La Région a trouvé les millions d’euros qui ont sauvé EAV et ses projets, preuve que les choses avancent quand les politiques s’impliquent ! »
Certains projets sortent de terre
Malgré ce contexte, des projets sont réalisés, à l’image de la très belle gare du train à grande vitesse à Afragola, à une quinzaine de kilomètres du centre-ville, dessinée par Zaha Hadid Architects. Et les initiatives originales se multiplient, comme, par exemple, le 137A Créé en 2008 par Carla Celestino (architecte), Luciano Romano (photographe) et Gabriella Grizzuti (graphiste), ce laboratoire multidisciplinaire et espace de coworking accueille différents créateurs, événements, ateliers et concerts dans un lieu mythique de Naples qui a vu passer Andy Warhol, Joseph Beuys, Paolo Conte ou Chet Baker.
« Naples est la ville où tout pourrait arriver. Il faudrait multiplier les académies qui impliquent les entreprises, semblables à celle qu’a créée Apple, mêler la formation et la culture, donner envie aux jeunes, créer des emplois, faire des partenariats public-privé. Mais pour cela, il faut que le gouvernement joue le jeu à tous les niveaux », reconnaît Vito Grassi, président de l’Union des industries de Naples et de la Confindustria Campania.
Un pôle aérospatial dynamique
Un secteur industriel se distingue, porté par ses savoir-faire : le pôle aérospatial de Pomigliano d’Arco, à une vingtaine de kilomètres de la ville, rassemble fabricants et équipementiers. Leonardo (anciennement Finmeccanica), fabrique des fuselages pour ATR et Airbus. Son AeroTech Campus mène des travaux de recherche et de numérisation des processus industriels.
Avio Aero, créé en 1939 par Alfa Romeo, est à présent une filiale de General Electric Aviation qui fabrique des composants et assure l’assemblage et la révision de parties de moteurs. « Les Américains savent décider et investir rapidement quand il y a de la passion et de l’expertise, cela nous permet de nous développer et de créer des emplois », constate Gioacchino Ficano, directeur du site Avio Aero.
Fort de 1 200 employés, le site crée 100 postes nouveaux en 2019, mais il peine à recruter dans la seule région les talents qu’il recherche. D’autres industries se développent aux alentours. Fiat Chrysler, installé dans d’anciens ateliers d’Alfa Romeo à Pomigliano, produit essentiellement des Fiat Panda.
Quant au groupe Adler, dirigé par Paolo Scudieri, il est le deuxième producteur mondial de composants plastiques pour l’automobile et le transport. Au fil des siècles, les Napolitains ont vu passer les Normands, les Angevins, les Aragons, les Bourbons, les Français… Ils ont su garder leur identité et leur dialecte. « Ils ont surtout gardé l’amour de leur ville, leur ouverture, leur résilience et leur capacité à être optimistes », conclut Luigi De Magistris. N’est-ce pas le plus important ?
Chiffres clés
• Population : avec près d’un million d’habitants, Naples est la 3e ville d’Italie derrière Milan et Rome. La « métropole », qui inclut les 92 communes de la banlieue, compte 3,1 millions d’habitants, ce qui fait d’elle la 2e ville d’Italie et la 9e européenne. Son centre historique, qui compte plus de 1 000 églises, est le plus grand centre-ville classé au patrimoine mondial de l’Unesco (1995).
• Economie :
– La métropole compte 239 000 entreprises de toutes tailles, dont 12 % dans le secteur de la construction et du bâtiment. Ensemble, ces entreprises ont exporté pour 5,347 Mds € (2016).
– Le principal vecteur de la croissance est le tourisme, qui a progressé de 7,7 % en 2018. Depuis 2010, la présence touristique à Naples a progressé de 108,7 %.
– Fin 2018, la ville comptait 358 start-up, soit la moitié de toute la région Campanie (733). – Le revenu imposable par habitant (déclarations de 2016) est de 21 338 € pour la ville et de 18 210 € pour la métropole.
• Emploi : le taux de chômage est de 24 % (juin 2018), soit plus du double du niveau national (11,2 %). La part de la population des 15-64‑ans présente sur le marché du travail est de 50,2 %, alors qu’elle est de 74,1 % à Milan et de 71,4 % à Turin. Le taux de chômage des moins-de-25-ans frôle les 55 %, le taux national est de 32,6 %.
• Education : la ville compte 7 universités, dont 3 publiques, notamment l’université Frédéric-II, l’université laïque la plus ancienne du monde et l’une des universités publiques les plus anciennes.
• Transports :
– En 2019, le port multimodal de Naples aura accueilli 8,4 millions de passagers, dont 1,5 million de croisiéristes, 3,5 millions de passagers pour les îles du golfe (Capri, Ischia, Procida) et 3,4 millions pour la Sicile, les îles Eoliennes et la Sardaigne.
– L’aéroport Capodichino dessert 106 destinations, dont 5 nouvelles en 2019 (Amsterdam, New York, Dubaï, Oslo, Lisbonne). Le nombre de passagers a doublé en 5 ans pour atteindre 10 millions.
– La gare d’Afragola, dessinée par Zaha Hadid Architects et inaugurée en juin 2017, accueille les trains à grande vitesse (TAV) qui relient le nord de l’Italie à Naples et à la Calabre.
– L’Ente Autonomo Volturno (EAV), opérateur du réseau ferroviaire urbain et métropolitain, transporte 55 millions de passagers par an, banlieusards et touristes, jusqu’à Pompéi et Sorrente.
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