Aventures
The Good Culture
Il n’a rien à prouver. Peut-être parce qu’il a déjà prouvé beaucoup ou tout simplement parce que ça ne lui ressemble pas. Morgan Bourc'his est triple champion du monde d’apnée, dans son expression la plus pure, en poids constant sans palmes. Capable de rester immergé plus de sept minutes sans oxygène et de descendre à plus de 90 mètres de profondeur sans aucun matériel, l’athlète s’inscrit dans la lignée des plus grands apnéistes mondiaux. Se revendiquant d’une pratique raisonnée et progressive, il emporte également avec lui le fantasme du plongeur effréné, inlassablement attiré par les abysses. Loin, très loin de cette dangereuse obsession pour les profondeurs, rencontre avec un apnéiste à couper le souffle.
Bien qu’originaire de Touraine, Morgan Bourc’his se définit lui-même comme un « apnéiste de la Méditerranée ». Crète, Sicile, Grèce… Chaque été, enfant, il sillonne les abords de la Mare Nostrum avec sa famille. Très tôt il va être fasciné par ce mélange de cultures, frappé par ce carrefour des civilisations que représente l’arc méditéranéen. Il ne le conscientise que bien plus tard, mais c’est là aussi que le jeune tourangeau va réaliser ses premières plongées, ses premiers pas dans l’immensité.
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Morgan Bourc’his, apnéiste de la méditerranée
Enfant et adoslescent, Bourch’is se dirige pourtant vers le basket. « Je rêvais de devenir sportif de haut niveau », se souvient-il. Avec un père professeur de sport et des prédispositions naturelles à la pratique, il devient très vite excellent et parcourt la France pour concourir dans les championnats nationaux. Mais il lui manque quelque chose. C’est en colonie UCPA (Union nationale des Centres sportifs de Plein Air) que le souvenir de la plongée et le goût de méditerranée lui reviennent.
C’est en pratiquant des stages de plongée bouteille que je redécouvre ces sensations d’immersion ».
De retour à Poitiers dont il est originaire, il décide de s’inscrire dans un club, qui dispose lui d’une section apnée. C’est une révélation. Bientôt étudiant en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives), il s’oriente tout naturellement vers la physiologie du sport, et choisit comme sujet d’étude la physiologie cardio-vasculaire de l’homme en apnée. Indépendant et scrupuleux, Morgan Bourc’his veut faire les choses bien et s’approcher au plus près de la mécanique du corps qui se met en place une fois privé d’oxygène. Durant deux ans, l’étudiant devient son propre cobaye et l’apnéiste qui sommeille en lui remonte à la surface.
Diplômé, c’est tout naturellement qu’il s’installe à Marseille et qu’il s’engage dans une carrière professionnelle. Il ne lui faudra pas longtemps pour exceller dans la pratique. À 27 ans, il obtient sa première sélection en équipe de France et il dénote dans le paysage du freediving. Calme, maîtrisé, progressif, Bourch’is n’a rien d’une tête brûlée. Si les fonds marins l’attirent, ils ne l’envoûtent pas. Morgan ne fantasme pas les abysses comme Jean Reno dans Le grand bleu. On est très loin aussi d’un Jacques Mayol et de son record de 214 mètres. L’apnée n’est plus la même qu’à l’époque. On ne dévore plus les mètres, tracté d’un poids et l’on ne se hisse plus jusqu’à la surface aidé d’un ballon gonflable.
Loin de « The Deepest Breath »
Son apnée à lui est celle dite du poids constant sans palmes. Comprenez sans aucun matériel. Une descente en chute libre le long d’un câble qui fait office de fil d’Ariane et une remontée à la brasse, uniquement. C’est la version la plus pure, la plus absolue du freediving. Palier par palier, année après année, l’athlète va ainsi se hisser dans les strates du niveau international. Record de France en 2007, record d’Europe en 2012 et un premier titre de champion du monde en solo (après celui en équipe de 2008) l’année qui suit. Il devient l’un des plus grands dans sa catégorie et réalise son rêve d’enfant.
Tout au long de sa carrière, Morgan Bourc’his ne subira « que » deux syncopes. Un exploit pour beaucoup mais une évidence pour le scientifique qu’il continue d’être et qui refuse catégoriquement qu’on banalise ce phénomène. Cette perte de connaissance spectaculaire semble pourtant monnaie courante dans le freediving de haut niveau, si on en croit les images de « The Deepest Breath », sorti sur Netflix en 2023.
Ce documentaire dans lequel on aperçoit notre frenchie retrace l’histoire de la championne italienne Alessia Zecchini, déterminée à établir un nouveau record du monde, quoi qu’il en coûte. On y voit la jeune femme enchaîner les syncopes les unes après les autres. Les yeux révulsé, à deux doigts d’avaler sa langue, l’apnéiste passe plus de temps en état d’hypoxie qu’il n’est possible de l’imaginer. Pour notre Français, c’est un documentaire presque difficile à regarder, loin de l’idée que lui se fait de l’apnée. Mais surtout loin de l’image qu’il veut promouvoir auprès du grand public.
Morgan bourch’is, comme beaucoup d’apnéistes français, a très à cœur de démocratiser la pratique. Ouvrir les portes du freediving au plus grand nombre et démocratiser ce sport trop souvent fantasmé. Si à son niveau, ses sponsors lui permettent aujourd’hui de vivre de sa passion, le sportif a conscience d’être une exception qui confirme la règle.
Un état de conscience modifié
S’il est fier de ses titres de champion, ce qu’est longtemps venu chercher l’apnéiste dans sa pratique est pourtant assez éloigné de la quête du record : « J’ai toujours vu l’apnée comme un voyage intérieur ». En quête d’introspection, cet adepte du yoga pratique une apnée plus méditative. A la recherche d’ un « état de conscience modifié » que seule cette immersion extrême peut permettre, il ne veut pas succomber pour autant à l’ivresse des profondeurs. Le cœur qui chute, les vaisseaux qui se dilatent mais aussi la lumière qui disparaît ou le milieu qui se densifie : le ralentissement général l’anime, sorte d’état de veille.
En 2019, Morgan Bourc’his prend pourtant sa retraite après un dernier titre de champion du monde. Une décision qui surprend tout le monde tant l’athlète semble encore en avoir sous le pied. C’est pourtant une décision qui lui ressemble : tout jeune papa, il n’est plus question pour lui de prendre les mêmes risques. En parcourant le monde grâce aux compétitions d’apnée, il va avoir la chance d’explorer la faune et la flore maritime mais aussi nager avec les plus grands mammifères marins.
Protéger cette faune et cette flore va devenir son nouveau but, son nouveau mantra. L’apnéiste utilise aujourd’hui son image pour informer et sensibiliser le grand public à protéger l’environnement aquatique. Si l’apnée est évidemment toujours dans sa vie, il nous confie troquer volontiers un quatrième titre de champion du monde contre une rencontre avec un requin blanc. Maestro.