Horlogerie
Figures indissociables des marques, les égéries et autres ambassadeurs ont également réussi leur incursion dans le monde des montres, corseté, feutré et réputé pour son conservatisme. Revue de détail des stratégies des puissances régnantes d’une industrie horlogère bien décidée à sortir de sa zone de confort.
Le saviez-vous ? Le premier véritable partenariat de l’ère moderne du monde horloger a été noué en 1904 entre le joaillier Louis Cartier et le pionnier de l’aviation brésilien Alberto Santos-Dumont. Une alliance « d’utilité publique » qui a permis, deux ans plus tard, à l’aviateur de pouvoir lire l’heure à son poignet tout en établissant le premier record du monde d’aviation.
Dans le détail, le célèbre aviateur est parvenu à franchir en vol une distance de 220 mètres en 21 secondes à 2 mètres du sol à la vitesse de 41,3 km/h. Une prouesse pour l’époque et une fierté pour Cartier qui, encore aujourd’hui, affiche avec une certaine fierté le modèle Santos au nom du pionnier de l’aviation.
Les « testimony » de Rolex
Plus de vingt ans plus tard, en 1927, un autre exploit va venir définitivement poser les jalons de la relation entre égérie et horlogerie, en l’occurrence la traversée de la Manche réussie par la nageuse Mercedes Gleitze… avec l’emblématique Rolex Oyster à son poignet. Une épreuve résolument périlleuse – doux euphémisme – d’une durée de quinze heures et quinze minutes, et une montre en parfait état de marche au terme de celle-ci.
Un épisode fondateur de la marche triomphale de Rolex. Considérée comme le leader mondial de l’horlogerie de luxe, la marque à la couronne – auréolée selon les estimations de Morgan Stanley d’un chiffre d’affaires de 3,9 milliards de francs suisses (3,5 milliards d’euros) en 2019 – fuit la lumière. Une culture du secret qui prévaut non seulement sur ses livres de compte – n’étant pas cotée en Bourse, Rolex n’est pas tenue de dévoiler publiquement ses résultats –, mais également dans le modus operandi du « recrutement » de ses ambassadeurs.
Une terminologie d’ailleurs réfutée par Rolex. « Nous préférons l’appellation de “témoignages” (ou “testimony” en anglais) qui met davantage en exergue cette notion de réciprocité plutôt que la posture contemplative de l’ambassadeur. » Fin de citation.
Le leader du secteur ne souhaite pas s’épancher davantage, si ce n’est pour marteler que « le talent est une condition sine qua non pour intégrer la grande famille Rolex, au premier rang de laquelle figure le tennisman Roger Federer. Entre autres. »
Beckham, Lady Gaga, Nadal…
Une famille à laquelle appartient également la manufacture Tudor, considérée comme la « petite sœur » de Rolex, car mise sur orbite en 1926 par Hans Wilsdorf, lui-même fondateur de la maison mère en 1905. Et qui a fait sensation en 2017 en s’adjoignant les services de David Beckham et Lady Gaga.
Deux personnalités aux antipodes – l’un fait office de gendre idéal quand l’autre est passée maîtresse dans l’art de la provocation. Un partenariat détonnant de prime abord. « Dans la culture populaire d’aujourd’hui, personne n’incarne mieux l’audace que Lady Gaga. Personne n’avait vu venir Tudor lorsque nous avons annoncé ce partenariat et, finalement, celui-ci s’est révélé extrêmement pertinent aux yeux du monde », explique une porte-parole de la marque. Un choix fort qui a enjoint la concurrence à prendre davantage de risques. Comme Hublot qui a lié son destin à Kylian Mbappé afin de coller à la vision d’une manufacture résolument contemporaine.
Autre place forte de l’industrie, Richard Mille a également pris le parti d’une tête de gondole – ou partenaire, selon la terminologie consacrée et souhaitée par la marque – connue mondialement du grand public en la personne de Rafael Nadal. Avec une particularité, et non des moindres au sein de cette relation : l’implication du champion espagnol dans l’élaboration des produits estampillés Richard Mille.
Une rareté dans le milieu. « Nos partenariats sont fondés sur une confiance mutuelle. Nous nous sommes évertués à réussir le mariage parfait entre chaque partenaire et sa montre, développe Tim Malachard, directeur marketing de Richard Mille. C’est dans cet ordre d’idées que nous avons créé un bracelet Velcro avec revêtement intérieur en cuir pour la montre de Rafael Nadal, afin de favoriser son confort au porté. »
Richard Mille a également la particularité de ne pas faire de publicité sur ses partenaires. « Nous n’avons jamais utilisé l’image de nos partenaires pour en faire la publicité. Nous mettons en lumière uniquement nos produits sur les visuels publicitaires. »
Des produits toujours plus inclusifs
Une stratégie à rebours de celle de Breitling qui préfère privilégier le collectif et la force du nombre en ce qui concerne ses prestigieux représentants. Et jouer la carte du « cool » dans une industrie, comme évoqué en préambule, réputée pour son conservatisme. « La pierre angulaire de notre stratégie a consisté à positionner Breitling comme une marque de luxe, certes, mais une marque de luxe que l’on pourrait qualifier de décontractée et d’inclusive », appuie Tim Sayler, directeur marketing de la manufacture helvète.
« Je n’aime pas forcément les codes en vigueur dans le monde du luxe, mais je trouve que Breitling, au-delà de son prestige, jouit d’une image dynamique, jeune et axée vers l’extérieur qui correspond davantage à mes valeurs », appuie le quintuple champion olympique de biathlon Martin Fourcade, membre de l’une des nombreuses « squad » Breitling.
« Nos ambassadeurs font toujours partie d’une équipe constituée de trois personnes pour mettre en lumière cette notion d’inclusivité », renchérit Tim Sayler. Exemple concret : la « Cinema Squad », composée du trio Charlize Theron, Adam Driver et Brad Pitt.
Statham, Johnson et Stallone chez Panerai
Mais nul besoin d’être au firmament de l’industrie pour disposer de têtes d’affiche aussi clinquantes. Comme en atteste le (très) joli coup de la maison italienne Panerai, propriété de Richemont, qui a réussi à attirer dans ses filets l’acteur Jason Statham.
« Panerai sera effectivement au poignet de Jason Statham lors de son prochain film, avec, notamment, la Submersible Carbotech de 47 mm. Panerai a souvent été visible au poignet d’acteurs comme Sylvester Stallone, Dwayne Johnson, Ryan Reynolds, dans de nombreux films tels que Expendables. Sylvester Stallone a d’ailleurs été l’un des premiers à porter Panerai et à faire connaître la marque aux États-Unis », s’enthousiasme Charlotte Corte Gerlach.
https://www.youtube.com/watch?v=wrwqnUTyXDw
La responsable marketing de la firme italienne qui rappelle, à l’instar de Breitling, l’engagement fort de Panerai pour la planète et la protection des océans. La maison transalpine soutient d’ailleurs Mike Horn depuis plus de vingt ans, dans l’ensemble de ses expéditions.
À petits pas
Toutefois, le recours aux égéries et autres ambassadeurs de prestige n’a pas toujours été la norme au sein de l’industrie horlogère. Certains irréductibles n’ont embrassé cette stratégie que très récemment, à l’image de Vacheron Constantin. En effet, la manufacture suisse – la plus ancienne du monde, en activité depuis 1755, sans interruption – n’a franchi le Rubicon qu’en 2018, et avec une certaine mesure dans le choix de ses « talents », comme l’explique le directeur marketing de la firme, Laurent Perves.
« Par leur sobriété et leur élégance, nos montres portent en elles cette identité formée sur l’équilibre subtil entre expertise technique et recherche esthétique. Pour incarner cet esprit, nous avons choisi de collaborer avec des talents dont la personnalité s’inscrit, non pas dans le paraître, mais dans le savoir et la passion. Chacun d’eux est à la fois singulier et visionnaire, entièrement dévoué à son art. »
Un discours peu ou prou similaire à celui en vigueur chez Omega, pour qui le concept d’ambassadeurs n’a pas toujours été une évidence. « Les termes d’ambassadeur et d’ami de la marque sont relativement nouveaux, du moins d’un point de vue historique. Mais l’idée de bâtir des relations avec des célébrités, des artistes, des designers, des explorateurs, des aventuriers, des esprits pionniers a toujours fait partie intégrante de la marque », détaille le CEO du numéro deux mondial du secteur, Raynald Aeschlimann.
Et de conclure dans un esprit de concorde auquel pourraient souscrire tous les fantassins de l’industrie horlogère. « Nous considérons que tous nos clients sont nos ambassadeurs. » Une belle manière de mettre en valeur chaque (heureux) propriétaire de montre…
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