×
titane-montres-reportage-1-56
titane-montres-reportage-1-56
jchassagne

Reports

Montres : le titane au panthéon des nouveaux matériaux de luxe

Reports

Métal aux nombreuses propriétés, le titane (et ses alliages) fait l’objet d’applications dans des domaines aussi divers que l’aéronautique, la chimie, le médical ou le militaire. Il a aussi pénétré la haute horlogerie et habille des montres de luxe.

Avant de le retrouver sur des montres, sa découverte se déroule en plusieurs étapes et le titane reste une curiosité de laboratoire jusqu’au XXe siècle. En 1791, William Gregor, pasteur et géologue amateur britannique, identifie l’élément à partir de sable noir (aujourd’hui connu sous le nom d’ilménite) prélevé dans l’aber Helford, en Cornouailles. En 1795, Martin Heinrich Klaproth, professeur de chimie analytique à l’université de Berlin, identifie le même métal en analysant cette fois le rutile, un autre minerai, et finit par lui donner son nom actuel de titane, s’inspirant alors de la mythologie grecque.

La dénomination se révèle particulièrement pertinente au vu des propriétés remarquables du titane. Ce dernier présente des propriétés mécaniques comparables à celles de l’acier, mais pour une densité deux fois plus faible et un point de fusion plus élevé déterminé à 1 670 °C. Sa tenue à la corrosion des milieux naturels, des milieux acides et des fluides corporels est exceptionnelle. Dans des conditions normales de température, il possède une bonne ductilité – désignant la capacité d’un matériau à se déformer sans se rompre.

Il est par ailleurs amagnétique et biocompatible, c’est-à-dire qu’il possède la faculté d’être toléré dans un organisme vivant. Ce n’est qu’au XXe siècle que l’Américain Matthew Albert Hunter réussit à obtenir du titane sous sa forme métallique pure. Dans les années 30, William Justin Kroll met au point un procédé d’élaboration économique du titane à partir de calcium et de tétrachlorure de titane – le « procédé Kroll » – et démontre, en 1946, sa capacité de production commerciale.

Composant entre 0,4 % et 0,6 % de la croûte terrestre, le titane est le 9e élément chimique le plus abondant sur terre et se classe 4e dans la liste des métaux, après le fer, l’aluminium et le magnésium. On l’extrait principalement de deux minerais, l’ilménite – les réserves mondiales sont estimées en 2019 à 770 millions de tonnes – et le rutile, dont les ressources s’élèvent à 47 millions de tonnes. Les gisements les plus importants se trouvent en Chine, en Australie, en Inde, au Brésil et en Afrique du Sud.

Le titane, lorsqu’il est pur (dioxyde de titane), est utilisé essentiellement pour des applications en chimie, et plus particulièrement dans l’industrie du pigment, où il sert de colorant blanc pour le papier, les peintures et les médicaments. Le procédé Kroll permet la production de titane métal aussi surnommé « éponge de titane ». Ce procédé reste néanmoins complexe et nécessite des installations lourdes et une gestion rigoureuse des aspects sécuritaires et environnementaux. Par ailleurs, les différentes étapes de transformation engendrent des déchets qui peuvent être en partie recyclés en matière première sous forme de lingots.

C’est pourquoi seules moins de 7 % des ressources en titane sont utilisées pour la fabrication de titane métal. En 2019, la production mondiale d’éponge de titane s’établissait à 210 000 tonnes. La Chine est, de loin, le premier producteur (40 % du total), suivie du Japon (25 %), de la Russie (21 %), du Kazakhstan (10 %), des Etats- Unis (5 %) et de l’Ukraine (4 %). Le titane peut également être allié à d’autres éléments pour améliorer ses caractéristiques.

Pour les 50 ans du modèle, IWC a édité une Aquatimer en ceratanium, un alliage inédit.
Pour les 50 ans du modèle, IWC a édité une Aquatimer en ceratanium, un alliage inédit. DR

L’aéronautique premier utilisateur

Les applications industrielles du titane ne cessent de croître et de se diversifier. En effet, ses propriétés en termes de résistance à un large éventail de températures et sa faible densité rendent l’usage du titane particulièrement pertinent pour les secteurs de l’aéronautique (allègement structural des avions), du spatial ou encore de la défense (missiles, coques de sous-marin, etc.). « La moitié du titane utilisé dans le monde sert à fabriquer des avions, indique l’Association française du titane. Cette composante de marché est facteur de stabilité, car elle est régulée par les cadences de production et offre une perspective chiffrée sur le long terme. »

En aéronautique, le titane est principalement utilisé sous une forme alliée (TA6V) dans les cellules et les réacteurs. L’A380 contient 9 % de son poids en titane, soit 82 tonnes d’alliage de titane. Il faut compter 77 tonnes pour le Boeing B787. « La segmentation produit se caractérise globalement, d’une part par les alliages qui sont destinés aux applications de haute performance dans l’aéronautique et la défense, d’autre part, par le titane pur ou faiblement allié utilisé dans les applications industrielles et les biens de consommation : sports, loisirs, technologies nomades, horlogerie, architecture, etc., explique l’Association française du titane. Il est également utilisé pour sa biocompatibilité dans le domaine médical avec de belles perspectives de croissance liées au vieillissement des populations. »

Chaque année, dans le monde, 1 000 tonnes de titane sont implantées dans des corps humains : 70 % des tiges et 80 % des coquilles utilisées pour les prothèses de hanche sont en titane. Le secteur médical représente aujourd’hui le secteur de plus volumineux dans les biens de consommation, avec une demande d’environ 4 000 à 5 000 tonnes par an et une perspective d’évolution de 4,7 % par an d’ici à 2025. Par ailleurs, le titane jouit d’une notoriété grandissante auprès d’autres secteurs de niche où il se positionne comme un matériau high-tech, performant et léger.

Une première montre signée IWC

C’est dans ce contexte qu’à l’aube des années 2000 de nouveaux matériaux font leur apparition dans l’univers des montres de haute horlogerie, à côté des métaux précieux traditionnels comme l’or ou le platine, réputés rares et inaltérables, qui, jusqu’alors, justifiaient l’appellation et le prix des montres de prestige. Une fois passé l’émoi de ce sacrilège, les marques – de Richard Mille, porte-étendard de ce mouvement, à Hublot, en passant par Rolex ou IWC – sont de plus en plus nombreuses à investir dans les potentiels techniques de ces matériaux non nobles, comme le titane, mais aussi le carbone, le silicium ou encore la céramique.

Ces éléments ont permis à la fois de renouveler un certain imaginaire horloger tout en poussant l’innovation dans la recherche de la montre parfaite un peu plus loin. Quête de légèreté ou encore augmentation de la durée de vie sans maintenance. Dès les années 80, IWC intègre le titane pour la première fois avec la présentation de son modèle IWC Porsche Design Titan Chronograph. En effet, cette montre-bracelet comporte un boîtier et des éléments de commande en titane.

La manufacture collabore étroitement avec des experts en aviation et en aéronautique pour développer l’expertise nécessaire. Certes, ses propriétés de légèreté, de résistance et d’hypoallergénie prédisposent le titane à une utilisation dans les boîtiers de montre, mais sa dureté extrême complique son usinage. Depuis, les montres en titane se sont fait une place pour les initiés dans le portefeuille d’IWC, au sein notamment des collections Montres d’Aviateur et Ingenieur.

Des alliages toujours plus performants

Petit à petit, le titane est également utilisé pour la conception des mouvements. Une décennie plus tard, c’est au tour de TAG Heuer de présenter sa Kirium Ti5 comportant un boîtier en titane de grade 5, un alliage composé de 90 % de titane, 6 % d’aluminium et 4 % de vanadium qui a l’avantage de pouvoir être poli, alors que, jusqu’ici, l’utilisation de titane pur, couleur gris foncé et finition brossée, limitait les possibilités esthétiques.

En 2006, la Mag Bang de Hublot marque notamment les esprits avec son boîtier en magnésium et son mouvement chronographe mécanique avec platine et ponts en titane. A l’occasion du 50e anniversaire de son modèle Aquatimer sorti en 1967, IWC présente en 2017 une édition spéciale avec le premier boîtier en Ceratanium, un alliage en titane spécialement développé pendant plus de cinq ans pour la manufacture.

Cette matière innovante, constituée de titane céramisé, possède les avantages des deux matériaux. C’est dans ce matériau que les pièces brutes composant le boîtier sont fraisées, tournées et percées. Elles sont ensuite enfournées pour subir un frittage. C’est au cours de cette transformation que la surface métallique est céramisée. Plus récemment, Swatch Group présentait la Flymagic, une ligne de trois modèles édités en 500 exemplaires et pourvus d’un spiral de dernière génération en Nivachron, développé en partenariat avec Audemars Piguet et fabriqué à partir d’un alliage à base de titane et se concentrant sur ses propriétés amagnétiques pour améliorer les performances chronométriques et mieux résister aux chocs et aux variations thermiques.

L’univers de la haute horlogerie n’a pas fini d’explorer les possibilités techniques du titane tout en réussissant à l’établir auprès des amateurs comme un matériau innovant, exclusif et hautement désirable.


Voir plus d’articles sur le sujet
Continuer la lecture