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Minsk, la Silicon Valley biélorusse

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Porté par des ingénieurs « forts en maths » puis par d’importantes exonérations fiscales, le secteur informatique biélorusse s’est rapidement développé, jusqu’à devenir le vecteur des espoirs économiques du pays. Cet héritage nourrit les start-up locales, qui intéressent à présent les géants du numérique.

L’ambition numérique de Minsk

Le fort développement du numérique est dû en très grande partie au Hi-Tech Park (HTP) et à la loi du même nom. Initié par Valery Tsepkalo, qui avait été ambassadeur aux Etats-Unis de 1997 à 2002, le projet d’une Silicon Valley biélorusse devait freiner la fuite des cerveaux et accélérer la transformation du pays en une société de la connaissance. Instaurée en 2005, la loi HTP accorde d’importantes exonérations fiscales aux entreprises du secteur et à leurs employés. Ce régime a favorisé le développement des firmes biélorusses et attiré les sociétés étrangères, qui trouvent en Biélorussie de bons développeurs à des coûts attractifs. « Face à l’Inde ou aux Philippines, nous ne pouvons pas nous battre sur le nombre, mais nous pouvons nous battre sur la qualité. Nous avons de bonnes compétences et un esprit d’entrepreneur », affirme Pavel Laschenko, Partner et directeur d’EY (­ex-Ernst & Young) pour la Biélorussie.

Alexander Martinkevich, directeur adjoint du Hi-Tech Park, organisme qui vise à créer une Silicon Valley biélorusse.
Alexander Martinkevich, directeur adjoint du Hi-Tech Park, organisme qui vise à créer une Silicon Valley biélorusse. Sergei Gapon

En avril dernier, le cabinet d’audit financier a publié le premier rapport sur le secteur informatique dans le pays. « La loi HTP a vraiment changé la donne pour des sociétés comme la nôtre et pour le pays. Elle a facilité l’internationalisation des entreprises locales », insiste Yaroslav Tomilchik, directeur des ressources humaines d’EPAM, la principale compagnie informatique du pays. Hi-Tech Park compte à présent 180 entreprises qui emploient 30 000 personnes et réalisent un chiffre d’affaires de plus de 900 millions de dollars, dont 90 % à l’export. Les premières entreprises servent de modèle et d’inspiration à une nouvelle génération qui s’est formée au développement logiciel dans leur sein. « Ces nouveaux entrepreneurs ont développé des applications pour mobiles et des jeux. Ils ont grandi, ils gagnent des millions. Certains ont vendu leur société, comme Maps.me ou Apalon. A leur tour, ils deviennent des modèles pour les plus jeunes. Notre pays est petit. Ici, si vous avez un million de dollars, vous êtes très riche ! » remarque Oleg Khusaenov, directeur général de Zubr Capital, fonds de private equity qui vient de constituer son deuxième fonds de 100 millions de dollars. Pavel Laschenko relativise l’esprit entrepreneurial du pays en rappelant que « si 60 % des jeunes Français veulent créer leur entreprise, seuls 10 % des Biélorusses ont cette envie ».

Près des bureaux d’EPAM, le géant de l’informatique en Biélorussie.
Près des bureaux d’EPAM, le géant de l’informatique en Biélorussie. Sergei Gapon

La loi HTP a toutefois quelques inconvénients. Pour retenir les talents, il faut les payer. Mais la hausse des rémunérations risque de rendre le pays moins compétitif à l’international. Si le salaire mensuel moyen en Biélorussie, tous secteurs confondus, est de 400 dollars, il dépasse 1 700 dollars dans l’informatique et atteint 2 000 dollars dans les sociétés HTP, puisque les salaires sont partiellement exonérés de charges. La fourchette va de 700 dollars pour un analyste débutant à 3 500 dollars pour un responsable d’équipe. « Si on veut faire un travail intéressant et gagner de l’argent en Biélorussie, on fait de l’informatique ! Les plus ambitieux créent leur start-up. Les plus expérimentés travaillent en free-lance aux tarifs de l’étranger avec le coût de la vie locale », résume Alexander Chekan, associé chez Haxus, société de capital-risque. « Nous investissons beaucoup pour attirer les talents, car dans notre domaine des jeux en réseaux et sur mobile, les talents sont de l’or ! » reconnaît Sergei Brui, cofondateur de Vizor Interactive. Entre le baby-foot et la cafétéria bien achalandée, l’ambiance est très « Google spirit ». La société développeuse de jeux a fait appel à un designer pour décorer dans le pur style « post-soviet modern » le dernier étage de l’immeuble où elle a installé ses bureaux.

Sergei Brui, cofondateur de Vizor Interactive, qui développe des jeux pour mobiles et réseaux sociaux, comme Zombie Island et Klondike.
Sergei Brui, cofondateur de Vizor Interactive, qui développe des jeux pour mobiles et réseaux sociaux, comme Zombie Island et Klondike. Sergei Gapon

Les perspectives qu’offre le secteur font que les recrutements sont tendus. « Ici, c’est la guerre des talents, comme partout ailleurs. La concurrence s’est intensifiée. De plus, les projets se complexifient. Nous ne recrutons pas seulement des développeurs, mais des profils capables de comprendre la problématique des clients, leur métier », ­détaille Yaroslav Tomilchik. Les universités du pays forment environ 4 000 informaticiens par an. « Il en faudrait plus ! Mais cela fait seulement quatre ou cinq ans que l’informatique est devenue populaire parmi les jeunes », remarque Ulad Radkevitch. Il faudrait également développer les compétences commerciales et marketing qui font défaut dans cette culture d’ingénieurs. Pour cela, les entreprises montent des programmes de formation conjoints avec les universités et elles incitent les Biélorusses exilés dans les pays voisins à revenir. « C’est le bon moment pour construire quelque chose d’important. Il y a moins de bouchons qu’à Kiev, Moscou ou ­Varsovie, c’est un bon endroit pour les enfants et le pays est plus stable », détaille Sergei Brui.

Ambiance « Google spirit » dans les bureaux de Vizor Interactive, où l’on trouve aussi un baby-foot.
Ambiance « Google spirit » dans les bureaux de Vizor Interactive, où l’on trouve aussi un baby-foot. Sergei

La levée partielle des sanctions de l’Union européenne en 2016, la libération d’une partie des prisonniers politiques en 2015 et la suppression des visas pour les séjours de courte durée depuis février 2017 s’ajoutent aux perspectives économiques qui amènent quelques centaines d’exilés à rentrer en Biélorussie chaque année. Reste à savoir si c’est aussi pour entrer en dissidence, une fois sur place…

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