The Good Business
A coups de milliards, de projets pharaoniques et de collaborations prestigieuses, la ville est prise par une boulimie de nouvelles constructions. Il est bien loin le temps où « Magic City » était une maison de retraite XXL ! Miami s’offre un nouveau visage : celui d’une mégalo… pole.
Du bureau d’Harvey Daniels, responsable des ventes de condominiums chez Sotheby’s Miami, on peut suivre le ballet des ouvriers qui fourmillent, en contrebas, sur une structure en formation qui s’annonce gigantesque. Fin 2017 se dressera ici un gratte-ciel résidentiel de luxe, le One Thousand Museum Condos. Le 61e et dernier étage dominera la baie de Biscayne, où des yachts placides croisent des hors-bord nerveux. Quelques îlots touffus laissent deviner les demeures les plus extravagantes, accessibles uniquement par voie d’eau. Harvey Daniels détient l’exclusivité des ventes sur le One Thousand Museum Condos. Il cible la clientèle mondialisée des Ultra High Net Worth Individuals (UHNWI). Pour appartenir à cet acronyme anglo-saxon, il vous faut détenir une capacité d’investissement supérieure à 30 millions de dollars. Le bâtiment a été imaginé par la starchitecte londonienne Zaha Hadid, la seule femme lauréate du prix Pritzker. Un argument massue pour convaincre les jet-setteurs d’investir dans ce projet, listé par la revue Wealth-X comme l’une des adresses les plus exclusives du monde, à l’instar du One Hyde Park de Londres ou du 432 Park Avenue de Manhattan. Soit 83 unités, pour un prix de base de 5, 8 millions de dollars. Spa, piscine, personnel à profusion : les commodités s’annoncent à la hauteur de l’investissement. Comme c’est désormais la règle, les copropriétaires ont prépayé la moitié de leur futur bien avant le premier coup de pioche. « Ils viennent de Turquie, de Dubaï, de Norvège, du Liban et, bien sûr, d’Amérique latine. » Un héliport privé devrait garnir le toit, sous réserve de l’aval des autorités aériennes. Ce serait une première à Miami. Six des huit unités du tiers supérieur sont déjà vendues à 20 millions de dollars chacune. Le duplex du dernier étage (49,4 millions de dollars) cherche toujours acquéreur.
En chiffres
Population : 80 750.
Population de jour (avec employés de bureau) : 222 000.
Population estimée en 2019 : 92 519.
Salaire moyen par habitant en 2014 : 4 150 $ / mois.
Taux de chômage dans Miami Dade County : 6,6 % (Etats-Unis : 6,3 %).
22 785 appartements construits depuis 2003 ; 1,7 M de m2 de bureaux et 7 124 chambres d’hôtel.
33 buildings en cours de vente et en cours de construction (l’expression consacrée est : « dans le pipeline ») pour un total de 10 076 unités.
Moyenne prix/superficie des immeubles dans le pipeline : 1 247 $/pied carré, soit 13 423 $/m2.
Prix moyen du m2 dans tout Miami : 1 883 $ / m2.
Prix moyen à la revente Downtown : 2 379 $ / m2 fin 2009 et 4 941 $ / m2 début 2015.
Prix d’un appartement à la location en 2015 Downtown : studio, 1 698 $ ; 2 pièces, 2 139 $ ; 3 pièces, 3 008 $.
L’aéroport de Miami est sur l’ensemble des aéroports aux Etats-Unis le 2e quant à la fréquentation de passagers internationaux ; le 12e quant au nombre total de passagers (39,5 M).
Un nouveau cycle immobilier
Aussi baroque qu’il paraisse, le One Thousand Museum n’est qu’un building parmi la liste, désormais longue, de projets immobiliers destinés à une clientèle fortunée et mondialisée. Celle qui a redécouvert Miami avec Art Basel, la foire d’art contemporain qui se tient chaque année, en décembre, depuis 2002. Mature, arty, cosmopolite : l’image que renvoie désormais Miami est un aimant pour les investisseurs du monde entier. Le rapport Knight Frank de 2015 la classe même comme la 7e ville du monde la plus attirante pour les grandes fortunes de la planète, devant Dubaï et Paris. Dans ce nouveau cycle immobilier, les architectes et designers les plus renommés sont démarchés, leur nom doit interpeller, « claquer » (Rem Koolhas, Bjarke Ingels, Herzog & de Meuron…). L’innovation est primordiale. A Miami, même les designers de voitures de luxe se reconvertissent dans le design d’immeubles. Le 1100 Millecento, inauguré en mars, a ainsi été conçu par l’italien Pininfarina. Plus au nord, à Sunny Isles Beach, Porsche construit actuellement une tour de 60 étages avec un ascenseur capable de transporter votre bolide jusqu’à votre appartement, où une pièce lui sera dédiée. On n’a peur de rien, encore moins des excès…
Downtown : haut jusqu’où ?
Le titre de plus haut bâtiment de la ville, détenu depuis 2003 par le Four Seasons (64 étages et 240 m), devrait rapidement changer de mains avec la construction prévue du SkyRise Miami et du Brickell City Centre. Les promoteurs souhaitent en effet tirer parti de la nouvelle modification législative des autorités aériennes fédérales (FAA) qui rehausse la limite en hauteur à 1 049 pieds (320 m) dans le centre‑ville. De fait, il est fort probable que tous les nouveaux projets plafonneront à 320 m exactement. Le SkyRise, dont les plans ont été soumis à évaluation l’été dernier, devrait détenir le titre (envié ?) de building le plus bas de Miami : sa base ne sera qu’à 1,2 m du niveau de la mer.
Quand on pense à Miami, c’est d’abord le quartier South Miami Beach qui vient à l’esprit. Les plages de sable blanc, l’ombre des palmiers sur les façades pastel des hôtels Art déco. Mais South Beach est aujourd’hui saturé d’immeubles (et de touristes). C’est donc désormais au centre que se concentre la croissance. Les grues pullulent parmi les gratte-ciel, donnant à Downtown un air de mégapole asiatique. Les quartiers clés du boom se trouvent tous sur le continent : Brickell, Arts and Entertainment et, le plus surprenant de tous, Edgewater. Une zone à la réputation de coupe-gorge il y a dix ans, aujourd’hui en profonde transition. Le promoteur Reid Boren, d’Eastview Development, a tout misé sur Edgewater. Il y construit deux gratte-ciel et prépare l’érection d’un troisième, sobrement baptisé Elysée, qui, du haut de ses 200 mètres, devrait nanifier les deux autres. L’Elysée sera le plus chic, avec cave à cigares, salon de coiffure, salles de réception et déco intérieure à la française imaginée par le Parisien Jean-Louis Deniot. Reid Boren refuse de dire s’il a passé la barre des 70 % de préachat pour l’Elysée – la limite pour obtenir l’aval des banques et commencer à creuser –, mais se montre confiant et prévoit le premier coup de pioche pour le printemps prochain. Il défend la faible fiscalité et la qualité de vie de Miami : « Le coût de la vie y est deux fois moins élevé qu’à New York. Culturellement, Miami a grandi, et on y trouve des infrastructures qu’il n’y avait pas lors du précédent cycle. » Alicia Cervera, agent immobilier, parcourt le monde à la recherche d’acheteurs potentiels pour l’Elysée : elle dit avoir dispatché ses équipes à San Francisco, au Brésil, à Fortaleza, en Italie, à Milan, au Venezuela, à Caracas, au Royaume-Uni, à Londres et aux Emirats arabes unis, à Dubaï.
Promoteurs et dingues d’art
A Miami, art et immobilier sont étroitement entrelacés. Les promoteurs font appel aux plus prestigieuses signatures pour se démarquer de la concurrence. Ils collectionnent et se font mécènes. A Wynwood, quartier bohème du centre‑ville, un bâtiment en forme de coffre-fort géant est sorti de terre en 2008. Baptisé Museo Vault, il sert de refuge aux collectionneurs en cas d’ouragan ou d’inondations, conformément aux normes internationales du secteur. D’une superficie de 7 900 m2, « il est occupé à plus de 90 % », assure son concepteur, l’agent Immobilier David Lombardi, lui-même collectionneur d’art, qui a senti « une demande grandissante » pour protéger les pièces du vol ou des catastrophes naturelles. Si les activités
de David Lombardi se diversifient, sa carrière reste centrée sur Wynwood. Il est le premier à avoir flairé le potentiel de ce quartier, mal famé au tournant du siècle, mais proche du cœur urbain. Aujourd’hui, boutiques et restaurants y pullulent. Les murs des hangars sont devenus des « toiles » pour les artistes du monde entier. De son côté, David Lombardi possède lui-même 3 500 œuvres d’artistes locaux. Signe de l’emprise des rois du bâtiment sur la ville : en 2013, le Miami Art Museum a été rebaptisé Pérez Art Museum Miami en hommage à son plus Généreux donateur, le promoteur Jorge Pérez, fondateur de Related Group. Surnommé le Donald Trump des tropiques, par le Times, cet Américain d’origine argentine, a contribué pour 40 M $ en cash et en œuvres d’art à la collection permanente du musée. En échange, celui-ci porte désormais son nom.
La spéculation immobilière fait partie de l’ADN de Miami, dont l’histoire est constellée de booms et de crashs brutaux. Quatre ans après la chute de Lehmann Brothers, en 2011, la renaissance du centre-ville n’en a été que plus spectaculaire. Elle fut en grande partie amorcée par le rachat des immeubles vides par les groupes d’investissement et par un afflux de cash venu d’Amérique latine (Venezuela, Argentine et Brésil), où les plus riches cherchent à placer leur argent loin de pays économiquement et politiquement instables. En centre-ville, pas moins d’une soixantaine de tours sont en construction ou à l’état de projet depuis 2014. La nature des habitants du centre a aussi changé. La place financière de Brickell, morne il y a peu, se transforme en un espace de vie 24 h/24 où tout se fait à pied et où les start-up élisent domicile. Ce sont d’abord les étudiants et les jeunes actifs qui s’y sont installés, de 2008 à 2011, quand les immeubles étaient des coquilles vides et les loyers, ridicules. Une époque révolue, le marché ayant absorbé les 67 000 unités construites lors du précédent boom. « Il y a cinq ans, passé 22 heures, on aurait pu jouer au bowling sur Brickell Avenue. Il y avait les bureaux, les banques, mais rien autour », se rappelle Philippe Houdard, cofondateur de Pipeline, un espace de coworking qui réunit des développeurs d’Uber et des designers de Pininfarina. En 2012, Philippe Houdard a déménagé de Miami Beach pour Brickell. Hier impensable, ce mouvement lui paraît naturel aujourd’hui. « Je vivais à South Beach, comme tout le monde. J’ai déménagé pour la proximité avec mon entreprise, mais aussi parce que la vie a changé à Brickell. Ça s’inscrit dans cette tendance de retour à la vie urbaine, à la densité. » Philippe Houdard n’a plus de voiture, son mode de vie est devenu 100 % Uber. Un frein à cette croissance débridée : le cours élevé du dollar, qui, depuis le troisième trimestre 2015, affaiblit le pouvoir d’achat de la clientèle internationale, auquel il faut ajouter les tourments macroéconomiques des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). « Et les règles du marché ont changé, explique Sonja Bogensperger, vice-présidente de la Downtown Miami Development Authority. Les montages financiers sont plus serrés qu’avant 2008, où l’on pouvait acquérir un bien avec un premier apport de 10 % et payer le reste une fois le bâtiment construit. Aujourd’hui, le promoteur n’a pas le soutien des banques avant d’avoir prévendu 70 % des unités. »
3 questions à Carlos Rosso
Président de la division condominium de Related Group, plus gros groupe immobilier de Floride, qui façonne la skyline de Miami depuis plus de vingt-cinq ans.
The Good Life : Qu’est-ce qui a changé par rapport au cycle précédent ?
Carlos Rosso : Les acheteurs doivent garantir un premier apport beaucoup plus important et les banques prêtent moins. On construit moins, mais le marché se tient mieux. Cette fois-ci, tout est construit avec du vrai cash. Et la clientèle s’internationalise. Je vends un condominium à un Brésilien, qui le revendra à un Français trois ans plus tard… L’an dernier, nous avons
vendu 2 500 appartements à des clients de 92 nationalités différentes.
TGL : Pourquoi investir dans un bien immobilier à Miami ?
C. R. : Parce que c’est devenu une ville de business, la capitale financière de l’Amérique latine. Dans les années 60, c’était une maison de retraite géante, la « salle d’attente pour le paradis » [« God’s Waiting Room », NDA] et un centre hôtelier. Personne ne venait ici pour faire du business. Toutes les grandes banques du continent sud ont leur siège ici. Et Art Basel a aussi changé la donne. L’événement attire les milliardaires du monde entier. Ils arrivent en jet privé à basse altitude, découvrent la baie, la lumière, les tropiques, et tout le business qu’il est possible d’accomplir ici.
TGL : Vous entendez développer des parcs publics à Miami. C’est une offre qui manque ?
C. R. : Ça n’arrivera pas en une nuit, mais il est clair que la ville devrait avoir un plan de développement à long terme. Nous envisageons de développer un boardwalk le long de la baie de Biscayne. Privatiser le bord de l’eau pour les habitants des condominiums serait une erreur. Regardez les avenues les plus chères du monde : Park Avenue, les Champs-Elysées, Ipanema… Elles sont toutes accessibles au public. C’est la proximité avec l’ultra-richesse qui la rend désirable.
Depuis la baie vitrée de son bureau du 28e étage du 200 Biscayne Boulevard, Sonja Bogensperger désigne un espace vert en contrebas, grand comme deux terrains de tennis. Il a été vendu au printemps pour 125 millions de dollars. Plus à l’ouest, elle montre du menton le Centro Building, premier bâtiment construit sans parking, signe d’un nouveau cadre de vie pensé sans voitures et tourné vers l’urban core. Sonja Bogensperger appelle pudiquement les cycles immobiliers de Miami « collines et vallées » : ils durent, en général, de huit à douze ans. Cette fois, « l’atterrissage sera doux », assure cette native de Salzbourg, avant d’ajouter, comme une évidence : « Miami a été la ville symbole du krach immobilier mondial ; elle a aussi été la première à s’en sortir. »
La Chine, facteur X
L’appétit des Chinois pour Miami grandit, ajoutant une saveur orientale au cocktail international qu’est le marché immobilier de luxe en Floride, jusqu’ici largement dominé par l’Amérique
du Sud et, dans une moindre mesure, par les Européens et les Russes. La croissance des investissements chinois dans la part des achats étrangers, encouragée par un cours du yuan solide, a grimpé de 40 % entre mi-2013 et fin 2014. Les agents immobiliers de Floride, que n’arrête pas l’absence de lignes aériennes directes entre Miami et la Chine, organisent des visites commando coûteuses à Hong Kong, Shanghai et Pékin pour promouvoir leurs affaires. Les investisseurs sont démarchés, bichonnés. Les fascicules promouvant les futures tours de luxe sont désormais traduits en mandarin. Des promoteurs soignent leurs projets en prenant en compte les principes architecturaux du feng shui ; le Trump Group (aucune relation avec Donald) a nommé deux de ses tours Acqualina 777 et 888, par égard pour la numérologie chinoise.
PortMiami, au bout du tunnel
C’était un vieux serpent de mer imaginé dès les années Reagan : un tunnel de plus de 1 km sous la baie de Biscayne, reliant directement PortMiami – qui est en fait une île – à l’autoroute 395, qui connecte Miami au reste de la Floride. Le but : désengorger le centre-ville des milliers de poids lourds. Après six ans de travaux,
ce tunnel est devenu réalité à l’été 2014, à l’issue d’un chantier pharaonique réalisé par Bouygues. Un effort d’infrastructure de 1 Md $ aux effets tangibles. L’année 2015 aura été celle de tous les records pour PortMiami. En termes de fret, avec plus de 1 million de conteneurs échangés (meilleure performance en dix ans), mais surtout en matière de tourisme, PortMiami demeurant par essence un port de croisière : 4,9 M de touristes y ont accosté cette année – la meilleure performance mondiale. Plusieurs lignes de croisière ont pris note. La Royal Caribbean International envisage d’ouvrir un nouveau terminal dans le cadre d’une opération public-privé estimée à 150 M $. Le Norwegian Escape, le nouveau paquebot de la Norwegian Cruise Line, relie désormais la Scandinavie à la Floride tout au long de l’année.