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Montres et horlogerie

Le marché de l'horlogerie de luxe sous tension

Après des années de croissance insolente, le marché de l'horlogerie de luxe est en crise…Il devra s'adapter au changement d'habitude des consommateurs s'il veut sauver sa peau.

La rumeur courait, l’information est tombée à Genève le 3 mars. D’ici à 2018-2019, les montres TAG Heuer seront vendues en ligne. « Si les nouvelles générations qui ont actuellement entre 15 et 20 ans achètent leurs livres, leurs vêtements ou leurs baskets sur le Net, ils trouveront tout à fait logique d’acheter leurs montres de luxe sur Internet quand ils en auront 25 ou 30 », a expliqué Jean-Claude Biver, le CEO de la marque. D’autres patrons de l’horlogerie devraient suivre… « Chacun fait ce qu’il veut et tous ne le feront pas. Reste à savoir si cela se fera au niveau mondial, ou à l’échelle européenne ou de la France. Pour le moment, les marques sont tenues par leur contrat de distribution sélective », déclare Didier Bévillon, président de la Fédération de l’horlogerie.

En 2015, Internet a représenté 6,9 % du total des ventes avec une croissance de 1,5 % par rapport à 2014. Reste que ce coup d’aiguillon risque d’avoir, tôt ou tard, des répercussions sur une distribution horlogère déjà sur le fil du rasoir. Après plusieurs années de croissance à deux chiffres, les ventes de belles montres ont connu un ralentissement à partir de 2012. Le marché est entré en crise. Premiers responsables : les Chinois, qui représentent, en valeur, les premiers clients des horlogers suisses. La lutte anticorruption menée par le gouvernement de Pékin contre les dessous de table, appelés officiellement « cadeaux d’entreprise », a fait chuter cette économie ; une plongée amplifiée en 2014 par la révolte des Parapluies, à Hong Kong. Les manifestations ont entériné une désaffection des continentaux pour cette ancienne concession britannique où ils avaient l’habitude de venir effectuer leurs achats chaque ­week-end. Selon la Fédération de ­l’industrie horlogère suisse, les commandes y ont alors baissé de 23 %. A cela se sont ajoutés une variation des taux de change qui a cessé de profiter aux pays vendeurs, un contexte mondial morose, le faible niveau du rouble… En 2015, la situation semble s’être redressée, tout en restant globalement négative.
Le marché chinois est toujours dans le rouge, les Etats-Unis sont stables, tandis que l’Europe s’en sort correctement, particulièrement la France. En 2015, le chiffre d’affaires national est de 1,9 milliard d’euros en valeur, avec une croissance de plus de 10 % pour les montres de plus de 5 000 euros… Après Hong Kong, les Etats-Unis et la Chine, l’Hexagone est le quatrième marché le plus vendeur de montres. Ne nous y trompons pas : ce sont les visiteurs étrangers qui sont les principaux acheteurs d’horlogerie, et particulièrement les Chinois. Selon une étude de KPMG, les montres arrivent en deuxième position dans leurs achats après les cosmétiques. « Acheter sa montre de luxe reste un symbole fort pour les étrangers, notamment pour les Chinois, commente Daphné de Jenlis, directrice générale de la branche horlogerie du groupe Galeries Lafayette, soit Royal Quartz et Louis Pion. Le mythe de Paris, ville du luxe, est toujours aussi fort. Plus pragmatiquement, la détaxe a aussi son avantage. »

Le style plutôt que le savoir-faire ?

Les fluctuations économiques et politiques forcent les distributeurs à ne plus les considérer comme des aléas du marché, mais comme des constantes. La norme a changé. Les prévisions ne peuvent plus se faire que sur des cycles très courts. L’adaptabilité devient une constante. Il y avait 15 000 points de vente en 1960, il n’y en a plus que 3 000 aujourd’hui. « Il s’agit d’une sélection qui s’est faite relativement naturellement, par une désaffection des montres dans les années 70, une adaptation délicate à la gestion des petits horlogers bijoutiers, l’absence de repreneur pour certains », poursuit Didier Bévillon. Il y a désormais peu de créations de boutiques. Parmi les plus récentes, le flagship Bucherer ne distribue que les marques du groupe Richemont, conçu pour une clientèle chinoise qui fréquente les grands magasins parisiens. Le réseau est presque en totalité représenté par les multimarques, dont les majors sont Royal Quartz, Dubail, Wempe et Kronometry 1999, qui ont une puissance de frappe considérable. Les autres points de vente étant représentés par des PME disposant au mieux de quelques points de vente. Plus une centaine de magasins monomarques dont le chiffre ne devrait pas augmenter, selon Didier Bévillon.

Tout repose désormais sur le marketing et le storytelling, et se construit sur les remontées des équipes de vente. Dans les boutiques Royal Quartz des aéroports, on parle vingt langues. « Il faut s’adapter, proposer des nouveautés et reconquérir les consommateurs français, dont le pouvoir d’achat est plus limité que celui des Asiatiques », note Daphné de ­Jenlis. Ces clients n’achètent pas seulement un label ou une griffe. Ils ont besoin d’être accompagnés, de vivre une expérience, ont une relation plus hédoniste que sociale à l’objet et rajeunissent. Ces nouveaux jeunes acheteurs représentent une cible de choix, reste à la conquérir et à la retenir, car leur culture du temps est proche de leur culture de mode. « Une montre est un accessoire qui complète une tenue, un élément de leur style. Ils sont dans la tendance, laquelle est plus éphémère que le savoir-faire des garde-temps bâlois », ajoute Daphné de ­Jenlis. La complexité n’est donc plus l’argument de vente. Voilà qui va forcer les distributeurs à inventer un nouveau paradigme.

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