Lufthansa ne cesse de cultiver cette German touch haut de gamme, dont elle revendique fièrement l’ADN. Vitrine lumineuse de son savoir‐faire, le hub de l’aéroport de Francfort, cette grande plaque tournante commerciale et citadine, avec ses boutiques et ses restaurants (sans oublier sa fameuse boulangerie Heberer, si réputée que les habitants de Francfort viennent spécialement y acheter leur pain !), est le centre névralgique de Lufthansa, avec ses 37 millions de passagers annuels (sur 60 millions au total), dont 70% ne font qu’y transiter quelques heures. Tout à la gloire de Lufthansa et de ses partenaires de Star Alliance – l’extension récente du terminal 1 lui est entièrement dédiée –, ce carrefour de l’aérien a récemment, en 2012, gagné quelque 185 000 m2 pour faire face à un trafic toujours plus dense.
Ces voyageurs au long cours, la compagnie entend qu’ils poursuivent leur voyage au sol comme dans les airs, avec une attention égale à celle qu’ils reçoivent à bord. « Un passager de la ligne Washington–Francfort passe plusieurs heures à l’aéroport avant de prendre un autre vol vers l’Europe ou l’Asie, observe Martin Riecken, directeur de la communication de Lufthansa. Les cinq principaux lounges de notre compagnie lui offrent (en Business Class et First Class) une escale agréable et roborative au cours de laquelle il peut librement se reposer, se restaurer, se détendre ou travailler, le tout dans une atmosphère apaisante et lumineuse. »
Prisée pour son service limousine, l’accès à son lounge privatif et ses prestations à la carte, sa First séduit aussi par son offre personnalisée : « Libre à tel passager VIP ou à telle star d’Hollywood de s’isoler à sa convenance, observe Martin Riecken. En effet, un simple bouton permet d’élever ou d’abaisser une cloison amovible. C’est une fonctionnalité qui n’existe pas sur les autres compagnies. » « Le luxe n’est d’ailleurs pas l’unique exigence de notre clientèle, renchérit avec fierté ce sobre barman cravaté. La surprendre fait aussi partie de notre job. La semaine dernière, nous avons proposé une dégustation de douze Coca-Cola originaires des quatre coins du monde : des États-Unis, de Russie et même de Chine ! »
Et Lufthansa, qui vient d’empocher 5 étoiles au classement Skytrax pour sa First, de viser désormais la même récompense avec sa toute nouvelle Premium Economy. Quelques mois après son lancement, le taux de réservation dépasserait ses prévisions les plus optimistes ! « Notre Premium vient combler ce trop grand décalage entre les sièges-lits de la Business et la plus sommaire Economy, précise Martin Riecken. Elle s’adresse tout autant aux passagers loisirs en quête de confort qu’aux voyageurs Business dont les patrons d’entreprise jugent le ticket Business trop onéreux. » Sans nier un risque de cannibalisation sur les ventes de sièges en Business Class.
Lufthansa joue la carte d’une Premium Eco vraiment smart, avec ses sièges confortables et espacés, ses assiettes en porcelaine, sa connexion wifi et un accès au salon Business Class. Lufthansa place délibérément ce sens du détail et du sur‐mesure au cœur de sa stratégie marketing. Directeur général France du courtier aérien Pro Sky, Gilles Meynard souligne deux initiatives révélatrices de cette approche : « Dans l’univers de l’aviation d’affaires, Lufthansa a su très tôt combiner ses vols réguliers Business et First avec la possibilité de réserver (via sa filiale NetJets) des jets privés en correspondance à Francfort ou à Munich. » Et le consultant du transport aérien de citer cet autre point fort de la compagnie sur le territoire allemand, où « la cigogne décline depuis vingt-cinq ans sa marque et son identité visuelle via des agences de voyages privées, les Luft City Centers. Imaginez des agences Air France Center dans toutes les préfectures de France ! »
Lufthansa/Air France : difficile d’évoquer la première sans citer la seconde, tant les deux legacy carriers jouent à touche‐touche dans le ciel aérien. Moins glamour que sa rivale française, Lufthansa n’a pas fait dans la demi-mesure pour faire voler ses avions Boeing et Airbus au macaron jaune et bleu vers des destinations où la compagnie bleu, blanc, rouge fut longtemps chez elle. Ainsi de l’Afrique, que la compagnie allemande a mise dans son viseur au lendemain de son rachat de Brussels Airlines (spécialiste de l’Afrique subsaharienne) en 2009, ou de la liaison France–Allemagne, que Lufthansa vient « chasser » sur le tarmac de sa rivale, en multipliant les vols. Son ambitieuse feuille de route s’est révélée à l’aube des années 2000, avec une montée en puissance augurée par l’acquisition de Swissair en 2005, rebaptisée Swiss. « Une vraie pépite, note Jean‐Louis Baroux, CEO d’APG World Connect. Et c’est tout à l’honneur de Lufthansa que d’avoir su imprimer sa patte tout en préservant la personnalité remarquable de sa filiale suisse. » Swiss et sa clientèle sélecte d’hommes d’affaires et de diplomates…
Mais ce positionnement de choc de Lufthansa au cœur de l’Europe – elle dispose désormais d’un portfolio de cinq filiales – ne suffit pas à l’immuniser contre une compétition qui fait rage et qui la place, comme toutes les grandes compagnies généralistes, dans cette position délicate d’une double lutte contre les compagnies du Golfe (dont elle dénonce les inéquitables soutiens financiers) et contre ces start‐up de l’aérien – Ryanair, Vueling, Easyjet –, dont la fronde toujours plus ample sur les liaisons « point à point » la pousse à réviser son business‐model. D’où l’embarquement de Lufthansa sur cette piste du low‐cost, pourtant bien peu inscrite dans ses gènes ! Ainsi la compagnie, en dépit d’une grève des pilotes qui l’a récemment conduite à revoir ses prévisions à la baisse, entend-elle se positionner sur ce marché florissant sous le nom de code Wings, dont l’inscription en lettres rouges se démarque résolument du label Lufthansa. Après sa filiale low cost court‐courrier Germanwings, déjà en passe d’être rentable un an après son lancement, et Eurowings, concentrée sur le marché européen, c’est au tour de New Eurowings de s’en aller capter, dès la fin 2015, les voyageurs long‐courriers à prix allégés. Et Jens Bischof, CCO commercial de Lufthansa, de citer en exemple… Volkswagen : « A l’instar de ce groupe auto qui possède les marques Skoda et Seat d’un côté, et, de l’autre, Bentley, Porsche et Audi, nous voulons nous aussi élargir notre portefeuille de marques », affirme‐t‐il. « Volkswagen, das Auto », martèle une certaine pub… Alors, Lufthansa, die Airline ?