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Qui n’a pas connu l’ennui derrière les pages de son livre, à la plage, à regarder les baigneurs plutôt que de se coltiner une énigme mille fois reproduite ? Quand on dit « roman de plage », on ne dit pas nécessairement « gros navet ». Bien au contraire, la preuve par 10.
Est-ce que les livres de plage sont forcément des best-sellers à l’eau de rose ou un énième ouvrage du même écrivain qu’on dit « facile à lire » ? Si la typologie n’existe pas vraiment — on reconnaît plutôt un moment « lecture de plage » — le lecteur s’inquiète, à l’orée de l’été, de ce qui l’occupera sur la plage. Essais, romans historiques, pourquoi pas les classiques torrides ou les biographies people (c’est l’été non ?)… Perdu devant les étals d’un libraire ou, pire, ceux bien marketé du Relay de gare, s’y retrouver parmi les nanards n’est pas chose facile. Voici donc un guide de la lecture honnête garantissant une intrigue captivante et un nombre de pages raisonnable.
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Quels livres emporter cet été à la plage ?
« Call me by your name », d’André Aciman, l’un des meilleurs livres à lire à la plage
On ne présente quasiment plus ce titre, devenu culte grâce au film réalisé par Luca Guadagnigno en 2017. Ce qu’on connait moins, c’est son auteur, l’écrivain américain d’origine italo-égypto-turque André Acimen, né le 2 janvier 1951 à Alexandrie. Il joue pourtant le rôle secondaire de Mounir à l’écran. Mais revenons à ce roman sorti en 2007, prix Lambda Literary du meilleur roman gay de la même année, paru en France sous le titre de « Plus tard ou jamais », réédité ensuite sous le titre d’ « Appelle-moi par ton nom » et, enfin, « Call me by your name », devenu sa signature. Il conte l’éveil d’un jeune homme à l’homosexualité dans les années 80 et même si vous avez vu le film, on vous conseille de découvrir ce trésor par les mots, assis dans le sable.
D’un côté Elio Perlman, jeune juif italien d’origine américaine de 17 ans, prétentieux et précoce. De l’autre Oliver, 24 ans, juif américain doctorant venu visiter la famille de son professeur (le père d’Elio) dans le nord de l’Italie. Un ouvrage sur le premier amour ou comment le désir va naître et grandir au fil de très belles pages, à lire et à relire.
« Call me by your name », d’André Aciman, éditeur d’origine Grasset, publié en version Poche
« Carolyn et John », de Stéphanie des Horts
Qui pourrait se lasser du duo le plus iconique des années 90 ? Pas nous. Surtout pas durant la belle saison. Paru le 27 mars 2024, c’est le petit nouveau à qui on prédit un bel été. L’un des meilleurs livres de plage de l’année ? Habituée des biographies, Stéphanie des Horts s’attaquent aux dieux de la mythologie nord-américaine après ses ouvrages sur « Les sœurs Livanos » ou « Jackie et Lee ». On y croise Julia Roberts, Bill Clinton, Sharon Stone et… Eux deux, personnages de roman de contes de fées au destin tragique, ils ont tout pour qu’on leur consacre un pavé de plage digne de ce nom.
Résumons : « En 1996, Carolyn Bessette épouse John Kennedy, le fils de l’ancien président des Etats-Unis, et pénètre dans la famille la plus célèbre du pays. Leur couple fait rêver et vendre du papier glacé, mais leur quotidien est miné par la pression des paparazzi, les ambitions politiques, la drogue et l’adultère. Ils se déchirent et tentent, une dernière fois, de sauver leur union. » Le ton est donné, le rythme est rapide, leur vie est trépidante. Un parfait bouquin de plage.
« Carolyn et John », de Stéphanie des Horts, édité chez Albin Michel
« Très Chers Amis », de Gary Shteyngart
Il faut s’accrocher quelques pages pour enfin baigner naturellement dans ce livre agréable à lire à la plage et sa ribambelle de personnages. Ne vous laissez pas impressionner mais ne le sous-estimez pas non plus. Car « Très Chers Amis » est aussi corrosif et hilarant qu’il est musical et désolant. Sacha Senderovski, écrivain, et sa femme Macha, psychiatre, accueillent leur groupe d’amis durant le confinement. Il y a les amis d’enfance, l’ex étudiante de Sacha et l’Acteur. Tous enfermés dans un petit paradis sur les bords de l’Hudson hors de la ville. Évidemment cela va virer aux drames.
L’auteur Gary Shteyngart est né en 1972 à Saint-Pétersbourg. Il vit aujourd’hui aux Etats-Unis. Pas étonnant qu’il retrace dans ces pages, comme dans la majorité de son œuvre, des considérations sur les émigrés, les Russes en général, le racisme, l’époque en général. Le petit théâtre de la nature humaine n’est pas joli à observer, mais dans cette libre interprétation d’Oncle Vania de Tchekhov la vie est une comédie.
« Très Chers Amis », de Gary Shteyngart, aux éditions de l’Olivier
« Le barman du Ritz », de Philippe Collin
On connait l’historien Philippe Collin pour ses podcasts sur Cléopâtre ou Léon Blum sur France Inter. Le voici écrivain avec son premier roman « Le barman du Ritz » qui prend pour temporalité l’occupation allemande à Paris, une évidence pour ce passionné de l’époque. Dans cette fiction historique, nous suivons le grand Franck Meier, barman légendaire de la place Vendôme à l’ascension sociale marquante pour l’époque. L’ouvrage débute en juin 1940, la veille de l’arrivée des Nazis dans la ville, et se termine en août 44. Le temps de croiser Cocteau, Coco Chanel ou l’énigmatique Blanche Auzello. Pour qui aime les vrais romans historiques qui s’en tiennent aux faits, l’ouvrage est un bonheur de précisions dans les dates, les événements et les personnages.
Pour le reste, Philippe Collin s’est appliqué à inventer ce qui se trouvait entre les signatures et les preuves tangibles : le courage ou la peur, la duplicité aussi, la collaboration ou la résistance. Car « tandis que Paris s’enfonce dans le froid et la faim, le bar tourne à plein régime. Le Ritz affiche complet tous les soirs, ou presque. Bien au chaud, on boit, on rit, on trinque, on virevolte », écrit-il dans le chapitre consacré au 20 février 1942. L’un des meilleurs livres à lire à la plage cet été, tout simplement passionnant !
« Le barman du Ritz », de Philippe Collin, aux éditions Albin Michel
« La Fille de Lake Placid », de Marie Charrel
Ce n’est pas anodin si la couverture de cet ouvrage est mystérieuse, à la limite du mystique. Il évoque Lana del Rey, la chanteuse – emblème du « Hollywood sadcore » – née Elizabeth Woolridge Grant en 1985 à New York qui a grandi à Lake Placid. Dans une histoire romancée mais parsemée de vrai, Marie Charrel, journaliste au Monde et romancière, s’offre le plaisir de mélanger fiction et biographie. Elle y fait se rencontrer la jeune fille hantée et la mythique reine du folk, j’ai nommé Joan Baez.
On vogue de 1996, où Elizabeth découvre son don pour la poésie et la musique, à 2019, où elle rencontre Joan Baez pour la convaincre de chanter avec elle lors de son prochain concert, en passant par les premiers écrits de la jeune fille jusqu’à son triomphe de « Video Games ». Une escapade dans un monde onirique et mélancolique que ne renierait pas David Lynch et qui réhabilite cette grande artiste, trop souvent blâmé, comme poétesse amoureuse des années 50 qui sait aussi dire la violence d’un rêve américain meurtri. Splendide !
« La Fille de Lake Placid », de Marie Charrel dans la collection Les Audacieuses des éditions Les Pérégrines
« L’Amant », de Marguerite Duras, l’un des meilleurs livres à lire à la plage
Prix Goncourt 1984 à sa sortie, « L’Amant » est un roman culte qui mérite tous les sacs de plage. Pour son intensité, pour sa moiteur, pour son écriture, pour son approche cinématographique, il est à offrir à toutes et à tous. Autofiction, l’auteure narre son enfance et son adolescence en Indochine française ainsi que son premier amour, un riche Chinois de Cholen de 12 ans de plus qu’elle, la découverte de son corps puis son émancipation.
« L’Amant » est une plongée dans la tête de Marguerite Duras (1914-1996), 35 ans après les événements, qui nous livre ses souvenirs pêle-mêle, tout à la fois et dans tous les sens. Il y a dans sa langue répétitive, ajoutant le parler au phrasé littéraire, quelque chose qu’on veut lire à haute voix. Voisins de serviettes de bains, tenez-vous prêts.
« L’Amant », de Marguerite Duras aux éditions Minuit
« La saga des Cazalet », de Elizabeth Jane Howard
Quel bonheur de lire une saga, une bonne saga comme une bonne série, où on sait, à la fin du tome 1, que nous pourrons vivre en compagnonnage encore un peu avec tous ces personnages. Les Cazalet sont arrivés sur papier en 1990 sous la plume d’Elizabeth Jane Howard (1923–2014), romancière anglaise. Évidemment il fallait être anglais pour raconter ces gens, plus vrais que nature, dans leur quotidien de famille bourgeoise accompagnée de leurs domestiques dans leur résidence estivale dans le Sussex avant la Seconde guerre mondiale.
Le roman a un côté addictif, de secrets chuchotés derrière la porte en petites histoires de la domesticité qui raconte finalement la grande, cette saga est un must de tous les étés. Ne pensez pas y trouver du gnan-gnan et du too much, l’élégance anglaise est ici à son apogée, la langue n’est pas complaisante et la concision est de mise. Mais que diable y trouverez-vous ? Du Downton Abbey évidemment, de la Comtesse de Ségur un peu, et cent intrigues entremêlées qui courent sur 5 tomes. Comme on le dit souvent quand on rencontre quelqu’un qui n’a pas regardé sa série préférée, quelle chance vous avez de lire cela pour la première fois. Ces lires se dévorent à la plage comme à l’ombre, juste avant la sieste…
« La saga des Cazalet », de Elizabeth Jane Howard publié aux éditions Table Ronde
« Le Temps des cerises », de Montserrat Roig
Combien reste-t-il de pépites qui n’ont pas encore été traduites en français ? L’ouvrage de Montserrat Roig (1946–1991) l’est enfin. Olivier Mony de Livres Hebdo dit d’elle : « C’est Beauvoir meets Joan Didion et Goliarda Sapienza à Barcelone. » Ce qui situe le niveau en une phrase… On ajouterait volontiers Annie Ernaux à ce triptyque féministe.
Le topo : après 12 ans loin de sa ville natale, Natàlia Miralpeix revient à Barcelone où elle a la vague impression que tout a changé. « La révolution sexuelle, politique et artistique bouillonne » dans un monde où Franco est au pouvoir. Elle raconte sa famille catalane, son père introuvable, la brutalité politique qui a abimé les siens, la soif de liberté des femmes et porte sur la ville de Barcelone un regard tour à tour inquiétant et prodigieux. Un roman qui raconte une époque (il est paru en 1977) avec intelligence et férocité.
« Le Temps des cerises », de Montserrat Roig aux éditions La Croisée
« L’Insoutenable légèreté de l’être », de Milan Kundera, l’un des meilleurs livres à lire à la plage
Ecrit en 1982 par Milan Kundera (1929–2023), il fut traduit dès 1984 en France. Classique du genre où les protagonistes personnifient les grandes idées, ce roman situe son action en 1968 à Prague où le vieux monde et la modernité semblent s’affronter sur tous les territoires de la société dans le contexte du Printemps de Prague. Tomas est donc le libertin et l’amoureux, figure de l’ambiguïté et de la contradiction ; Tereza incarne la morale et la fidélité. Sabine poursuit la légèreté quand Franz, l’intellectuel idéaliste, est englué dans l’ancien monde.
N’y a-t-il pas meilleur endroit qu’une plage pour réfléchir à la risible mais nécessaire légèreté face à la pesanteur de notre destin ? On vous laisse avec ça : « L’homme ne peut jamais savoir ce qu’il faut vouloir car il n’a qu’une vie et il ne peut ne la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures. Vaut-il mieux être avec Tereza ou rester seul ? Il n’existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne car il n’existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans avoir jamais répété. Mais que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie même ? C’est ce qui fait que la vie ressemble toujours à une esquisse. Mais même « esquisse » n’est pas le mot juste, car une esquisse est toujours l’ébauche de quelque chose, la préparation d’un tableau, tandis que l’esquisse qu’est notre vie est une esquisse de rien, une ébauche sans tableau. »
« L’Insoutenable Légèreté de l’être », de Milan Kundera aux éditions Gallimard
« Pars vite et reviens tard », de Fred Vargas
Pour le « roman policier » de cette liste de livres à lire à la plage, il nous fallait un modèle du genre. Alors « Pars vite et reviens tard », paru en 2001, s’est vite imposé.
Le problème avec ce genre, justement, c’est que moins on en dit, mieux on se porte. Même la quatrième de couverture est interdite de lecture par les afficionados. On vous assure seulement qu’il vaut le détour, que les pages se tournent toute seule et que l’intrigue est bien ficelée, usant de faits historiques majeurs. Le Moyen-âge n’est pas loin, les serial killer non plus, le suspense est total… Jusqu’à la dernière page.
« Pars vite et reviens tard », de Fred Vargas aux éditions Viviane Hamy