The Good Culture
Vins et spiritueux
L’iconique maison Dom Pérignon mène l’élaboration du champagne vers un processus quasi esthétique, à travers un livre, une exposition, un discours aussi. Son chef de cave, Vincent Chaperon, en livre les principaux fragments.
L’ouvrage remarquable se veut être un catalogue raisonné, l’inventaire d’une année de ce qui s’apparente à une œuvre d’artiste : la création d’un champagne. L’objet de près de 200 pages assemble croquis, photos, collages, notes… Il documente le travail de préassemblage du millésime 2023 réalisé par Vincent Chaperon, chef de cave de Dom Pérignon et directeur artistique d’une œuvre collective.
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Sous-titré Trace, le livre a aussi fait l’objet, en juillet, d’une exposition au Palau Martorell, à Barcelone, et a accompagné le lancement international de deux cuvées de la maison : le Vintage 2015 et le Vintage 2006 Plénitude 2.
Toujours un événement à la dimension d’une marque iconique mondialement désirée, le rendez-vous Révélations a eu lieu à La Fábrica de Ricardo Bofill, une ancienne cimenterie que l’architecte catalan avait investi dans les années 70 pour y implanter son agence, dans un mélange baroque de béton et de verdure. L’espace cathédrale ajoutait une dimension sacrée à un processus créatif que nous détaille Vincent Chaperon.
Rencontre avec Vincent Chaperon
The Good Life : En lançant, il y a trois ans, le concept des Révélations, que vouliez-vous exprimer de Dom Pérignon ?
Vincent Chaperon : Ce concept est une façon à la fois réfléchie et intuitive d’ouvrir une nouvelle page, de proposer de nouvelles intentions. C’est difficile de trouver sa voie, de comprendre ce qu’on peut apporter de personnel, au-delà d’être le gardien du temple d’un style. J’ai accompli treize ans de compagnonnage avec Richard Geoffroy (chef de cave jusqu’en 2018), qui a été le premier œnologue à raconter son vin avec un discours esthétique très élevé.
Il disait souvent : « J’ai fait passer Dom Pérignon du silence au mystère. » Je me suis rendu compte que l’une de mes contributions serait de passer du mystère à la révélation. Il y a une fascination pour cette marque, mais aussi toujours une attente : qu’y a-t-il derrière ? Quels sont ces mille et un gestes, ces mille et une décisions, ces mille et une ressources qui font Dom Pérignon ? L’idée, c’est de lever le voile, de révéler, un très beau mot qui s’inscrit naturellement dans notre dictionnaire.
Le livre de l’année 2023 s’intitule Trace. Faut-il en laisser une au-delà du champagne lui-même ?
La trace peut être orale, écrite, factuelle, sensorielle, parce que cela doit se retrouver dans les vins. Quand certains amateurs de Dom Pérignon vous disent à la sortie d’un nouveau millésime qu’il a quelque chose de Plénitude 2, c’est qu’ils ressentent que nous avons tiré sur la maturité des raisins, qu’il y a plus de matière, plus d’expression… Notre rôle reste de pousser plus loin les piliers de la création.
Où commence la trace : à la vigne, dans l’assemblage… ?
Elle commence bien avant, avec Dom (Pierre) Pérignon, dans notre capacité à replonger en permanence dans cet héritage. Je suis la septième génération de chef de caves, j’ai d’abord appris, suivi, écouté, parce qu’il faut prendre du temps pour assurer cette continuité. J’ai reçu cette trace historique et patrimoniale qu’il faut creuser.
Puis il y a cette trace esthétique qui s’exprime de manière différente chaque année. Nous sommes des faiseurs, vignerons et œnologues, qui nous regroupons des centaines d’heures ensemble pour déguster et échanger sur notre manière de faire.
Le 2023 ne sera pas millésimé à cause des conditions de l’année. Quand et comment prenez-vous la décision de millésimer ou pas ?
Vincent Chaperon : Il ne sera pas millésimé au sens où il ne sera pas accessible dans le monde entier. Mais pour la première fois, j’ai décidé d’en sortir quelques milliers de bouteilles, de garder une trace patrimoniale de ce millésime. La décision se construit sur une année entière, depuis l’ouverture des bourgeons en avril, qui commence à définir un profil. Ensuite, la maturation, la vendange, la vinification, la dégustation, jusqu’aux préassemblages du mois d’avril suivant nous amènent à décider de millésimer ou pas Dom Pérignon.
Vous avez placé le lancement du millésime 2015 sur sa dimension tactile. Qu’entendez-vous par là ?
Vincent Chaperon : Le toucher nous permet d’approcher six grandes dimensions. La texture d’abord, le grain du vin : rugueux ou doux. Les Bourguignons en parlent beaucoup dans leur définition des grands vins. Le volume, ensuite, en bouche : un vin peut être très étroit, un autre très large. La forme qu’il prend aussi : pointu, rond, carré… ?
Les contours de la forme après : ferme, souple ? On peut parler également du poids d’un vin en bouche : lourd ou léger, comme le 2004, par exemple, qui nous élevait. La dernière dimension, c’est la température perçue, la fraîcheur apportée dans le champagne par beaucoup d’autres éléments que l’acidité.
Dom Pérignon est consommé dans le monde entier. Y a-t-il une manière commune de l’apprécier ?
Vincent Chaperon : Non, même s’il y a une tendance à l’homogénéisation par l’accès plus rapide, depuis trente ans, à l’information, aux produits, aux goûts. Il y a eu, depuis, un ressac vers le local, la singularité, la diversité. Entre Occident et Orient, nos approches du monde et de la nature diffèrent et se complètent.
Au Japon, par exemple, il y a une conscience du vide et du silence bien plus poussée que chez nous, où l’on préfère une forme extravertie de l’art plutôt que le minimalisme. Ce côté intangible et invisible, propre à ce pays, nous a permis d’ouvrir une porte, de communiquer quelque chose de différent de Dom Pérignon.
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