The Good Business
La start-up française Le Pavé Parisien a récemment lancé sur le marché une enceinte portable en béton. Mais sa mission dépasse largement les frontières du marché de l’audio…
La neige et le froid n’entament pas l’effervescence qui anime le quartier de Belleville dans le 20e arrondissement de Paris. C’est ici que The Good Life a rendez-vous avec Pierre-Axel Izerable, fondateur du Pavé Parisien. Sa start-up est installée à La Ruche, près de la rue des Pyrénées, un incubateur dédié aux entreprises investies d’une mission sociale.
Alors, que vient faire un fabricant d’enceintes bluetooth dans cet immeuble où il voisine avec des spécialistes de l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite ou des militants écologistes ? Le jeune patron de presque 33 ans nous éclaire : « Nous participons à la construction d’un nouveau modèle économique avec l’intuition qu’une transition aura lieu et que la production reviendra dans les zones urbaines pour réduire les coûts de transport et l’impact écologique ». On commence à comprendre.
Aussi, Pierre-Axel Izerable fait fabriquer toutes les pièces de son enceinte par des artisans français. Les haut-parleurs viennent de chez Audax dans la Sarthe, la carte électronique est assemblée en Dordogne, les grilles de protection fabriquées en Alsace et le béton à Grenoble à partir de sable sourcé de manière durable dans les carrières de la région.
Tous les éléments sont ensuite assemblés dans l’atelier du Pavé Parisien à La Ruche par la petite équipe qui constitue la start-up. Pour combattre l’obsolescence programmée, l’un des grands débats du moment, et la production de masse, l’entreprise assure que chaque pièce est démontable et remplaçable.
Artisanat et innovation
Pierre-Axel Izerable est au conservatoire, spécialisé dans la musique concrète, « un mouvement qui part du principe que tous les sons peuvent être considérés comme musicaux », lorsqu’il entend parler d’ingénieurs français qui travaillent depuis des décennies à la création d’enceintes en béton. Un projet qui n’a encore jamais abouti, le matériau étant inexploitable pour ce type de produits.
Plus tard, alors qu’il est devenu ingénieur du son, il suit avec attention un projet que son frère ainé mène dans le cadre de ses études : un canoé en béton fibré, récemment inventé. On est en 2008 et il faudra attendre quelques années pour que Pierre-Axel se lance et fabrique ses premières enceintes. D’abord pour les professionnels du spectacle avec des grands ampli et, devant l’engouement du public, pour les particuliers.
C’est ainsi qu’en novembre 2017 il valide avec ses équipes le nom de Pavé Parisien pour le premier prototype de sa petite enceinte bluetooth, « plus adaptée au grand public que les enceintes de salon ». Quelques mois plus tard, en avril 2018, la start-up se lance sur la plateforme de financement participatif KissKissBankBank. Le made in France, l’innovation que représente l’utilisation du béton, la possibilité de réparer soi-même son enceinte et la réindustrialisation urbaine sont autant d’arguments qui vont convaincre près de 200 « backers » pour près de 300 enceintes.
Impressionnant, surtout lorsque l’on imagine la réticence que l’on peut avoir à acheter un accessoire audio que l’on n’a pu ni toucher ni entendre. « On sentait que certaines personnes n’avaient pas encore confiance dans le produit, voulaient savoir si cela fonctionnait vraiment, si c’était vraiment du béton, et surtout, se demandaient pourquoi les grandes marques n’y avaient pas pensé » confie Pierre-Axel Izerable.
Car si la concurrence sur le marché de « l’audio-béton » existait au moment du lancement du Pavé Parisien, elle était principalement constituée de marques très haut-de-gamme, de niche, et sur des produits plus imposants. En effet, l’industrialisation de petits objets en béton ne serait pas rentable pour de plus grandes structures.
Le CES, ses opportunités et ses écueils à éviter
C’est donc seul sur son créneau que Le Pavé Parisien a embarqué début janvier pour Las Vegas pour le CES. Et à la grand-messe de l’innovation, la start-up parisienne a su se faire remarquer : « De nombreux visiteurs nous ont complimenté sur la qualité de l’enceinte et encouragé à continuer à développer la marque, certains nous ont même dit que le concept allait faire parler dans les bureaux d’étude des grands industriels présents sur le salon ».
Un public hétéroclite, composé aussi bien de spécialistes de l’électronique que de grands distributeurs. Quelques-uns, principalement Japonais et Américains ont même approché le fondateur du Pavé Parisien dans l’idée de distribuer l’enceinte sur de nouveaux marchés. « Nous n’étions pas là pour ça, mais simplement montrer que notre modèle économique était possible, nous ne voulons surtout pas tomber dans la production de masse. »
Un refus poli de se lier avec d’encombrants intermédiaires, sans pour autant se fermer à une internationalisation : « A l’avenir, peut-être que nous installerons des antennes du Pavé Parisien en Amérique du Nord ou en Asie, mais elles auront chacune leur identité propre, leur histoire et leurs artisans ». Dupliquer son modèle qui conjugue artisanat local, durabilité et production urbaine, c’est là le cœur de la stratégie du Pavé Parisien.
La réindustrialisation des zones urbaines au cœur du projet
Et pour continuer à se développer, d’abord en France, Izerable et ses équipes s’installeront dès la fin du printemps dans un nouvel écrin, la Métropole 19. Près du canal Saint-Martin, cet immeuble fait partie du projet Fab City initié à Barcelone avec l’objectif de ramener l’industrie au cœur des villes. Après la capitale catalane, ce sont Shenzhen en Chine et San Francisco aux Etats-Unis qui ont suivi le mouvement.
Le Pavé Parisien sera le premier membre de la Fab City Paris. « L’objectif est de redonner à Paris, où le service a pris le dessus, le pluralisme culturel que peut apporter l’implantation d’une usine comme la Métropole 19 ». En outre, fabriquer intra-muros permet de réduire l’empreinte carbone de l’entreprise. A son échelle, le Pavé Parisien participe à la réindustrialisation des zones urbaines.
De cette nouvelle usine sortiront d’abord la deuxième série de la petite enceinte connectée. Puis, plus tard, de nouveaux produits, « dans le domaine du béton et des objets connectés » et « toujours dans l’idée de faire de la qualité, réparable, à partir de produits recyclables et sourcés de façon éthique ». Chez Le Pavé Parisien, la matière grise ce n’est donc pas seulement le béton de ses enceintes…
→ www.lepaveparisien.com
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