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Malgré sa longue histoire, ponctuée de nombreux soubresauts, l’équipementier aéronautique reste animé par le même esprit pionnier depuis plus d’un siècle. La preuve avec sa dernière usine 4.0 de Toulouse, un modèle du genre.
Sur les drapeaux qui claquent au vent comme au fronton du bâtiment tout juste sorti de terre dans la banlieue de Toulouse, le nom rappelle le temps des pionniers de l’aviation civile. Il y a cent ans, quelques mois seulement après avoir fondé, en 1917, son entreprise aéronautique, Pierre-Georges Latécoère réussissait, avec son pilote René Cornemont, un vol entre Toulouse et Barcelone. C’était l’ébauche de la première ligne commerciale de transport aérien au monde.
De son histoire prestigieuse, qui a vu Latécoère être constructeur d’avions, puis compagnie aérienne, avant de se reconvertir vers la sous-traitance high-tech pour les plus grands avionneurs mondiaux, la direction actuelle reconnaît puiser des valeurs d’audace et d’engagement. « Mais, ajoute aussitôt Yannick Assouad, directrice générale du groupe depuis 2016, mon objectif est de tourner l’entreprise dans l’avenir ».
L’usine construite sur les quatre hectares acquis dans le parc d’activité de Montredon, au nord-est de la Ville rose, est la vitrine la plus tangible de ce futur vers lequel Latécoère s’est projeté à marche forcée.
Dates clés
• 1917 : fondation de l’entreprise par Pierre‑Georges Latécoère.
• 1918 : production de 600 avions biplaces de reconnaissance Salmson.
• 1919 : création de la ligne Latécoère entre Toulouse et le Sénégal.
• 1922 : Latécoère, devenue Compagnie générale d’entreprises aéronautiques(CGEA), est la première compagnie aérienne du monde avec 75 avions, 1 000 employés (dont 22 pilotes) et un réseau de 3 000 km.
• 1930 : Mermoz, Dabry et Ginié réalisent la première traversée commerciale de l’Atlantique Sud, entre Dakar et Natal, sur l’hydravion quadrimoteur Laté 28-3.
• 1930 à 1942 : production de six modèles civils et militaires.
• 1951 : participation au programme Caravelle.
• 1992 : début de l’activité d’équipementier avec l’assemblage des portes de l’Airbus A320.
• 1993 : production du fuselage arrière du Rafale.
• 2005 à 2015 : création d’unités de production au Brésil, en Allemagne, au Mexique et au Maroc.
• 2018 : ouverture de l’usine 4.0 à Toulouse et d’une usine à Plovdiv, en Bulgarie.
Une pièce à la minute
Tout juste huit mois après la pose de la première pierre, l’usine a produit sa première pièce en février 2018 : une traverse de porte d’A320 conçue par une maquette numérique. L’entreprise centenaire faisait ainsi preuve d’une agilité de start-up. D’autant que la nouvelle unité ne se contente pas d’accueillir les productions transférées depuis le site historique de Latécoère – situé, depuis 1940, rue de Périole, dans le centre-ville, et récemment vendu pour un projet immobilier. Baptisée « usine du futur 4.0 », cette smart factory entièrement numérisée, automatisée et connectée, est un outil bien en phase avec la reconquête industrielle inscrite dans le plan stratégique « Transformation 2020 » que le groupe toulousain a lancé en 2016.
L’automatisation et la numérisation doivent booster la productivité de cette usine, spécialisée dans les pièces élémentaires d’aérostructures qui sont assemblées sur d’autres sites du groupe, en France ou à l’étranger. Lorsque les machines de nouvelle génération et les robots coopératifs auront complètement investi les 5 000 mètres carrés d’atelier, les cycles de production s’en trouveront considérablement réduits. « Ils passeront de trois mois actuellement à moins de trois semaines, avance Richard Montanel, le directeur du site. L’objectif de l’usine est de produire, à terme, 500 000 pièces par an, soit une à la minute. »
Comme un robot ne dort jamais, ou presque, il peut nourrir les machines qui usinent les blocs d’aluminium pour en faire des traverses ou des bras de portes jusqu’à dix-huit heures par jour, week-ends compris. « Cela nous permet d’utiliser à plein nos moyens de production. Le rendement synthétique des machines est actuellement de 95 % », se réjouit Richard Montanel.
Dès le printemps 2019, la performance s’améliorera encore avec le renfort d’une seconde tranche d’outillages toujours plus sophistiqués. Ainsi, les deux machines en cours d’assemblage au centre du bâtiment travailleront plus vite que les actuelles (30 000 tr/min contre 20 000). Mais surtout, leur approvisionnement en matière première et en outillage sera entièrement automatisé. D’un côté, une tour de chargement recevra la matière première (des blocs d’aluminium) ; de l’autre, un silo accueillera les outillages nécessaires à l’usinage des diverses pièces fabriquées.
La combinaison des deux sera confiée à un robot. Aujourd’hui, c’est un ouvrier qui positionne le bloc d’aluminium sur la machine, d’un geste répétitif. « Demain, son travail sera requalifié vers le contrôle et la maintenance prédictive », précise le directeur de l’usine.
Trente-sept millions d’euros ont été injectés dans la construction de ce site industriel, avec l’aide de la Banque européenne d’investissement (BEI), dans le cadre du plan Juncker pour l’investissement en Europe. L’aménagement du bâtiment sera complété, à l’automne prochain, lorsque les activités de chaudronnerie et de tôlerie – dédiées notamment aux racks électriques – y seront transférées depuis le site de la rue de Périole. Toutefois, une extension de 3 000 mètres carrés est d’ores et déjà en cours d’achèvement, pour un investissement supplémentaire de 10 millions d’euros.
Des engins de terrassement tracent les fondations d’une unité qui abritera, dès 2020, des activités de traitement de surface et de peinture, jusque-là sous-traitées. Une réinternalisation qui devrait favoriser une substantielle réduction de coûts.
Chiffres clés
• Chiffre d’affaires : 659,2 M € en 2018. 652,5 M € en 2017, dont 53,2 % générés par Airbus, 18 % par Boeing, 17,5 % par Embraer, 4,9 % par Dassault et 6,4 % par d’autres, dont Bombardier.
• Les aérostructures représentent en 2017 61 % du chiffre d’affaires contre 39 % pour les systèmes d’interconnexion.
• Effectifs : 4 451 salariés, dont 35 % en France, répartis dans 12 pays.
• Implantations : 7 sites en France et 13 à l’étranger (Etats-Unis, Mexique, Brésil, Maroc, Tunisie, Allemagne, Tchéquie, Bulgarie, Inde, Japon).
• Actionnariat : fonds d’investissement Apollo (Etats-Unis), 14,93 % ; Monarch (Etats-Unis), 10,4 % ; Tikehau (France), 5,31 % ; Sterling Strategic Value Funds (Monaco), 3,66 % ; Financière de l’Echiquier (France), 3,11 % ; Dimensional (Etats-Unis), 2,42 % ; personnel Latécoère (France), 2,2 %.
Jumeau numérique
Si la nouvelle usine a pu grandir aussi vite, et si elle peut se moderniser et développer ses process tout en assurant une production optimale, c’est grâce à son « jumeau numérique ». Cet outil informatique avait été créé pour visualiser le chantier en amont. Désormais, ce modèle numérique de l’usine, dans lequel on se promène virtuellement, grâce à des lunettes 3D, donne la possibilité de simuler et de tester tous les scénarios imaginables d’amélioration des flux de production.
On peut ainsi concevoir un ballet de robots transportant d’un poste à l’autre des pièces qui sont, d’ores et déjà, géolocalisées. La présence physique de ces robots de transfert n’est plus qu’une question de mois. Déjà, dans les allées de Montredon, il est possible de tomber nez à nez avec Keylo.
Dernier-né de la start-up toulousaine Wyca Robotics, ce robot prend peu à peu ses marques dans son futur lieu de travail. Son rôle sera double : d’une part, l’accueil des visiteurs ; de l’autre, la sécurité. Bientôt, chaque week-end et chaque nuit, ce vigile doté de circuits imprimés fera ses rondes dans les locaux vides.
Capable de détecter tout dysfonctionnement, depuis l’arrêt intempestif d’une machine jusqu’à une simple fuite d’eau, Keylo sera le garant d’une sécurité à distance. Actuellement d’une centaine de salariés, les effectifs de « l’usine du futur » culmineront, in fine, à 150 personnes. Pour la patronne de Latécoère, Yannick Assouad, des machines autonomes permettant de produire plus vite – donc moins cher –, gérées par un personnel plus qualifié, sont l’unique moyen pour investir dans un outil industriel en France, en raison des coûts élevés du travail. Simultanément à son joyau 4.0 de Toulouse, Latécoère a ouvert, en 2018, une usine d’assemblage en Bulgarie, avec la création d’environ 400 emplois.
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