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Kelly Slater est aussi un maître Yoda au mental de fer et un adepte d’un nutritionnisme radical, peut-être golfeur pro en 2025 - TGL
Kelly Slater est aussi un maître Yoda au mental de fer et un adepte d’un nutritionnisme radical, peut-être golfeur pro en 2025 - TGL
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La dernière vague de Kelly Slater ? Rencontre exclusive

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Champion hors norme et icône de la pop culture, le Michael Jordan du surf est aussi un maître Yoda au mental de fer et un adepte d’un nutritionnisme radical, peut-être golfeur pro en 2025. Monsieur Parfait, en somme.

Il possède déjà son rond de serviette à la table du panthéon du sport, bien assis à côté de ces rares champions à avoir battu tous les records de leur discipline tout en l’incarnant à eux seuls, et bien au-delà de leur terrain de jeu. Ainsi de Michael Jordan, Pelé, Roger Federer, Mohamed Ali. Kelly Slater, 53 ans, est définitivement de ce bois-là.


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Rencontre avec Kelly Slater

Icône du surf et de la pop culture, businessman, musicien et golfeur, le premier véritable athlète de ce circuit professionnel repousse l’inéluctable grâce à ce corps et ce mental qu’il bichonne depuis trente-cinq ans. Jusqu’à quand ? Le 16 avril 2024, sur le spot de Margaret River, en Australie, la légende aux onze titres de champion du monde est éliminée en seizièmes de finale de la cinquième étape de la World Surf League.

Portrait de Kelly Slater.
Portrait de Kelly Slater. Matias Indjic

Trop loin des meilleurs, il ne franchit pas le cut de mi-saison et laisse entrevoir que, cette fois, oui, la retraite approche. « C’est comme ça, tout a une fin. » Vraiment ? C’est évidemment la première question que l’on pose au membre du Surfer Squad de Breitling, récemment de passage à Paris. Magnéto.

The Good Life : Comment allez-vous depuis le 16  avril 2024, date à laquelle vous avez décidé de raccrocher les boards ? En avez-vous réellement terminé avec la compétition ? C’était le 16 avril ?

Kelly Slater : Je ne me souviens pas de la date, et je m’en porte très bien. [Sourire.] De manière générale, je ne crois jamais à la fin de quoi que ce soit. Ma vie n’est certes plus celle d’un compétiteur à temps plein, mais j’ai quand même participé à trois compétitions depuis le printemps dernier. Je le vis comme une transition, un atterrissage en douceur. Dans les mois qui viennent, je vais encore bénéficier de wild cards et continuer de me mêler un petit peu au circuit. Et puis il y a encore une chance que je sois numéro un mondial ! Si je surfe la première étape du World Tour et que je gagne, je revêtirai de nouveau le maillot jaune ! Si j’y parviens, alors là oui, je dirai « au revoir ». [Rires.]

Craignez-vous ce que les retraités du sport de haut niveau nomment la « petite mort » ?

Il y a de la tristesse, oui. Ma compagne a pleuré en avril dernier. Mais nous avons eu un enfant en juillet, une semaine avant le début des jeux Olympiques, pour lesquels je n’ai pas réussi à me qualifier. Le timing de cette naissance était parfait pour moi, je me suis concentré sur lui. Je ne me plains pas.

Avec Kalani Miller, sa compagne depuis 2006, fondatrice d’une marque de maillots de bain.
Avec Kalani Miller, sa compagne depuis 2006, fondatrice d’une marque de maillots de bain. DR

Début 2024, dans The Good Life, le surfeur tahitien Kauli Vaast nous disait combien vos conseils lui avaient été précieux depuis le début de sa carrière. L’été dernier, il est devenu champion olympique. Mais que lui avez-vous dit ? 

C’est un secret. En vérité, je ne suis même pas sûr que l’on ait déjà fait une véritable session de coaching ensemble. Nous avons beaucoup surfé tous les deux ou discuté avec des amis communs ; des moments pendant lesquels j’ai pu lui prodiguer quelques tips. Je me souviens quand même l’avoir conseillé une fois juste avant un concours et… il m’a battu ! À partir de ce moment-là, j’ai décidé de ne plus jamais l’aider ! [Rires.] Avant les jeux Olympiques, je lui ai simplement dit qu’il savait ce qu’il avait à faire.

C’est-à-dire ?

Il y a des spots dont on n’a pas besoin de savoir grand-chose pour bien y surfer. Il suffit d’attraper la vague. Mais il faut comprendre que Teahupo’o [le spot de Tahiti qui a accueilli l’épreuve de surf aux Jeux de Paris 2024 et où vit Kauli Vaast, NDLR] n’en fait pas partie. Ce coin est vraiment spécial. Je l’ai surfé maintes fois depuis 1993, et j’y ai même passé quelques semaines en 1996. J’étais à l’eau tous les jours, toute la journée.

Lui qui semble avoir acquis une connaissance intime de l’océan et une maîtrise parfaite de son sport n’en est pas moins toujours à la recherche de la vague suivante.
Lui qui semble avoir acquis une connaissance intime de l’océan et une maîtrise parfaite de son sport n’en est pas moins toujours à la recherche de la vague suivante. DR

Cette vague, j’ai essayé de la comprendre et d’apprendre sesmoindres secrets, sa taille, ses angles, son vent… Elle est très complexe. Les facteurs météo changent tout le temps, le reef [fond marin fait de roches ou de coraux, NDLR] est à fleur d’eau, ce n’est jamais vraiment la même vague et les plus grosses ne sont pas forcément les meilleures à prendre. Si tu y surfes tous les jours ou presque, comme Kauli, tu sais des choses que personne ne saura jamais de cette vague. Il la connaît naturellement et d’instinct. Il n’avait pas besoin qu’on lui apprenne grand-chose sur ce spot.

Mais quel est ce fameux conseil ?

Allez, on veut savoir ! Selon moi, pour un surfeur de ce niveau, sur un spot pareil, c’est surtout une affaire de mental. Je lui ai donc juste dit d’emmener son esprit loin de la pression, le jour J, et de profiter de cette excitation d’être exactement là où il voulait être quand il était un gamin. Et que même s’il perdait, il aurait gagné, ne serait-ce que parce qu’il aurait vécu quelque chose de spécial.

Comment appréhendez-vous votre statut d’icône, le fait d’avoir inspiré tant de générations de surfeurs ?

Je n’y pense pas, je n’ai pas besoin de ça. J’essaie simplement de donner, de partager mes connaissances et mon expérience avec tout le monde. Je fais partie de ceux qui croient que cet échange peut aider. Il n’y a pas un surfeur sur le Tour que je refuse de conseiller s’il me le demande. Celui que j’ai le plus cherché à épauler est Kanoa Igarashi, l’un des premiers que j’ai appelés pour tester la vague du Surf Ranch. Mais il ne m’a jamais payé ni donné quoi que ce soit en retour. Je veux juste partager mon savoir. Et si ça aide, c’est super.

Portrait de Kelly Slater.
Portrait de Kelly Slater. Matias Indjic

Durant votre carrière, votre gros point fort a été votre force mentale. Comment l’avez-vous travaillée ?

Le mental vient avec l’habitude, notamment celle de perdre, car la défaite arrive plus souvent que la victoire. Le mien s’est forgé au fil des centaines de compétitions du Tour auxquelles j’ai participé dans ma vie. J’ai accompagné cela d’un gros travail personnel entrepris il y a vingt-cinq ans. J’ai commencé par suivre des cours qui m’ont aidé à travailler sur mon esprit, puis auprès de mon ami triathlète Ironman, Trevor Hendy, qui est aussi coach mental. Cet homme est comme un grand frère pour moi.

Son travail est basé sur la connaissance profonde de soi, la guérison métaphysique, le fait de transporter l’énergie dans tous les aspects de votre vie et de réagir de la même manière en toutes circonstances. Tout ce qui vous arrive dans la vie, le bon comme le mauvais, vous l’abordez de la même façon. Plus une personne parvient à se détendre dans sa manière de réagir et à accepter ce qui lui arrive, plus elle est libre. On a tous besoin de libérer nos émotions. Je continue de consulter Trevor. Il y a quelque temps, au milieu de la nuit, je regardais mon enfant et me posais mille questions troublantes. Je lui ai envoyé un SMS : « J’ai besoin d’aide. » Puis nous nous sommes parlé.

En plus de l’aspect mental, vous êtes l’un des premiers surfeurs à avoir professionnalisé la discipline en matière de préparation physique, de nutrition… Qui vous y a initié ?

Je l’ai compris très tôt, à 17 ans. D’abord grâce à Tom Curren [champion du monde de surf dans les années 1980, NDLR], chez qui j’ai séjourné lors de ma première visite en France, en 1989, avant de devenir professionnel. Puis, l’année suivante, après avoir signé chez Quiksilver, grâce à Tom Carroll [premier surfeur millionnaire grâce à son contrat avec cet équipementier, NDLR], avec qui je voyage donc beaucoup. Mes deux mentors étaient alors très en avance sur leur temps en matière de nutrition et de préparation physique.

À ses débuts en 1991. Un an plus tard, il remporte les Pipeline Masters, son premier titre mondial.
À ses débuts en 1991. Un an plus tard, il remporte les Pipeline Masters, son premier titre mondial. Getty Images

On dit souvent que votre génération a sonné la fin de la fête dans le surf…

À cette époque, la plupart des autres surfeurs sont des fêtards qui restent debout toute la nuit, boivent de l’alcool, prennent de la drogue. Ils sont très forts sur une planche, et je le suis autant qu’eux, mais je suis mieux préparé qu’eux mentalement et physiquement. Au fond de moi, à ce moment-là, je sais que surfer est mon plus grand talent, que c’est ma chance de faire de ma vie quelque chose de grand, peut-être même d’exceptionnel.

Je sais aussi que si je fous ça en l’air avec toutes ces choses autour, je ne me donnerai pas cette possibilité de réussir. Par chance, mes amis surfeurs, comme Rob Machado ou Shane Dorian, étaient comme moi, des mecs clean et sobres. Alors évidemment qu’il m’est arrivé de sortir et de faire la fête, mais c’était occasionnel. Et jamais de drogue. Jamais.

Comment vous éclatiez-vous, vous et vos amis ?

Notre trip, c’était de surfer, faire des vidéos, participer à des compétitions, gagner un peu d’argent. C’était suffisamment fun pour nous ! Pas besoin de drogue ! Lors de ma première année sur le Tour, à 19 ans, mon pote australien Shane Powell prend la troisième place en battant Tom Curren, à Lacanau, en France. Il remporte 3 000 dollars – que quelqu’un du concours lui a volés d’ailleurs. Avec ce résultat et cette victoire de Shane sur Tom Curren, tout le monde s’est mis à penser que cette génération pouvait changer la donne, ouvrir une porte. Cela a été très inspirant pour nous.

À 53 ans, la légende vivante, qui a profité des conseils de ses pairs, se met à l’heure de la transmission (chemise et pantalon perso, montre Breitling).
À 53 ans, la légende vivante, qui a profité des conseils de ses pairs, se met à l’heure de la transmission (chemise et pantalon perso, montre Breitling). Matias Indjic

Quelle était votre routine quotidienne à l’époque ?

Au début, surfer, surfer, surfer. [Rires.] À l’époque, jamais je n’au – rais imaginé faire attention à mon régime alimentaire. Je faisais juste attention à bien manger, à vivre le plus sainement possible. J’ai commencé à m’intéresser à la nutrition quand j’ai lu Fit for Life [best-seller de Harvey et Marilyn Diamond paru en 1985, NDLR]. Le livre est centré sur les combinaisons d’aliments, le fait de ne pas associer les protéines et les glucides dans un même repas, par exemple, même pour un sandwich au poulet. À l’époque, je vis quasiment non-stop avec Shane Dorian, à qui je dis quoi manger ou non, et je teste ces recettes sur nous pendant un an.

Je deviens presque un vrai chef. Plus tard, je me suis inspiré de Rickson Gracie, pratiquant de jujitsu et adepte de la Gracie Diet. Puis j’ai découvert The Tao of Health, Sex, and Longevity, de Daniel Reid, qui est devenu ma bible en matière de nutrition, mais aussi de santé, de savoir-vivre. Je dois être honnête : je l’utilise beaucoup  moins aujourd’hui. Je suis plus « relax » maintenant que j’approche de la retraite. Je me fais de bons repas. [Rires.] Ma compagne et moi, nous cuisinons beaucoup. Je prépare le petit déjeuner et elle s’occupe du dîner.

Comment avez-vous géré votre carrière ? Comme un businessman ou comme un artiste ?

Les deux. Peut-être plus comme un artiste, mais aussi comme un scientifique, car j’ai beaucoup et très tôt étudié les données et les statistiques de mes adversaires, leurs scores, leurs figures, les types de vagues qu’ils préféraient. Mais surfer, ça reste avant tout de la créativité. Une vague offre plusieurs vitesses et plusieurs angles. La part artistique du surfeur est de choisir quels angles et quelles lignes lui semblent les meilleurs dans le temps limité dont il dispose.

Musicien à ses heures, il a fondé The Surfers en 1998 et continue à composer et donner des concerts (ici, en 2007).
Musicien à ses heures, il a fondé The Surfers en 1998 et continue à composer et donner des concerts (ici, en 2007). Redux - REA – EFE

Le temps, justement, est-il un ami ou un ennemi ?

Cela dépend de l’occasion, du moment et de la situation dans laquelle vous vous trouvez. J’ai scellé beaucoup de mes plus grandes victoires au buzzer, dans la dernière minute, parfois même à la dernière seconde. J’étais connu pour ça. Ce suspens, c’est plus excitant pour le public, et pour moi. Mais je suis aussi comme ça dans la vie, je fais tout à la dernière minute. [Rires.] Si ce n’est pas une question de vie ou de mort, je suis du genre à remettre à plus tard. J’adore cette phrase de l’écrivain Mark Twain : « Ne remets jamais au lendemain ce qui peut être fait après-demain. »

Aujourd’hui, dans quoi trouvez-vous l’adrénaline ?

Dans le last minute, justement ! Plus sérieusement, en surf, dans l’excitation d’affronter de grosses vagues. C’est important de se faire peur de temps en temps. Avec elle, on se sent plus « réel », on sent mieux qui l’on est.

En plus du surf, vous avez été acteur, mannequin et vous êtes toujours aujourd’hui musicien et businessman. Laquelle de ces vies vous a le plus appris ?

[Il réfléchit longuement.] Je dirais l’enfance, en fait. On apprend la plupart des choses importantes de la vie à ce moment-là. 80 % de nos compétences s’acquièrent à l’âge de 2 ans. On peut toujours apprendre de nouvelles choses plus tard, clairement, mais c’est dans notre jeunesse que l’on intègre l’essentiel : maîtriser les bons gestes, développer les bonnes pensées, reconnaître les bonnes personnes. Si je suis devenu un surfeur compétiteur, c’est surtout parce que j’étais un gamin compétiteur. Tout était bon pour rivaliser et me frotter à mon grand frère et ses amis, au football, au basket, au skate.

Son prochain défi  sur la terre ferme : devenir un champion de golf. Ici, lors d’un match VIP de la Ryder Cup, en 2018.
Son prochain défi  sur la terre ferme : devenir un champion de golf. Ici, lors d’un match VIP de la Ryder Cup, en 2018. MAXPPP

Vous avez tout gagné, tout vécu. À quoi ressemble votre prochain objectif, votre prochain rêve ?

Gagner le Dunhill Links Championship, un tournoi de golf en Écosse, la semaine prochaine [en octobre 2024, dans le championnat par équipes où un professionnel est en duo avec un amateur, NDLR] ! C’est d’ail – leurs pour ça que je suis en Europe. J’ai commencé à jouer au golf à l’âge de 23 ans. Ça m’a énormément aidé dans ma pratique du surf, au point que mes deux premières années de golfeur ont coïncidé avec mes deux meilleures sur la planche.

Ce sport m’a permis de relativiser une fois à l’eau, car il m’a fait comprendre qu’il y aurait une autre vague, comme il y a un autre trou, un autre coup. Je ne faisais pas de compétition jusqu’à récemment. Je me débrouille pas mal, je suis scratch [joueur d’index 0, NDLR]. J’ai envie de voir jusqu’où je peux aller sur des tournois amateurs. Mentalement, je suis bien. Mais la compétition, en golf, c’est différent. Ce n’est pas naturel pour moi. Je me prends encore un peu trop la tête. Je dois apprendre à être plus relax.


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