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Même s'il se maintient vaillamment dans le peloton de tête des grands quotidiens nationaux par sa diffusion papier (plus de 10 % de parts de marché), le journal populaire de la région de Porto, âgé de 129 ans, mise sur le numérique pour conquérir de nouveaux lecteurs lusophones dans le monde entier. Et pour assurer sa survie.
« Depuis la révolution des Œillets [événements d’avril 1974 qui ont entraîné la chute du régime salazariste, NDLR], les journaux ne disposent plus de leur propre réseau et doivent s’en remettre à une régie unique qui dessert à peine 8 000 points de vente dans tout le Portugal ! C’est pour nous un lourd handicap… » soupire Afonso Camões. Carrure athlétique, cheveux gris coiffés en brosse, le directeur de la rédaction de Jornal de Notícias n’est pourtant pas du genre à se décourager. A 60 ans, cet ancien étudiant en économie passé par le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), à Paris, a presque fait le tour de tous les postes possibles du secteur de la presse et de la communication officielle. Entre autres : journaliste à Lisbonne, fondateur d’un hebdomadaire dans la ville de Castelo Branco, porte-parole du gouvernement portugais de Mário Soares à Macao, administrateur de télévision, éditeur du magazine Expresso, responsable éditorial, puis président de l’agence de presse nationale, Lusa. A la tête de Jornal de Notícias depuis novembre 2014, il mise sur le réseau de cette agence – dont son groupe, Global Media, est actionnaire à 23 % – pour pallier sa pénurie de journalistes correspondants ou envoyés spéciaux suite au dernier plan d’économie de 2013.
C’est que les ventes papier de Jornal de Notícias chutent de près de 9 % chaque année. Quant à l’édition numérique, gratuite pour le moment, elle ne rapporte pas grand-chose en publicité (12 % des recettes seulement). « Notre mot d’ordre, c’est résilience », me confie sans détour Victor Ribeiro, président de Global Media. Tout en consultant sa tablette, il énumère la petite dizaine de titres du groupe parmi lesquels figure le quotidien de Lisbonne, Diário de Notícias, dont les ventes se sont effondrées en dessous de 30 000 exemplaires. Explication avancée de cette déroute : ce titre qui excellait dans les coulisses du pouvoir se serait fourvoyé en tentant, pour élargir son audience, de jouer les tabloïds… « Difficile de le ranimer », ajoute sans grande illusion Victor Ribeiro.
Aussi, au Jornal de Notícias, encore considéré comme la vache à lait du groupe, on fait feu de tout bois. Face à la réception du siège de Lisbonne, une boutique propose à la vente une gamme hétéroclite de produits dont les publicités s’étalent dans les pages du quotidien : voitures miniatures (au prix de 7,95 euros l’unité avec le journal du jour), montre-bracelet (8,95 euros avec le journal), batterie de casseroles (129 euros avec le journal), etc. Avec le même souci de générer des revenus supplémentaires, le quotidien propose des livres ou encore l’organisation de conférences-débats. Moins glamour, plusieurs pages de Jornal de Notícias sont régulièrement consacrées à de petites annonces pudiquement qualifiées de « relaxantes », mais dont les illustrations et le propos sont bien plus explicites… Pas facile, décidément, pour un journal de dégager des bénéfices en ces temps mauvais.
Faudra-t-il que le Jornal de Notícias finisse par faire payer ses lecteurs – de plus en plus nombreux – de l’édition numérique ? Difficilement envisageable pour un titre qui, certes, n’est pas un tabloïd, mais entend rester le plus populaire du Portugal intérieur. A moins que le bingo salvateur vienne de… Macao. Un riche actionnaire chinois, citoyen de l’ancienne colonie portugaise, est sur le point d’entrer dans le capital de Global Media. Avec lui, Jornal de Notícias a déjà pu donner naissance au magazine bilingue sino-portugais Plataforma et diffusé dans les deux pays. D’autres partenariats pourraient être noués demain au Brésil, en Angola, au Mozambique ou au Cap-Vert. Avec 260 millions de lusophones dans le monde, les journalistes du quotidien de Porto ont encore de quoi rêver.
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