The Good Business
A 68 ans, Jean-Michel Wilmotte figure parmi les architectes français les plus productifs de sa génération. Pour célébrer les 40 ans de son agence, la ville de Versailles consacre une exposition monographique à celui que les puissants s’arrachent !
En cette fin d’année, la ville de Versailles célèbre Jean-Michel Wilmotte à l’Espace Richaud, installé dans la chapelle de l’ancien hôpital royal du XVIIIe siècle, qu’il a lui-même ressuscité en 2015. Pour la première fois, l’architecte français fait l’objet d’une exposition monographique (Architecture passions : 40 ans de création Wilmotte & Associés, jusqu’au 27 novembre), l’occasion de célébrer les 40 ans de l’agence à travers un parcours didactique qui raconte son fonctionnement, ses projets et, en filigrane, son succès phénoménal.
« Cette exposition est un échantillonnage de notre production à un instant T. 40 ans, c’est beaucoup trop tôt pour parler de rétrospective ! » ironise l’insatiable Wilmotte, 68 ans, toujours entre deux avions, un pied sur chaque continent. Sur l’affiche de l’événement se dresse fièrement le premier gratte-ciel de Dakar qu’il construit. Ce bâtiment témoigne du caractère éminemment international – et porté en étendard – de cette agence, qui mène actuellement plus de 100 projets dans 27 pays, « avec la même motivation ».
Dans les différents bureaux de Paris, Nice, Londres et Séoul, pas moins de 230 collaborateurs sont à l’œuvre : 23 nationalités, 40 % de femmes, 60 % d’hommes et 38 ans de moyenne d’âge. Chez Wilmotte & Associés, on aime illustrer la vivacité et le dynamisme par les chiffres. Un dernier pour la route : en 2016, il occupait la 75e place du classement des 100 cabinets d’architecture les plus importants du monde, selon le classement établi par Building Design, le magazine anglais de référence.
Wilmotte, l’omniprésent
Le lifting du Lutetia ? C’est lui. Le nouveau siège de VentePrivée.com, à Saint-Denis ? Encore lui. Tout comme la future gare du Nord, à Paris, le stade Allianz Riviera, à Nice, l’université européenne de Saint-Pétersbourg… Des stades, des tours, des musées, des centres commerciaux, mais aussi des cendriers ou des poignées de porte, à São Paulo, à Séoul, à Moscou, à Libreville ou à Bakou. Jean-Michel Wilmotte quadrille le monde en déclinant une architecture qui ne cherche ni à bousculer, ni à s’imposer. Lisse et consensuelle, accusent ses détracteurs. Respectueuse des attentes du client, rétorque l’architecte, qui ne s’est pas fait que des amis parmi ses confrères, rarement bienveillants à son égard.
Prononcez son nom dans le milieu, immédiatement les visages se crispent. Son profil d’entrepreneur et son incroyable réseau, qui lui vaut beaucoup de commandes directes, dérangent, tout comme ses accointances avec les puissants (l’État, le CAC 40, la Russie…). Car les patrons se l’arrachent. Même le Medef lui a confié la réalisation de son siège, en 2004. Et dans la profession, le fait que Jean-Michel Wilmotte ne soit pas passé par une école d’architecture passe également très mal. C’est en effet à l’école Camondo qu’il s’est formé à l’architecture intérieure, un gros mot dans le BTP. Son diplôme d’architecte DPLG, il l’obtiendra plus tard, par équivalence. Mais surtout, il y a le succès, autre gros mot dans notre pays. Les clients se passent le mot, la spirale semble sans fin. Et c’est ainsi que Wilmotte truste le marché, attrapant des commandes prestigieuses, au nez et à la barbe de ses confrères.
La signature Wilmotte
Respecter le site et son histoire, être attentif à la lumière, au végétal, aux matériaux… Difficile de dessiner les contours d’une identité Wilmotte tant ses préoccupations d’architecte sont universelles, pour ne pas dire consensuelles. C’est peut-être la clé de sa réussite. Jean-Michel Wilmotte tranquillise le chaland, ne prend pas trop de risques, mais maîtrise parfaitement ses chantiers. Réputé pour sa capacité d’écoute, il attire ceux qui n’ont ni l’envie, ni le temps d’en découdre avec les ego surdimensionnés. Alors quoi, Wilmotte rassure ? Oui, sans aucun doute. Il sait parfaitement capter les désirs des autres avec une architecture soignée, sans risque, toujours bien exécutée en grand maniaque de la qualité de réalisation. « Je suis arrivé à l’architecture par l’architecture intérieure, ce qui me vaut d’être obsédé par le détail. Je rejette le façadisme comme le pastiche. Quand je conçois un projet, je pense à la fois intérieur et extérieur », assène-t-il. Arrangeant, il n’est pas là pour imposer une vision. La posture d’architecte démiurgique, très peu pour lui. Il ne fait pas la une des médias pour les dépassements de budgets, les malfaçons ou les retards… Son carnet d’adresses, épais comme un Bottin, lui vaut d’être sollicité de toutes parts.
Avec Gehry, on s’achète l’audace. Avec Wilmotte, on s’offre « un art de construire à la française », comme le décrit François de Mazières, député-maire de Versailles : une architecture classique devenue une véritable valeur ajoutée. Ses « greffes contemporaines », ainsi que l’architecte les nomme, ont fait son succès dans le domaine du patrimoine, tout comme ses habiles mélanges entre brut et sophistiqué, autre marque de fabrique de l’agence. Il n’y a pas de style Wilmotte : « J’ai une passion pour le minimalisme et le baroque, j’oscille entre les deux sans aucun problème. » Il répond ainsi aux attentes et le fait plutôt bien. Se faire une place dans le débat architectural ne semble pas être sa préoccupation principale, et on suppose que les critiques dont il fait l’objet ne l’atteignent pas beaucoup. Pour autant, il peut parfois se retrouver au cœur de la polémique. En témoigne le centre spirituel et culturel orthodoxe russe qu’il achève à deux pas de la tour Eiffel. Surmonté de cinq dômes dorés, le bâtiment fait parler de lui, moins pour son architecture que pour son caractère politique. Ses opposants y voient un centre de propagande russe. Jean- Michel Wilmotte le considère comme une occasion supplémentaire d’affirmer la relation privilégiée qu’il entretient avec Moscou et un pays devenu son eldorado. C’est l’un des deux projets phares mis en avant dans cette exposition versaillaise. L’autre concerne la reconversion de la halle Freyssinet, classée depuis 2012 à l’inventaire des monuments historiques : un héritage industriel remarquable que l’architecte transforme pour en faire le plus grand incubateur d’entreprises au monde. Mille start-up sont attendues. Derrière le projet, Xavier Niel, médiatique patron de Free, inaugurera les lieux en 2017.
Du design à l’urbanisme
Jean-Michel Wilmotte figure parmi les poids lourds des agences françaises. Accusé d’en faire trop, on se demande s’il dit parfois non. L’éclectisme de sa production est clairement revendiqué : « La chance m’a beaucoup souri depuis quarante ans. Du design à l’urbanisme, nous traitons toutes les échelles. Notre curiosité est notre ADN, nous travaillons sur des projets incroyables, des plus humbles aux plus importants. Nous attachons autant d’importance à dessiner un petit objet qu’une tour. Je ne veux pas me spécialiser dans les grands chantiers. Je travaille sur une maison privée à Royan ou sur la réhabilitation de la halle Freyssinet avec la même envie. C’est cette diversité que je souhaite entretenir. Cette mosaïque de petits et de grands chantiers permet d’avoir toujours l’esprit en mouvement. Nous explorons tous les domaines et c’est ce qui, je pense, est passionnant dans cette agence. » Pour en témoigner en cette année anniversaire riche d’actualités, les Éditions du Regard publient, sous la plume de José Alvarez, une épaisse monographie intitulée Wilmotte. Un titre simple et efficace, à l’image de la marque qu’il est de toute évidence devenu.
Architecture passions : 40 ans de création Wilmotte & Associés, jusqu’au 27 novembre à l’espace Richaud, à Versailles.