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Le nouveau hub aérien turc veut remplacer Dubai International comme « mégaconnecteur » de l’Orient et rêve de déloger Atlanta, en tête des aéroports les plus fréquentés du monde.
Le plus grand aéroport du monde ne porte pas un nom pompeux comme on s’y attendait. Entièrement fonctionnel depuis début 2019 en Turquie, après une phase de test de deux mois, l’aérogare s’appelle tout simplement « aéroport d’Istanbul ».
Ses ambitions, elles, sont immenses. « Le futur est dans les cieux », disait déjà Mustafa Kemal – Atatürk –, le fondateur de la République turque, en 1923. Le président Recep Tayyip Erdogan poursuit cette vision en y apportant un gigantisme digne des sultans. Avec, à terme, trois terminaux, six pistes d’atterrissage et de décollage, et une capacité de 150 à 200 millions de passagers par an, le nouvel aéroport d’Istanbul, dont le coût de construction est estimé à 10,5 milliards de dollars, veut ouvrir « un nouveau chapitre de l’aviation », selon son président- directeur général, Kadri Samsunlu. Et aller là où aucune plateforme aérienne n’est allée jusqu’ici.
L’aéroport Heartsfield-Jakson, à Atlanta, voit passer 104 millions de voyageurs annuellement, le record actuel. Aucun autre, ni Beijing-Capital, ni Dubai International, n’atteint la barre des 100 millions. Plus prosaïquement, pour sa première phase d’opération (sur les quatre prévues au cours des dix prochaines années), l’infrastructure aéroportuaire de 7 650 hectares (le double de la superficie de Roissy-Charles-de-Gaulle) compte deux pistes d’atterrissage et de décollage, et un gigantesque terminal de 1,4 million de mètres carrés, un rien plus petit que le terminal 3 de Dubai International.
A son inauguration, en octobre dernier, sa capacité d’accueil était de 90 millions de passagers par an, soit plus que Londres, Paris et Francfort. D’ici à 2020, une troisième piste devrait être ajoutée, ce qui fera du principal aéroport d’Istanbul un acteur incontournable dans la région. Si tout se déroule comme prévu, les six pistes devraient être achevées en 2028. « L’objectif est de nous hisser à la deuxième place des aéroports les plus fréquentés d’ici à deux ou quatre ans, et de remplacer Atlanta dans sa position de leader lorsque toutes les phases seront achevées », affirme Kadri Samsunlu, président-directeur général d’IGA, le consortium d’entreprises turques qui a remporté, en 2013, l’appel d’offres pour la construction et la gestion du nouvel aéroport, écartant TAV, l’opérateur turc traditionnel, détenu à 46,1 % par ADP.
Chiffres
L’aéroport d’Istanbul c’est, à terme :
• une surface totale de 76,5 millions de m²,
• de 150 à 200 millions de passagers,
• 6 pistes indépendantes,
• la plus grande zone de duty free du monde, installée sur 55 000 m²,
• l’un des terminaux les plus étendus du monde avec un total de 1 400 000 m²,
• le plus grand parking d’Europe avec 24 000 places.
Istanbul, à la croisée des continents
Depuis toujours passage naturel entre l’Occident et l’Orient, Istanbul présente des avantages de taille. Premièrement, sa position géographique, qui la place à 3 heures et demie de vol de Paris, à 4 heures de Londres, à 9 heures de Pékin, à 12 heures de Tokyo et à 11 heures du Cap. A terme, l’aéroport d’Istanbul desservira 300 destinations, 50 en Turquie et 250 à l’international, et une centaine de compagnies devrait l’emprunter. Deuxièmement, un marché intérieur de plus de 80 millions de Turcs et une économie dynamique.
Troisièmement, moins de contraintes opérationnelles que dans les pays du Proche-Orient [les compagnies aériennes turques font partie du classement européen de l’Association internationale du transport aérien (IATA) ; le Proche-Orient est entendu ici comme ne comprenant pas la Turquie, NDLR], notamment en termes d’usage militaire de l’espace aérien.
Le président Erdogan a fait le pari de l’aérien dès son arrivée au pouvoir, il y a quinze ans. Sous ses auspices, Turkish Airlines, détenue à 49 % par l’Etat, est passée du statut d’entreprise locale à l’une des compagnies aériennes les plus demandées au monde.
Mais à Istanbul, la plus grande ville et la « vitrine » de toute la Turquie, l’aéroport international Atatürk, inauguré en 1924, est congestionné. Plutôt que de l’agrandir, l’Etat a choisi de construire un nouvel ouvrage aux dimensions titanesques, à 35 km au nord de la ville, dans une ancienne zone minière, sur les bords de la mer Noire, au grand désespoir des écologistes. La construction a été menée à un rythme d’enfer sur quarante-deux mois, avec un triste bilan humain : selon les autorités, 28 ouvriers y ont trouvé la mort, davantage selon les syndicats.
Un « superconnecteur » aux allures de mosquée géante
De très hauts plafonds en forme de dômes perforés, laissant passer la lumière naturelle… Pour le design du gigantesque terminal de l’aéroport d’Istanbul, Andrew Thomas, architecte en chef du prestigieux bureau Grimshaw Global de Londres, s’est inspiré des élégantes mosquées et hammams du maître de l’architecture ottomane, le grand Mimar Sinan, qui signa bien des bâtiments à la gloire de Soliman le Magnifique. Mais il a aussi pensé au confort de la navigation dans un édifice surdimensionné. Andrew Thomas et son équipe ont choisi d’adopter les principes de la biophilie en introduisant des matériaux comme le bois et de la végétation au sein de l’aérogare. Le passager en transit est une cible privilégiée de la stratégie de l’aéroport et de Turkish Airlines, rappelle l’architecte. « L’expérience du passager en transit doit être intuitive et proposer des options variées, pour un transfert rapide, ou bien, au contraire, offrir la possibilité de se relaxer, de se divertir ou de faire des achats entre deux vols. Avoir un seul terminal dans une même enceinte rend les choses bien plus faciles », conclut‑il.
Concurrencer les « superconnecteurs »
Le nouveau hub aérien d’Istanbul, six fois plus vaste que l’aéroport international Atatürk, est indispensable si la Turquie veut continuer de jouer son rôle de carrefour aérien mondial, entre l’Asie, le Proche-Orient, l’Europe, mais aussi l’Afrique.
Grâce à ce nouveau hub aux capacités renforcées, Istanbul et Turkish Airlines entendent faire de l’ombre aux « superconnecteurs » que sont Dubai International, Doha-Hamad et Abu Dhabi International, et aux compagnies aériennes dominantes dans la région : Emirates, Qatar Airways et Etihad.
Selon IGA, l’expansion de l’aérogare d’Istanbul devrait profiter à l’essor de ses voisins européens, tels que Londres-Heathrow, Amsterdam-Schiphol et Frankfort. Turkish Airlines a d’ores et déjà indiqué dans un communiqué qu’elle fera passer sa flotte de 330 à 500 appareils d’ici à 2023.
« L’ouverture de ce nouveau hub est une chance pour nous, mais aussi un défi, du fait de la concurrence avec les autres lignes aériennes qui l’utiliseront », confie un responsable de Turkish Airlines, sous couvert d’anonymat. Si le nouveau hub d’Istanbul part avec de nombreux avantages, son pari n’est pas gagné d’avance.
Les deux aéroports d’Istanbul, celui d’Atatürk, sur la rive européenne, et Sabiha Gökçcen, sur la rive asiatique, cumulaient à eux deux 95,1 millions de passagers en 2017, avec une croissance, respectivement, de 5,5 % et 5,8 %. Or, l’aéroport d’Istanbul table sur 90 millions de passagers dès la première année d’exploitation en remplacement de celui d’Atatürk, qui fermera ses portes, alors que Sabiha Gökçcen continuera d’absorber environ un tiers du trafic aérien d’Istanbul.
D’où viendront les passagers ? Pour IGA, son méga-aéroport ultramoderne va profiter de la croissance mondiale du trafic aérien, qui pourrait presque doubler d’ici à 2036, selon l’Association du transport aérien international (IATA). Les défis existent en termes techniques.
Personne, à ce jour, n’a géré un aéroport aussi vaste et qui restera, pour un certain temps encore, très mal desservi par les transports en commun. Une ligne de métro n’est pas attendue avant 2020… Confiant, Kadri Samsunlu, le président- directeur général d’IGA, regarde vers le futur : « Nous sommes ici pour garantir notre développement, pas seulement pour aujourd’hui, mais pour les 25 prochaines années. » Rendez-vous en 2044.
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