- Getaway>
- The Good Guide>
Située sur le littoral brésilien, entre Rio de Janeiro et Sao Paulo, Ilha Grande est un petit paradis de nature préservé, idéal pour déconnecter et se ressourcer. Départ imminent.
Le speed boattangue violemment après chaque grosse vague, éclaboussant la petite trentaine de passagers à bord. Le capitaine, un jeune homme en maillot du Flamengo, l’une des quatre équipes de foot de Rio, sourit en entendant les gens crier. On maintient les enfants en bas âge fermement sur les genoux, on retient les casquettes et les chapeaux de paille qui menacent de s’envoler et on désigne du menton cette dame âgée, imperturbable, les yeux rivés sur son ouvrage au crochet qui progresse en dépit du roulis. Le bateau est parti de l’embarcadère de Conceição do Jacareí, l’un des trois points de départ pour Ilha Grande, à environ 150 kilomètres de Rio.
À lire aussi : Croisière en dahabieh, au fil du Nil : éloge de la lenteur
L’île aux trésors
Depuis quelques années, sous l’influence des ambiances de spring breaks américains popularisées par les blockbusters, certains bateaux sont équipés de petits toboggans et de bouées en forme de flamants roses. Leurs enceintes crachent des tubes de variété internationale et la caïpirinha coule à flots, pour le plus grand bonheur des jeunes gens ayant le cœur bien accroché. Les rivages de l’île se dessinent à l’horizon.

Ce petit paradis tropical de lagons turquoise, de cascades, de piscines naturelles et de biodiversité est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2019 : 193 km2 , 29 km de long, 11,8 de large et 113 plages de sable fin. Jadis, l’île n’apparaissait même pas sur les cartes, ce qui en faisait un repaire idéal pour les pirates de tout poil.
« Ils se cachaient sur l’île pour attaquer les navires chargés d’or et ils en profitaient pour se ravitailler en vivres dans les plantations », me confie Marcio Ranauro, anthropologue à l’université d’État de Rio de Janeiro. « Pendant longtemps, poursuit-il, les populations se sont éloignées des plages pour éviter les attaques. Elles ont construit les exploitations agricoles dansles collines. »

Au débarcadère de Vila do Abraão, les passagers des ferrys et ceux des petits rafiots avancent en file indienne. La dame au crochet n’a pas levé les yeux, répétant son geste rotatif. Les insulaires transportent des marchandises qu’ils ont achetées en ville : ici, un four, là, un ventilateur, lesquels s’entrechoquent avec les sacs à dos gigantesques d’un groupe de jeunes européens arborant des tee-shirts à l’effigie de leur école de commerce.
Pirates et poissons multicolores
Un couple mi-chilien, mi-argentin protège un grand tableau de bois auquel sont accrochés des dizaines de bijoux d’artisanat qu’ils sont venus vendre sur les plages. « Lorsque les premiers colons débarquèrent sur l’île, au début du XVIe siècle, elle était habitée par des tribus Tamoios, nous informe un monsieur en chemise de lin. Ils avaient surnommé leur terre ‟IpaumGuaçú”, enlangue tupi : Grande Ile, Ilha Grande, en portugais. »

Sur la rue principale, des porteurs de bagages équipés de grands charriots négocient avec les nouveaux arrivants. « Votre hôtel est loin, en hauteur, dans la forêt, il y aura un supplément », tranche fermement celui-ci. « Il a plu et la route est boueuse. Vous n’arriverez pas à faire rouler vos valises, insiste un autre. Je vous fais un prix ! »
L’histoire d’Ilha Grande comprend à peu près tous les ingrédients de base des bons récits insulaires : des pirates, donc, des forêts enchantées, des grottes, l’épave sous-marine d’un navire, un phare, un trésor jamais retrouvé, des alligators, des poissons multicolores et des animaux aux noms improbables (des paresseux à crinière, des singes hurleurs bruns, des amazones à sourcils rouges, semblables à des perruches).
Et des souvenirs abjects : des tribus indigènes massacrées, des esclaves trimant dans des plantations de canne à sucre et de café, ou encore, un pénitencier. J’interroge Marcio sur la présence du fameux trésor. « Les habitants te diront que le vrai trésor, c’est leur île tout entière ! » me répond-il malicieusement. Elle est d’ailleurs classée en zone protégée dans son intégralité et comprend plusieurs réserves naturelles.

Sans voiture, ni banque, ni distributeur de billets, régulièrement victime de pannes de réseau et de coupures d’électricité, elle est l’endroit parfait pour une robinsonnade les pieds dans le sable. On se réveille en écoutant le bruit du ressac mêlé au chant des colibris nichés dans la forêt atlantique. Il est recommandé de choisir un hébergement légèrement dans les hauteurs pour progiter d’une vue panoramique sur la baie.
De petites embarcations proposent des croisières à la journée pour faire le tour de l’île, dorer sur ses plages désertes, se poser sur les criques , nager dans une piscine naturelle au milieu des poissons multicolores (notamment les sergents-majors, jaune et noir, emblématiques de l’île) ou se baigner dans une rivière d’eau douce – avant que celle-ci ne débouche sur une mangrove peuplée de reptiles.
Randonnées et cocotiers
La plage la plus célèbre de l’île se nomme Lopes Mendes. Son décor de carte postale apparaît depuis l’océan si l’on vient en bateau, ou entre les arbres, si on la gagne par l’un des chemins de randonnée. La Praia do Aventureiro est, quant à elle, très prisée par les surfeurs, les campeurs et les amateurs de nuit à la belle étoile dans un hamac. On la reconnaît à son incontournable cocotier qui surgit de l’eau en angle droit.

À Praia Vermelha, on s’invente des histoires autour de l’épave du navire Vapor Califórnia. Pour les grimpeurs, des treks mènent à deux pics d’environ 1 000 mètres : le Pico da Pedra D’Água et le Pico do Papagaio. De nombreux jeunes gens venus de pays limitrophes ou des grandes villes s’improvisent guides. Waldeck Tenorio, lui, est natif de l’île.
Ses grands-parents étaient des pêcheurs de sardines – Ilha Grande compta jusqu’à vingt conserveries dans les années 70 – et son père fut le gardien de la prison. Il connaît l’histoire des lieux comme sa poche et la raconte dans quatre langues avec beaucoup d’aisance, en emmenant les voyageurs à la découverte des ruines planquées dans la végétation et des petites chapelles plantées sur les plages.
Il transporte les histoires d’un bout à l’autre d’Ilha Grande. Un peu comme l’a fait Marcio Ranauro il y a quelques années. « Comme il n’y a ni voiture ni route, les différentes communautés n’ont pas de contact entre elles, elles ne se connaissent pas, explique l’anthropologue. Elles sont très isolées les unes des autres. »

De cette réalité qui aurait pu inspirer le scénario de la série Lost, diffusée dans les années 2000, il a lancé un projet consistant à documenter la vie des quelque 10 000 habitants de l’île, à les faire se rencontrer et à les aider à s’informer mutuellement en créant un journal local.
Le soir, à Vila do Abraão, on s’installe dans un des petits restaurants les pieds dans l’eau pour siroter une bière fraîche et déguster la spécialité du coin, le peixe com banana, un poisson grillé servi avec des bananes frites, des crevettes, du riz et de la farine de manioc. Avant de se laisser bercer par le son des vagues ou un air de bossa nova.
À lire aussi : Fort Worth, le détour incontournable d’un road trip au Texas