Culture
Dans sa série After Schengen, le photographe espagnol est parti sur les traces des témoins d’une époque (que les moins-de-20-ans ne peuvent pas connaître...) où, en Europe, la circulation des biens et des personnes était entravée. En posant son regard sur ces anciens postes-frontières, Ignacio Evangelista cristallise leur fascinante déliquescence. Mais quel graphisme !
« Quand j’étais petit, raconte Ignacio Evangelista, j’étais fasciné par les cartes et, surtout, j’aimais observer les lignes de démarcation entre les pays. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi ces frontières étaient si droites dans certaines parties du monde, comme à l’intérieur de l’Afrique ou des Etats-Unis, et si déformées et étranges ailleurs, comme en Europe. A l’époque, j’en ai tiré la conclusion que les Africains devaient être beaucoup plus intelligents que les Européens ! Evidemment, je n’avais jamais entendu parler de colonialisme. »
Le 14 juin 1985, cinq Etats membres de la Communauté européenne – la RFA, la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg – signaient l’accord de Schengen, décidant la suppression des contrôles à leurs frontières communes et permettant la libre circulation de leurs populations. Aujourd’hui, l’espace Schengen comprend les territoires de 26 Etats européens.
Entre-temps, Ignacio Evangelista a grandi et est devenu photographe. « Je faisais des études de psychologie, mais j’ai fini par tomber amoureux de la photographie. J’ai commencé à mener une double vie : étudiant la journée et assistant de photographe de mode le soir et la nuit. C’est là que j’ai tout appris. La lumière, les couleurs, la composition. » De son enfance, il garde la fascination d’espaces soumis à l’arbitraire politique et aux aléas historiques.
De 2011 à 2016, il commence un étrange pèlerinage à travers l’Europe, à la recherche de ces anciens postes-frontières, symboles d’une époque révolue. « Dans mon travail personnel, je suis très intéressé par des endroits où la nature et l’artifice peuvent être dans une relation conflictuelle. J’ai toujours aimé les lieux qui semblent être en décalage. J’ai commencé par me rendre aux frontières espagnoles avec la France et le Portugal, mais ces endroits n’existaient déjà plus. Ils avaient été remplacés par d’immenses autoroutes ou d’autres bâtiments. Cela ne m’intéressait pas du tout. » Finalement, ses recherches finissent par le mener en Europe centrale et de l’Est, là où l’adhésion plus récente à l’espace Schengen permet d’augurer davantage de réussite.
Il sillonne ainsi l’Autriche, la Tchéquie, la Slovaquie, la Pologne ou encore la Hongrie. Partout, il découvre des sites laissés complètement à l’abandon, à la fois hors d’usage et hors de toute temporalité. « Ce sont des endroits d’une grande solitude. Ils stimulent toujours énormément mon imagination. Je me représente un jeune soldat de 18 ans, son arme à la main, fébrile et tremblotant de froid dans un paysage immaculé – peut-être son fantôme ? »
Ignacio Evangelista capture toute l’atmosphère mélancolique qui se dégage de ces reliques et de leur délabrement.
« Aujourd’hui, ces endroits ne sont plus utilisés, mais je pense qu’ils jouent quand même un rôle essentiel car ils nous montrent l’arbitraire des systèmes de contrôle, leur caractère complètement artificiel et aliénant. Un mètre à droite ou à gauche de cette ligne et tout peut changer – la culture, la langue, le système politique ou la religion. »
www.ignacioevangelista.com
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