The Good Business
Pionnier du style shabby chic dont raffolent les bobos londoniens, ce grand professionnel de l’hôtellerie est à la tête des Pig, une collection d’adresses disséminées dans la campagne anglaise, où l’art du bien-manger atteint des sommets. Rencontre.
C’est l’histoire classique du cancre devenu millionnaire. Robin Hutson, qui s’intéressait davantage aux filles qu’aux maths, rate ses O’levels (l’équivalent du baccalauréat). Sa mère l’envoie étudier l’hôtellerie et la restauration. Aujourd’hui, à 62 ans, Robin Hutson dirige le groupe hôtelier le plus trendy du moment. Les six adresses signées The Pig sont éparpillées dans la campagne du sud de l’Angleterre. Le taux d’occupation frôle les 100 %, été comme hiver.
Robin Hutson est donc un homme heureux, et ça se voit. Sourire éclatant sous une crinière blanche, le teint hâlé par son séjour de pêche à la mouche aux Seychelles, il se souvient : « Quand j’ai commencé ma carrière, l’ambiance dans les beaux hôtels était raide, surannée. Les gens avaient envie d’autre chose, de dîner sans cravate, avec leurs enfants. Et trop souvent, la cuisine n’était malheureusement pas une priorité. » Après quelques années passées à diriger une auberge campagnarde ultraclassique dans le Hampshire, il se lance.
Il hypothèque sa maison et met sa femme Judy aux manettes pour la décoration intérieure. En 1994 naît l’Hotel du Vin, suivi de cinq autres établissements que la presse consacre alors « premiers boutique-hôtels d’Angleterre ». La cuisine créative et les très bons vins sont servis par des professionnels en tee-shirt. Une révolution, que suivront d’autres, comme Nick Jones. « Un concurrent ? Non, j’étais là avant lui ! Quand Nick réfléchissait à Babington House, son premier hôtel, il est venu me voir. Puis il m’a fait entrer dans son comité de direction, où je suis resté près de seize ans. » Dans l’hôtellerie aussi, les grands esprits se rencontrent.
25 miles maximum pour tous les produits du menu
Après avoir vendu les Hotels du Vin pour la coquette somme de 66 millions de livres en 2004, Robin Hutson se cherche un peu. Ses enfants fréquentent la même école que ceux du milliardaire Jim Ratcliffe. Le magnat de la chimie a acheté un hôtel dans le Hampshire, le Lime Wood, qu’il demande à Hutson de dépoussiérer. En quelques années, le 5-étoiles devient le meilleur hôtel de la région. Les deux self-made men s’associent à 50-50 pour créer le groupe Home Grown Hotels, qui accueillera tous les hôtels The Pig. Nous sommes alors en 2010. Robin Hutson visite un vieil hôtel décrépit à Brockenhurst. En arpentant le jardin clos, avec ses murs de brique victoriens, il décide d’y lancer un vrai potager de cuisinier.
Robin Hutson en quelques dates
• 1956 : naissance à Londres.
• 1975 : premier job comme serveur au Claridge’s, à Londres.
• 1994 : crée le premier Hotel du Vin à Winchester (Hampshire) avec le sommelier Gérard Basset.
• 2004 : les six hôtels du groupe Hotel du Vin sont revendus 66 M £.
• 2004-2009 : chairman du groupe Soho House fondé par Nick Jones.
• 2009 : prend la direction opérationnelle du groupe hôtelier Lime Wood fondé par le milliardaire Jim Ratcliffe.
• 2011 : ouverture du premier Pig Restaurant with Rooms, à Brockenhurst, en association avec Jim Ratcliffe.
• 2013 : lancement du festival Smoked and Uncut, qui associe musique live et barbecues gastronomiques dans trois hôtels du groupe.
• 26 avril 2020 : ouverture du 7e Pig Restaurant with Rooms à Harlyn Bay, en Cornouailles.
« Bien sûr que ça existait, mais à toute petite échelle. Je voulais créer un restaurant où tous les légumes viennent du potager, une gastronomie très anglaise et honnête. Avec l’idée du “25 miles” maximum pour tous les produits figurant au menu. Et des chambres confortables, mais pas trop chères, pour que les gens “normaux” puissent s’offrir le séjour. J’affectionne le milieu de gamme », sourit-il. Derrière sa bonhomie à la cool se cache aussi un calcul avisé. Le marché des hôtels à la campagne est saturé sur le segment luxe. Le nom – The Pig (le cochon) – vient non pas d’un souvenir d’enfance à la ferme, mais du restaurant new-yorkais The Spotted Pig. « C’est peut-être un peu différent en France, mais ici, il fait penser à la campagne, ou à un pub accueillant et chaleureux qui n’intimide personne. »
Au Pig de Brockenhurst, les équipes se préparent pour le déjeuner. Comme dans les partitions réussies, on ne comprend pas vraiment d’où viennent la joie et le rythme. Gabor, consacré meilleur barman du sud de l’Angleterre 2019 par le prestigieux Bartender’s Guide, prépare son Forager’s Highball. Un mélange de whisky et d’herbes du jardin qu’il a cueillies puis infusées. Au mur, de surprenantes têtes de sanglier côtoient les bouteilles de vodka. Les canapés en velours ressemblent à ceux de votre grand-mère – toute la déco est signée Judy Hutson, qui écume les brocantes et les antiquaires du pays pour composer ses assemblages dans un esprit « mix and don’t match ».
Les hôtels Pig
• The Pig New Forest, Brockenhurst, Hampshire.
• The Pig-in the wall, Historic Southampton, Hampshire.
• The Pig-near Bath, The Mendip Hills, Somerset.
• The Pig-on the beach, Studland, Dorset.
• The Pig-at Combe, Otter Valley, Devon.
• The Pig-at Bridge Place, Garden of England, Kent.
• The Pig-at Harlyn Bay, Harlyn Bay, près de Padstow, Cornouailles.
Excentricité à l’anglaise
Pour chaque hôtel, elle imagine un personnage qui l’inspire. « Pour Brockenhurst, le premier hôtel, j’ai créé Grand-Tante Mabel. C’est un personnage à la Miss Marple, le genre de vraie campagnarde qui porte des cardigans troués couleur lavande et vous dit de vous déchausser en entrant. Pour le deuxième hôtel, The Pig-near Bath, il y a eu Grand-Tante Cynthia, plus raffinée et cultivée, portant un beau chignon gris et un pendentif en camée », raconte-t-elle dans Tales and Recipes from the Kitchen Garden and Beyond, petit bijou de story-telling sur la saga des Pigs.
On y découvre l’importance de certaines excentricités, comme la taxidermie. Prendre son thé sous d’authentiques canards encadrés, lire près d’un faisan empaillé fait autant partie de l’expérience que les abat-jour de soie fanés du salon. Des dames en chapeau et tailleur de tweed voisinent avec quelques familles. On commande les incontournables Brock Eggs, œufs de caille panés aux rillettes de porc, le tout arrosé de très bons vins.
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Le Londres de Robin Huston
• Un English breakfast : Cecconi’s. « Les œufs Benedict et les tartines à l’avocat sont très corrects, servis avec beaucoup d’amabilité et le spectacle est aussi dans la salle, fréquentée par un public arty. Je l’aime aussi parce que c’est l’un des restaurants de mon ami Nick Jones. »
5A Burlington Gardens, Mayfair. Tél. +44 (0)20 7434 1500. www.cecconis.co.uk
• Un bar à cocktails : The American Bar. « C’est une adresse old school comme je les aime, sans mélanges compliqués, pour un martini dans la pure tradition. »
16-18 St James’s Place, St James’s. Tél. +44 (0)20 7493 0111. www.thestaffordlondon.com
• Un hôtel époustouflant : Kettner’s. « Bien située à Soho, c’est une adresse sombre, intrigante et très sexy avec ses ambiances 1920. »
29 Romilly Street, Soho. Tél. +44 (0)20 7734 5650. www.kettners.com
• Un lieu pour le tea-time : Claridge’s. « Pour un café ou pour le high tea, et surtout pour observer les célébrités qui fréquentent cette institution du glamour. » Brook Street, Mayfair. Tél. +44 (0)20 7629 8860. www.claridges.co.uk
Promenade dans les jardins
« Une cuisine simple, des vins nobles », résume Robin, qui ouvre ses bordeaux classés pour la consommation au verre big (250 ml) ou small (125 ml). Le temps d’un café au salon, puis chacun va faire son petit tour au jardin. Dans le potager, le jardinier Rafael cueille des feuilles de chou rouge. On découvre plusieurs variétés de moutarde, dont les feuilles vertes ou roses décoreront les assiettes.
Il y a aussi des carottes eskimo qui poussent tout l’hiver, et des champignons élevés sur des cylindres de copeaux. En tout, 80 % des légumes servis à table proviennent du jardin. Plus loin, derrière les tracteurs, vivent les poules, les cailles et les trois cochons Spot, Kaisy et Rodney. Dans cet univers à la Beatrix Potter ne manquent même pas les biches. On les voit paître au loin dans le sous-bois du voisin. Et dans les chambres règne la même authenticité, des fauteuils en tweed aux planchers recouverts de bons vieux tapis. Une pure leçon de style.
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