Gastronomie
The Good Culture
Au cœur des Champs-Élysées, l’institution qu'est devenu Le Fouquet’s s’impose comme un témoin incontournable de l’histoire parisienne. Depuis ses débuts comme bar à l’américaine pour les aviateurs et amateurs d’automobiles à la fin du XIXe siècle, jusqu’à son statut actuel de temple du Septième Art, le restaurant a su captiver une clientèle prestigieuse.
Inscrit au titre des monuments nationaux, Le Fouquet’s peut se targuer de plus d’un siècle d’histoire, ayant été le rendez-vous de l’aéronautique parisienne puis du cinéma français. La maison a grandement misé sur son lien avec le Septième Art, délaissant les trois étoiles qu’elle arborait pour une cuisine de brasserie aux plats iconiques.
Lire aussi : Révolutionnaire en 1958, le Drugstore est-il toujours aussi cool ?
Vous prendrez bien un drink ?
Le 28 septembre 1898, Le Figaro annonce la naissance du « Criterion Fouquet’s bar » au 99 avenue des Champs-Élysées. Le propriétaire, Clément Louis Fouquet, rachète un estaminet pour cochers et y accole son nom. Le Fouquet’s n’est pas encore un restaurant, mais est définitivement un bar à l’américaine typique du début de siècle, où les drinks sont à l’honneur. En bon limonadier, Louis Fouquet vend pêle-mêle cafés, boissons fraîches et liqueurs. Il attire une clientèle masculine et aisée, amatrice d’alpinisme et d’automobiles rutilantes, mais ce sont surtout les aviateurs qui en font leur QG, dont un certain Joseph Kessel.
L’aéronautique n’en est encore qu’à ses balbutiements. Les As de l’air, au nombre confidentiel, disposent d’un cercle de jeu en face du Fouquet’s Bar et, après avoir misé à la roulette, les officiers n’ont qu’à traverser la rue pour commander un vermouth-cassis. Le Fouquet’s rend hommage à tous ces fous du volant en baptisant son Bar de l’Escadrille. Le standing est tel que le bar édicte d’emblée une règle : la direction se réserve le droit de refuser l’accès au bar aux femmes non accompagnées, pour éviter que le lieu prenne des airs de bordel, autre haut lieu de sociabilité à l’époque. Le principe est d’ailleurs resté en vigueur jusqu’en 2000, année où la direction du groupe Barrière corrige son histoire et évince définitivement cette règle en invitant le collectif les Chiennes de garde.
Sole meunière et pot-au-feu royal
Le ton est donné, Le Fouquet’s se veut chic et de bon aloi à tout prix. L’arrivée du nouveau propriétaire, Léopold Mourier, dès 1913, homme d’affaires et restaurateur averti, complète l’offre des cocktails avec une cuisine de haute volée, jusqu’à accrocher les trois macarons au guide Michelin en 1938, célébrant les plats signatures du lieu comme le jambon Xerxès ou la sole meunière.
Le restaurant perd peu à peu ses étoiles dans les années 1960, mais la clientèle peut compter sur le travail du chef emblématique, Pierre Ducroux, qui a fait toute sa carrière au Fouquet’s de 1955 à 1998. Sa cuisine est celle du patrimoine culinaire français, comme sa blanquette quelque peu modernisée en troquant la sauce traditionnellement exécutée avec farine et beurre au démarrage, contre une crème de fond de veau réduite puis liée au beurre manié. Si le poisson a la part belle, en témoignent les turbots servis entiers et les soles imbibées de champagne, la star de la carte reste le pot-au-feu royal, morceau de bravoure en trois services : bouillon d’abord, os à moelle ensuite, et arrivée des viandes accompagnées des légumes du pot. Les pains toastés et le choix de moutardes spéciales conviennent parfaitement aux producteurs et acteurs de cinéma qui ont fait du Fouquet’s leur chef-lieu professionnel.
La crème de la crème du septième art
Les Champs-Élysées des années 1930 voient fleurir les salles de projection. Le Fouquet’s devient le lieu de rendez-vous du milieu du cinéma. Producteurs, scénaristes et acteurs s’y retrouvent pour une première rencontre ou pour sceller un contrat. Ici, Jean Gabin propose à Michèle Morgan d’être sa partenaire à l’affiche de « Quai des brumes ». Là, Raimu y sirote un cocktail pour se faire bien voir et vérifier sa notoriété. Pour les comédiens, on s’installe au Fouquet’s comme on prépare un casting.
Les réalisateurs, quant à eux, guettent depuis les fenêtres les files d’attente des spectateurs. Le nouveau propriétaire, Maurice Casanova, arrivé dans les années 1970, transforme ce café professionnel, jusque-là connu des seuls Parisiens mondains, en lieu de célébration du cinéma aux yeux de la France entière, grâce à un critique de première heure, Georges Cravenne. Après avoir fondé l’Académie des arts et techniques du cinéma, il organise la première Nuit des Césars en 1976, consacrant Romy Schneider comme la première actrice à recevoir la précieuse statuette.
La question du repas qui suit la cérémonie est centrale. Maurice Casanova propose d’offrir ses hospitalités au Fouquet’s. Cette nuit-là, les camions réfrigérés se garent en double file pour assurer les victuailles de 200 personnes. Fruits de mer liés à la crème, salade de langoustines, le tout arrosé de Champagne Moët et de Cognac Hennessy, les négociants se jetant sur l’occasion : « Au fur et à mesure que la télévision délivre le nom des heureux élus, Jenny-Paule Carle, fille du propriétaire, indique à la cuisine les noms à reproduire sur le claps qui ornent le gâteau », selon l’anecdote de l’historienne Marion Godfroy-Tayart de Borms. Le lieu accueille encore aujourd’hui à ses tables tout le gratin du cinéma français une fois la cérémonie clôturée.
Le Fouquet’s : un restaurant-musée ?
Lorsque Pierre Gagnaire intervient en 2014 sur la carte du Fouquet’s en tant que consultant, celle-ci est clairsemée de plats honorant les sommités les plus fidèles du restaurant : risotto Robert Hossein, pressé de foie gras Jean-Loup Dabadie, etc. Il revoit le menu, exit les recettes dédicacées aux stars. Seule la salade César, mêlant agrumes et morceaux de homard, est proposée comme un ultime clin d’œil au cinéma, sous la houlette de Bruno Guéret, chef exécutif du restaurant.
Aujourd’hui, le Groupe Barrière assume toujours ces connivences artistiques. Les tables sont encore sanctifiées par une plaque en laiton au nom d’Édith Piaf, Jean Gabin ou bien Charles Aznavour, et les photographies du studio Harcourt flottent toujours au-dessus des têtes des clients. Toute la salle est ainsi inscrite au titre des monuments nationaux depuis 1990.
Pour autant, la maison a poussé les murs : Le Marta, inauguré en décembre dernier, est un club bien caché au rez-de-chaussée qui ouvre ses portes de 21h à 3h du matin. Avec ses tentures florales à l’image d’un boudoir de nuit huppé, le lieu a vu cette année Drake prendre les rênes des platines. Côté menu, les burgers et les frites des équipes du Fouquet’s peuvent être servis sur un plateau d’argent pour couper la faim entre deux Amaretto Sour. Depuis l’été, s’ajoute un nouveau rooftop pensé par Cordelia de Castellane, le Jardin Suspendu, qui joue la carte bucolique en proposant des cocktails à base de sirop de rose ou de violette pour accompagner aussi bien un brie de Meaux truffé que des choux à la crème.
Avec plus de 120 ans d’histoire du Fouquet’s sur les épaules, le Groupe Barrière navigue entre les allures muséales du restaurant (les touristes sont toujours au rendez-vous) et les nouveaux lieux de fête qu’il aménage.
Le Fouquet’s
Fouquet’s Paris, 46 Av. George V, 75008 Paris
Site internet
Lire aussi : Le guide des plus belles piscines d’hôtel de la capitale