The Good Business
En l'espace de quatre ans, pandémie incluse, Guillaume Henry a hissé Patou au firmament des griffes de mode les plus désirables du paysage hexagonal. Ecolo et socialement engagée, la maison française largement centenaire suit le vent de l'époque, menée par un directeur artistique pragmatique soucieux des attentes de ses clients. Rencontre.
Il a redynamisé Carven et apporté à Nina Ricci un soupçon de modernité salvateur. Pour Patou, c’est un tour de force qu’a opéré Guillaume Henry, réveillant la belle endormie depuis 1986 à coup de pièces ultra mode… mais démocratiques.
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Ce n’était pas gagné. Car la maison fondée par Jean Patou en 1914 était tombée en désuétude après le départ de son dernier directeur artistique, Christian Lacroix, qui mit les voiles pour créer sa propre marque. Elle demeure en sommeil jusqu’en 2017, quand LVMH rachète la maison pour retirer du marché Joy – le parfum emblématique de la griffe – afin d’en attribuer le nom au nouveau parfum de Dior. Un an plus tard, la multinationale relance toutefois les activités couture de Patou, et la confie à Guillaume Henry. Jean Patou, sans Jean, devient désormais Patou, et à la présentation de la première collection du « petit génie de la mode », l’accueil est dithyrambique. Depuis, le styliste poursuit son travail de restauration, enracinant un peu plus chaque saison Patou dans le scope des marques qui comptent. Ce que l’on sait moins, c’est que Guillaume Henry œuvre aussi dans l’ombre à la construction d’une marque responsable écologiquement et socialement. Dans l’air du temps à tous les niveaux.
Rencontre avec Guillaume Henry, directeur artistique de Patou
The Good Life : Bonjour Guillaume Henry. Comment avez-vous abordé la seconde vie de Patou, sans Jean ?
Guillaume Henry. Patou, ce n’est pas seulement Jean. C’est aussi Lagerfeld qui y a tenu son premier poste de directeur artistique, Jean-Paul Gautier, passé aussi par la maison, Christian Lacroix à qui je dois ma vocation. En devenir le directeur artistique, après ce grand monsieur, est symbolique pour moi, comme si la boucle était bouclée. J’ai donc envisagé mon arrivée en 2018 à la fois comme un devoir de mémoire, puisque j’avais dans l’idée de travailler autour de l’héritage de la marque, et comme une création pure. Certains marchés, notamment les plus jeunes, n’avaient jamais entendu parler de la marque…
Et parce que nous voulions à tout prix nous éloigner de l’image d’une marque muséale, trop figée dans son histoire, nous avons fait le choix d’ôter le « Jean » de son nom. Cela qui a entraîné naturellement tout un travail de refonte de notre identité graphique, passant du site web à son logo, des étapes nécessaires afin de modeler une nouvelle image de marque.
TGL. Parlons justement de ce changement d’identité visuelle…
G. H. Le sigle « JP » existait. Monsieur Patou a en effet été le premier à introduire le monogramme comme signature de ses vêtements, sorte de précurseur du logo. Nous l’avons adouci, rendu un peu plus rond, comme un gâteau — Patou sonne à mon oreille comme une gourmandise. Ce nom évoque aussi le « nous », le groupe : nous avons ainsi pris le parti de grossir le « O » afin qu’il incarne la communauté et nos valeurs de partage et d’ouverture. Cette lettre à quelque chose d’inclusif qui me plait.
La typologie utilisée pour le logo donne l’impression qu’il a toujours existé, elle n’évoque aucune époque et fait pourtant écho à la légende de la marque comme à son actualité. Son ancrage contemporain est très important à mes yeux : je veux faire de Patou une marque enracinée dans la réalité des gens sans qu’elle ne renie son parcours de vie.
TGL. Vous semblez devenir coutumier du réveil des belles marques de mode endormies. Quelle est votre recette pour relancer des icônes oubliées ?
G. H. Carven (Guillaume Henry a été directeur artistique de la marque de 2009 à 2014, ndlr), comme Patou, était en effet une marque tombée en désuétude, qui avait presque oublié son histoire du vêtement. Chez Nina, (Ricci, où il a officié de 2015 à 2018, ndlr) les choses étaient un peu différente car la maison était déjà bien organisée mais manquait peut-être de modernité.
Je n’ai jamais véritablement théorisé mon approche de ces projets qui impliquent des marques historiques mais crois que j’aime bien ce cheminement : poursuivre tout en réinventant. Un peu à la façon de la rénovation d’un appartement, je préfère travailler sur la base de fondations et de murs déjà existants plutôt que de créer tout de zéro. Je ne suis pas sûr d’avoir un vrai profil entrepreneurial !
J’envisage aussi, en quelque sorte, les maisons de mode comme des personnes physiques. J’accepte ainsi mes missions seulement si j’ai le sentiment je m’entendrais bien avec la personne qu’incarne la marque. Quand on part du néant, on n’a pas le plaisir de la rencontre !
TGL. Vous défilez deux fois par an mais avez aussi créé une collection qui s’intitule Les Essentiels…
G. H. Le secteur de la mode nous contraint à sans cesse tout réinventer. En prenant la direction artistique de Patou, je suis parti du principe que certaines choses pouvaient être immuables. Un peu comme un restaurant qui conserve à sa carte ses meilleurs plats tout en changeant régulièrement de menu, j’ai imaginé un vestiaire de pièces intemporelles à retrouver quelque soit la saison, en parallèle des collections défilés.
J’aime montrer ce qu’on vend et vendre ce qu’on montre. – Guillaume Henry
Les Essentiels comprend donc un caban, un veste en jean, un jean, une chemise blanche, un trench coat… Le tout façonné dans des matières toutes issues du recyclage ou organiques. Si l’on devait résumer Patou à un portant, ce serait celui-là.
TGL. Patou est-elle une maison engagée écologiquement ?
G. H. Nous ne commercialisons que deux collections par an. Rares sont les produits édités uniquement pour l’image : nous mettons un point d’honneur à ne faire défiler que des modèles portables par nos clients. Quasiment toutes les pièces lancées en prototypage arrivent à terme — cela signifie qu’il n’y a pas, ou très peu, de gaspillage de matières premières. Nous faisons très peu de lancement couleurs car plus on fait de propositions, plus on disperse une production. L’air de rien, toutes ces petites choses auxquelles nous faisons désormais attention permettent de réduire notre impact écologique.
Côté social, nous sommes fidèles et loyaux à nos fabricants de tissus : notre fournisseur de popeline est le même depuis le premier jour, idem pour celui de notre tissu « faille » en polyester… Nous organisons parfois même des ventes de rouleaux tissus, quand il nous en reste ! Nous n’utilisons pas non plus de cuir ni de fourrure : certains le font très bien, de mon côté, je n’ai pas envie de m’y atteler.
La mode reste néanmoins un métier de désirs. Il y a parfois certaines choses qu’on a le droit de s’autoriser. Si nous ne sauvons pas des vies, essayons au moins de faire mieux… – Guillaume Henry
TGL. A quelle clientèle Patou s’adresse-t-elle ?
G. H. Avant, j’avais l’habitude de dire que j’étais un designer de prêt-à-porter féminin. Je dis désormais que je fais du prêt-à-porter, point à la ligne. Hommes, femmes, personnes non-binaires… Tout le monde est invité à découvrir mes vestiaires ! De plus, je ne fais pas de la couture, j’aime cette idée de « prêt à enfiler ».
Je crée pour les « vrais » gens. La personne qui revêt mes vêtements est quelqu’un d’abordable, de sympathique, qui a le goût de la mode, sans être une bête de mode non plus… Quelqu’un avec qui je m’entends bien.
TGL. Quelqu’un comme comme vous ?
G. H. (rires) Je ne sais pas ! On met beaucoup de soi quand on fait des vêtements, c’est sûr.
TGL. Vous avez dessiné les tenues du staff de l’hôtel SO/ Paris. Comment avez-vous abordé cette expérience ?
G. H. Cette expérience inédite m’a permis de sortir de ma zone de confort. J’ai beaucoup apprécié créer avec le concours de l’équipe du SO/ Paris une nouvelle vision du vestiaire d’hôtellerie. Elle m’a suivi dans mon envie d’abolir cette distance que met un uniforme entre un client et son interlocuteur et de dessiner un vestiaire que la clientèle aimerait aussi porter. Souvent, dans les grands hôtels, la singularité du service s’efface à cause de cette uniformité. Personnellement, j’aime voir les gens dans leurs vêtements.
Quant à ce qui me les a inspiré, quelqu’un de l’équipe m’a un jour décrit l’hôtel comme le « nouveau phare de Paris ». Il ne m’en a pas fallu plus pour lui associer l’idée de la Bretagne et d’ainsi ramener des rayures dans ma proposition, que j’ai imaginée avec quelques clins d’œil à Jean-Paul Goude et à Philippe Decouflé.
J’avais envie de gens qui courent partout avec des jupes en faille et des pantalons en jean, des baskets aux pieds et des bérets sur la tête. Comme une chouette équipe ! Je suis très fier du résultat. J’aime beaucoup m’y rendre. Le SO/ Paris est un hôtel comme on en voit peu, en tout cas à Paris. Les gens sourient… En fait, je trouve même que tout le lieu est souriant.
F.L.G.