Lifestyle
Repérés aux dents de nombreuses célébrités depuis une dizaine d’années, malgré leur apparence de tendance de la dernière minute les grillz ont une histoire millénaire. Mais si aux États-Unis l’intérêt pour ce bijoux est né dans les années 70, en Europe il n’y avait pas de marché jusqu’à il y a dix ans. C’est Dolly Cohen, créatrice parisienne de 37 ans, qui l’a inventé. The Good Life est revenu avec elle sur son parcours et sur le futur de la joaillerie.
Au dernier étage d’un immense bâtiment vitré du 8e arrondissement, vue sur le toits de Paris, Dolly Cohen, créatrice des grillz qui portent son nom, nous accueille dans un look decalé : un pantalon noir loose, un t-shirt blanc et des Adidas Bermuda couleur tabac aux pieds.
Cette créatrice française, d’ailleurs diplômée en parodontie, casse les codes de la haute joaillerie depuis une dizaine d’années avec ses grillz, des prothèses dentaires amovibles en or ou cobalt-chrome souvent incrustés de pierres précieuses. Peut-être les avez-vous déjà vu dans un des clips vidéo de votre rappeur préféré… Peut-être pas. N’empêche que ce bijou désormais incontournable cache une histoire voire millénaire.
À lire aussi : Bijoux d’artistes, un marché naissant ?
Des Étrusques aux rappeurs américains
Si l’on a retrouvé des témoignages de l’existence des bijoux pour dents dans l’Égypte ancienne, les ancêtres des grillz font leur apparition avec les Étrusques. Les femmes avaient l’habitude de se faire remplacer certaines de leurs dents par de l’or en signe de richesse. En effet, ces implants n’ayant à l’époque rien de très chirurgical, ils impliquaient une difficulté accrue à mâcher les aliments et par conséquent la présence de personnel en cuisine pour transformer les matières premières pour en faciliter la mastication, comme l’explique le scientifique Marshall Joseph Becker dans son étude de 1999 « Etruscan Gold Dental Appliances : Three Newly ‘Discovered’ Examples ».
Les ancêtres des grillz disparaissent alors que César, Cicéron et les Romains prennent le contrôle de l’Italie. Ils réapparaissent néanmoins de l’autre côté de la planète vers 300 à 900 après J.-C., chez les Mayas, dont les rois et les reines perçaient des trous d’environ trois millimètres de diamètre dans leurs dents supérieures et les remplissaient de morceaux ronds de jade. Cette tradition cesse définitivement d’exister après la conquête espagnole dans les années 1500.
Les archéologues ont également découvert que les Vikings commençaient à faire des modifications dentaires vers 900 après J.-C., alors que les Philippins ont commencé à décorer leurs dents de métal vers 1300 — aux Philippines, plus de 100 mots différents existent pour décrire l’or dont certains définissent l’installation de l’or dans les dents.
Dans des temps plus modernes, les grillz débarquent aux États-Unis, plus précisément à New York, à la fin des années 1970, portés par des migrants antillais — mais pas pour des raisons de style. Les pays des Antilles connaissant une crise économique, l’implantation de prothèses en or devient une alternative viable aux coûteux soins dentaires.
Alors, les jeunes avant-gardistes de la ville commencent à afficher des grillz pour montrer leur richesse, à la façon des Mayas et des Étrusques. L’objet attire l’intérêt du monde du hip-hop. A l’orée des années 1990, les grillz s’implantent fermement dans la niche du rap comme accessoire de luxe, symbole de richesse et de renommée, surtout à Houston et Atlanta.
En 2005, à la sortie de la vidéo de Grillz, titre de Nelly entré en Billboard Hot 100, ces précieuses prothèses dentaires atteignent le firmament du cool. 15 ans plus tard, les grillz sont repérés aux dents de dizaines de stars : de Drake à Rihanna, d’Asap Rocky à Kanye West, en passant par Beyoncé, Pharrell Williams, Madonna et Miley Cyrus.
Des créations à mi-chemin entre la sculpture et la dentisterie
Désormais, Dolly Cohen a de la concurrence. Rien qu’à Paris, on retrouve par exemple l’Atelier Lazarovska dans le 19e arrondissement, qui réalise des grillz portables de façon temporaire, et Angelgemss, un salon du 17e arrondissement spécialisé en pierres précieuses. Ou encore Youth Grillz, fondé par Warren, jeune prothésiste dentaire de 29 ans.
Pourtant, en Europe le marché des grillz était encore quasi inexistant il y a dix ans. C’est justement Dolly Cohen qui l’a attisé : « J’ai créé la demande dans un domaine qui n’existait pas, à partir de ma formation dentaire, mon amour pour le hip-hop et ma passion pour la joaillerie ». Ses bijoux sont tous faits main à partir d’une empreinte en alginate, sur laquelle la créatrice sculpte le grillz avec de la cire chauffée. « Pour concevoir le design, je m’inspire toujours de la personne en face de moi : sa manière de parler, son sourire, ses expressions… Je dis toujours avoir un gros défaut : avant tout, je regarde les personnes dans la bouche », s’amuse-t-elle.
Une fois le design réalisé, l’or (qui peut être substitué par un alliage cobalt-chrome) est fondu dans un four chauffé entre 700 et 900°. Une fronde à induction fait ensuite s’évaporer la cire. À froid, l’œuvre est complétée avec les finitions en fraisage. Un travail d’orfèvre.
« Il s’agit d’un objet très simple qui se glisse à la dent comme une bague au doigt. La manipulation peut s’avérer intrusive dans les premiers moments mais après on ne sent plus le bijou”, explique Dolly Cohen. L’essayage final est justement la partie la plus délicate de la création d’un grillz. « Il y a toujours une marge de doute qui m’angoisse, parce que même si les empreintes sont plutôt sûres, des facteurs comme la température et la saison qui peuvent modifier légèrement le résultat final subsistent. Je suis toujours un peu stressée donc, surtout lorsque je fais des grillz pour les dents du haut. Là, je me bats contre la gravité”, confesse-t- elle.
Sa pièce préférée, qui est aussi sa signature, est l’interstice, soit des lignes en or à placer entre les dents ornées de pierres précieuses. « Je la trouve intemporelle », explique Dolly Cohen, qui conseille, en termes de style, de porter les grillz « selon l’humeur de la journée ».
A l’instar d’une pièce de joaillerie, un grillz à un coût. Un bijoux en or en forme de cœur enrichi d’un diamant F VS se vend par exemple à 500 euros la pièce. Certaines créations personnalisées peuvent quant à elles atteindre les 100 000 euros.
Les stars ont de l’or en bouche
Les célébrités ont évidemment succombé à cette nouvelle façon de porter les bijoux. Sur les réseaux sociaux comme dans des clips vidéo, des grillz de toutes sortes ornent les dents de Beyoncé, Pharrell, Cara Delevingne, Rita Ora, Kim Kardashian ou encore Rosalia, Madonna et Rihanna. Et beaucoup d’entre eux ont été créés par Dolly Cohen.
La créatrice a d’ailleurs pensé un grillz sur-mesure pour le rappeur Asap Rocky, rencontré en 2013 à Paris grâce à un contact en commun. « Elle parlait à peine anglais, mais son travail parlait de lui-même ; il dégageait ce côté cool parisien et elle me faisait des grillz de fou », a-t-il confié dans le livre « Mouth Full of Golds« .
C’est pourtant sa rencontre en 2014 avec Rihanna qui a donné un coup de boost au parcours de la créatrice. « Même si j’avais déjà créé beaucoup des pièces, jusque-là je n’étais visible qu’en France. Quand elle m’a contacté, tout a changé et j’ai décidé de quitter définitivement mon ancien boulot », raconte Dolly Cohen, à l’époque employée dans un laboratoire de prothèses dentaires. Au-delà des relations personnelles avec les stars, sur lesquelles elle préfère rester discrète, l’artiste de 37 ans souligne avoir « adoré travailler avec tous, parce que chaque personne m’a laissé une certaine liberté dans mon design ».
Quel futur pour les grillz ?
Les marques s’intéressent elles-aussi à l’opportunité qu’offrent les grillz de communiquer différemment, en mettant par exemple leur nom littéralement dans la bouche des célébrités. C’est le cas de Mercedes Benz et Adidas, dont le logo est apparu respectivement sur les dents de Asap Rocky et Beyoncé. Beaucoup se souviendront aussi du protège-dents de boxe noir signé Balenciaga arboré par Kanye West à l’ouverture du défilé SS23 de la marque à Paris. « J’ai adoré réaliser cette pièce parce que ça m’a permis de sortir en quelque manière de la zone du grillz. Elle n’était pas réalisée en métal, seulement en silicone ».
Kanye West présentera ce lundi à Paris son nouveau défilé YEEZY Season 9 📍 pic.twitter.com/jxQpVanq5z
— Views (@viewsfrance) October 3, 2022
Les grands noms de la Place Vendôme observent les évolutions de ce marché de loin. Pour Dolly Cohen, il n’y a pas de doutes : « On va voir les maisons classiques s’intéresser de plus en plus aux grillz, chacune avec sa signature, tout simplement parce que ce n’est pas juste une tendance. Pour moi, le grillz est le bijoux du 21e siècle”.
La créatrice ne cache pas son rêve de collaborer avec des marques historiques voire : »Dois-je faire une liste des marques que j’aime ? » s’amuse-t-elle, avant d’admettre son pendant pour Cartier. « J’aime leurs bijoux, leur histoire, leur tradition. Cartier est une marque qui me correspond. J’adorerais donc puiser dans leur univers pour mon art. Imaginez avoir une pièce Cartier sur un grillz !”, rêve Dolly Cohen, honorée en 2022 du prix Accessoires de l’ANDAM, un prix assorti d’une dotation de 50 000 euros qui lui a permis de lancer sa marque. Aussi mais surtout la preuve de « la réussite d’un challenge personnel, une manière d’être validée. La reconnaissance d’être au même niveau que les créateurs des bijoux traditionnels”.
Alors, en attendant d’être intronisée Place Vendôme, Dolly Cohen se réjouit de ses collaborations à venir, et notamment d’un partenariat avec Chivas, marque pour laquelle elle a repensé la célèbre bouteilles de whisky Chivas XV le temps d’une édition limitée inspirée de l’univers des grillz… qui demeure encore top secrète !
À lire aussi : La tendance des bijoux masculins
