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Brian Kinsman est le maître assembleur d’une des distilleries les plus réputées d’Écosse. Il raconte les coulisses d’un métier clé dans l’industrie du whisky alors que sort sa dernière création : Grand Château, affiné en fûts d’un prestigieux vin de Bordeaux tenu secret…
Au cœur du Speyside, la distillerie Glenfiddich cultive la pure tradition du whisky écossais tout en réinventant régulièrement ses créations. Toujours indépendante et familiale, au pinacle de la maison William Grant & Sons, elle oscille entre la production en volumes (21 millions de litres au total chaque année) et des références très haut de gamme, tel le dernier Grand Château 31 ans (1 850 € le flacon). Brian Kinsman est le personnage central de cette alchimie : maître assembleur, il a déjà passé plus d’un quart de siècle dans le whisky, exclusivement chez Glenfiddich. Un sacerdoce !
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The Good Life : Vous êtes-vous toujours destiné à travailler dans l’industrie du whisky ?
Brian Kinsman : je suis entré chez William Grant & Sons en 1997 en tant que chimiste, pour la distillation notamment. J’avais suivi des études scientifiques à l’université de Saint-Andrews, qui reste plus célèbre pour son golf que pour la chimie ! Je n’ai jamais pensé que je pourrais devenir un jour master blender [maître assembleur, NDLR].
Mais je faisais partie, avec beaucoup d’autres employés, du panel de nez, comme il en existe dans toutes les distilleries. Au début, j’organisais les échantillons, je compilais les données avant de moi-même participer. J’ai alors compris que j’avais peut-être des capacités. C’est l’opportunité qui m’a poussé vers l’assemblage.

The Good Life : Comment fait-on l’apprentissage de ce métier ?
Brian Kinsman : J’ai commencé par apprendre auprès de David Stewart [figure légendaire de William Grant & Sons, NDLR]. Il était réputé dans l’industrie depuis des décennies. Cela aurait pu constituer une pression pour moi, mais David est quelqu’un de très ouvert, très transparent.
Nous avons tout partagé pendant huit ans, dégusté les mêmes échantillons, discuté nos points de vue. J’ai beaucoup appris à ses côtés avant d’être intronisé à mon tour maître assembleur en 2009.

The Good Life : Vous avez deux titres : maître assembleur et maître brasseur. Quelle différence ?
Brian Kinsman : Il n’y en a pas en fait. Mon titre officiel est celui de maître assembleur, ce qui pourrait entraîner une confusion à propos d’une distillerie de single malt : nous n’assemblons pas, bien sûr. D’où les termes de malt master que nous avons accolés. À la fin, c’est le même job, celui d’assurer des standards constants pour nos whiskys.
Je n’influence pas les caractéristiques essentielles de Glenfiddich, j’en prends soin. J’ai hérité de David Stewart, qui lui-même avait appris de son prédécesseur, et il en va ainsi depuis le début de l’histoire de la maison, avec William Grant. Ma fonction fondamentale est d’être le gardien de la qualité.

The Good Life : Comment pourrait-on définir le style Glenfiddich ?
Brian Kinsman : Nous faisons des whiskys fruités. À chaque fois que j’arrive sur le site de la distillerie et que je marche depuis le parking, il y a cette odeur issue des cuves de fermentation, marquée par le fruit et un peu florale en même temps, qui est caractéristique de Glenfiddich. À la seconde où je la sens, je sais que tout va bien !
Après, ce que je cherche pour le 12 ans d’âge, la poire fraîche et la pomme verte, est différent de mes attentes pour le 18 ans, où le fruit sera plus riche et plus intense, et au-delà, on va vers les fruits secs. Glenfiddich, c’est ce voyage pour intensifier le même caractère fruité.

The Good Life : La part d’innovation se trouve-t-elle dans les éditions limitées, comme votre Grand Château de 31 ans ?
Brian Kinsman : Oui, même si au début c’est toujours expérimental, sans plan défini, avec plusieurs options ouvertes. Par exemple, nous avons fait des essais avec des fûts de vin de Bourgogne, mais n’avons jamais sorti de produit. Tout prend beaucoup de temps dans le whisky. Pour Grand Château, nous avons rapporté les barriques de Bordeaux il y a une dizaine d’années.
Après deux ans, nous avons compris que le whisky y maturait très bien. Au bout de cinq à six ans, le résultat était superbe, mais nous ne sommes pas pressés : je ne voyais pas le signe que nous avions atteint le pic de qualité. Vous ne savez jamais vraiment quel est le meilleur moment ! Nous avons finalement attendu neuf ans pour atteindre plus de profondeur et de complexité. Et l’opportunité est apparue de faire entrer Grand Château dans la gamme des Grands Series.

The Good Life : Quel est le cru classé bordelais à qui vous avez racheté ces barriques ?
Brian Kinsman : Je ne peux pas le dire, nous avons passé un accord. Nous savions qu’ils avaient des fûts de première qualité, parfaitement entretenus. Vous pouvez en acheter sur le marché, mais vous faites un pari. Chez eux, nous avons trouvé cette garantie et cette confiance.
The Good Life : Comment une marque mondiale comme Glenfiddich traverse le marché actuel ?
Brian Kinsman : Nous sommes présents dans plus de 180 pays. Le marché est plus difficile en ce moment, mais il y a toujours des pays en croissance, l’Inde, par exemple, et même la Chine où il reste des opportunités. À la fin, nous vendons toujours plus chaque année…
The Good Life : Y a-t-il un pays où vous pourriez partir en vacances sans tomber sur un flacon de Glenfiddich ?
Brian Kinsman : Pas beaucoup, c’est vrai, mais probablement que j’apporterais une bouteille avec moi pour lancer un marché !
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