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Gastronomie : Quadri, concentré de saveurs vénitiennes
Gastronomie : Quadri, concentré de saveurs vénitiennes
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Voyage

Gastronomie : Quadri, concentré de saveurs vénitiennes

Voyage

Venise est la preuve que de la vase peuvent naître des splendeurs. Au cœur de cette cité de légendes et de mystères, dans son lieu le plus emblématique, la place Saint‑Marc, se trouve le Quadri des frères Alajmo. Le restaurant étoilé vient de s’offrir un lifting signé Philippe Starck.

Depuis 2010, le Quadri est dirigé par les frères Alajmo, aussi dissemblables que complémentaires, et parfaitement indissociables. Max (Massimiliano), le chef, et Raf (Raffaele), le directeur, ne sont pas nés à Venise, mais dans son ombre, à Padoue, où leurs parents ont fondé Le Calandre (trois étoiles au Guide Michelin), devenu l’un des plus célèbres restaurants d’Italie.

Autour de ce lieu d’exception, la famille Alajmo a bâti un véritable empire gastronomique, avec un autre restaurant, La Montecchia, dirigé par leur père, Erminio, le bistrot Il Calandrino, une pâtisserie, une épicerie fine… En 2014, Max et Raf s’associent avec le restaurateur David Lanher pour ouvrir le Caffè Stern, à Paris. C’est un peu de Venise qui s’installe alors dans la capitale, et c’est à cette occasion que les deux frères rencontrent Philippe Starck.

Le début d’une histoire qui ne pouvait que se poursuivre. En revanche, la passion que voue le designer à Venise est très ancienne. Enfant déjà, il se rendait avec sa mère sur l’île de Burano, devenue par la suite l’un de ses points d’ancrage. A bien y penser, la cité lacustre teinte son travail depuis longtemps, depuis toujours peut-être.

La terrasse du Quadri, sur la place Saint‑Marc, à Venise.
La terrasse du Quadri, sur la place Saint‑Marc, à Venise. Marie-Pierre Morel

Un surréalisme baroque qui s’exprime dans l’exagération des formes, dans des distorsions, des jeux de proportion, de transparence et de réflexion ; miroirs, lustres, portraits et masques font partie de son vocabulaire. Mais au-delà des objets et de leur forme – Philippe Starck déteste parler de style et de ce à quoi ressemblent les choses –, c’est le fond – de la mer – qui l’intéresse, cette matière sableuse et boueuse d’où émergent les idées.

« Je suis un amphibien. Je devrais avoir des écailles et des palmes entre les doigts. Je ne pouvais pas faire autrement que de vivre à Venise. Je ne suis jamais au sec, jamais dans l’eau non plus, mais dans cette nanomathématique pellicule qui sépare l’air de l’eau. Et pour moi qui ne vis que dans une absolue relativité de tout, quand je suis dans cette membrane, je vis dans un univers hors gravité, hors de tout, c’est ma vie. »

L’âme de la Sérénissime

Quand Philippe Starck doit réfléchir à ce caffè Quadri que lui confient les frères Alajmo, il doit non seulement respecter les normes qu’impose un bâtiment historique, mais aussi composer avec cette acqua alta (la montée des eaux) qui, à l’automne et au printemps, submerge la place Saint-Marc. Elle n’y est plus redoutée, mais célébrée, magnifiée même. L’enseigne en cuivre est à moitié oxydée, dans la salle du rez-dechaussée les pieds des banquettes sont posés sur des plots gravés aux noms des amis de la maison, et, à mesure que l’eau monte, elle laisse sur le bas des murs les traces de son passage. A l’étage, des animaux ailés, clins d’œil au lion de saint Marc, veillent sur les convives.

Ils conversent avec un sublime lustre en verre d’Aristide Najean, artiste de Murano. Verriers, tisseurs, tapissiers, fondeurs : les meilleurs artisans de la ville ont participé à la rénovation du Quadri. Et sur les tapisseries des murs couleur de boue, ce sont les visages de Max et Raf qui se révèlent dans les motifs de velours. Avec toute la bienveillance qu’on leur connaît, ils nous adressent un salut amical.

Le 1er étage.
Le 1er étage. Marie-Pierre Morel

Pour élaborer sa carte, Max a réfléchi à l’essence même de la cuisine vénitienne. Il en a étudié les fondamentaux et les a restitués avec l’épure et la légèreté qui marquent sa cuisine. Risotto à l’anguille fumée, sorbet à l’estragon et jus de betterave ; pâtes mezzi paccheri aux langoustines, céleri-rave et sauce à la pistache ; foie de veau et rognons à la vénitienne ; tiramisu à la pistache et cerises au marasquin… Les plats sont ciselés avec modernité, ils ont le goût de l’authenticité mais sans les clichés, et ils prennent vie dans une salle à la vue magnifique.

« La cuisine n’existe que quand elle sort de la cuisine, explique Max Alajmo. La contextualisation d’un plat vaut autant que le plat lui-même. Il existe cependant des fils rouges qui connectent tous nos restaurants : naturalité, profondeur, légèreté et fluidité. » On y revient donc toujours, à cette eau qui monte et se retire, et qui garde la mémoire de tout ce qu’elle touche.

Le Quadri à Venise.
Le Quadri à Venise. Marie-Pierre Morel

« Les pieds dans la vase, la tête dans les étoiles », ajoute Philippe Starck, en guide de conclusion. Le Quadri endormi a été réveillé par ses amoureux. Qui n’a qu’une poignée d’heures pour voir Venise peut, en la parcourant, ressentir des siècles de sédimentation et se trouver au cœur même de son histoire, passée, présente, réelle ou fantasmée.

Quadri
Piazza San Marco 121, Venise
Tél. +39 041 522 2105
www.alajmo.it


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