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Gastronomie le retour en force des buffets de gare - the good life
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Gastronomie : le retour en force des buffets de gare

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Ils ont connu des heures de gloire, les récompenses des guides, puis ils se sont mis à tomber comme feuilles d’automne… Aujourd’hui, les buffets de gare reprennent du poil de la bête avec des lieux rhabillés, saluant même le retour des trains de nuit et de luxe.

Les buffets de gare fermaient les uns après les autres. De Lille à Agen, de Poitiers à Dijon, Périgueux, Avignon, Strasbourg et même dans les principales gares parisiennes, le désenchantement précédait les pelleteuses. Comme s’il était dans la nature des gares de communier avec cette poétique ferroviaire neurasthénique, cette contrariété inhérente au voyage : on pense souvent plus au désagrément de quitter qu’au plaisir de rejoindre.

Pourtant, la gare et le train restent solidement ancrés dans notre mythologie. En avion, en voiture, on se transporte. En train, on voyage. Le train est sans doute l’une des puissances les plus inspiratrices du cinéma, de par son travelling permanent conciliant l’immobilisme pascalien et l’éloignement. La littérature est de la partie comme la chanson ferroviaire, de Richard Anthony à Édith Piaf, en passant par Elvis Presley et son hypnotique Mystery Train.

Il y avait, avec l’entrée dans les tunnels, la rythmique soutenue des rails, de parfaites allégories pour l’érotisme du rail. Les brasseries de gare préfiguraient ces transports magiques. Ils suivirent la période d’ouverture des lignes, et ce, dès la seconde moitié du XIXe siècle. Elles fleurissaient comme jonquilles au printemps. C’était du reste cocasse. Parfois, le haut-parleur des quais lançait à la cantonade : « Dijon, vingt minutes d’arrêt, buffet gastronomique ! »

Mollard, fondée en 1895, est l’une des brasseries historiques de Paris.
Mollard, fondée en 1895, est l’une des brasseries historiques de Paris. jean-louis-vandevivere

Le Train Bleu, plus célèbre des buffets de gare

Imaginez la ruée vers la brasserie avec ses plats à prix modiques, expéditifs (soupes, volaille froide, jambon…). Les paniers-repas verront alors le jour, puis les wagons-restaurants, à la fin du XIXe siècle, prendront le relais alors que triomphent les restaurants de gare.

Le plus célèbre, par bonheur, existe encore aujourd’hui. C’est le fameux Train bleu de la gare de Lyon, à Paris. Voici sans doute le restaurant le plus spectaculaire de la capitale. Construite à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris, en 1900, la gare principale provoque l’admiration des Parisiens avec sa façade de 100 mètres de long, ses 13 quais et sa tour de 64 mètres de haut.

Le Tout-Paris accourt et fait honneur à la demi-langouste mayonnaise à 4,50 francs, le turbot sauce mousseline à 1,75 franc ou encore la longe de veau-aubergine gratinée à 1,50 franc, le Château Calon Ségur affichant ses 8 francs. Cette salle magnifique balance entre style néobaroque et Belle Époque. Elle fut sauvée de la démolition par André Malraux en 1966 et classée aux Monuments historiques. De nombreux films y furent tournés, dont Voyages avec ma tante (George Cukor, 1972), La Maman et la Putain (Jean Eustache, 1973), Les Vacances de Mr Bean (Steve Bendelack, 2007), Anthony Zimmer (Jérôme Salle, 2005), avec Sophie Marceau, ou encore Nikita (Luc Besson, 1990).

Le célèbre Train bleu, construit en 1900.
Le célèbre Train bleu, construit en 1900. lephotographedudimanche

Dans ce dernier, Anne Parillaud y célèbre son anniversaire. Elle se voit offrir un pistolet automatique avec l’obligation d’éliminer un méchant maffieux assis derrière elle, avant de fuir par les cuisines (reconstituées en studio) dans un canardage gothique.

Eddy Mitchell y donna un concert, sur un podium installé sous la pendule. Salvador Dalí s’y livrait à un rituel. Amateur de gares, dont celle de Perpignan qu’il décréta « centre de l’univers », affichiste pour la SNCF, chaque fois, il se rendait aux toilettes. Il déclara avec le ton qu’on lui connaît : « J’adore pisser en regardant les trains partir. » Aujourd’hui, les WC sont aveugles. De la céramique noire fait office de toile de fond. La cuisine s’ébroue toujours avec condescendance. La magie des lieux reste intacte. Un menu voyageur (49 euros) se propose même d’être servi en 45 minutes.

Il y eut d’autres buffets d’anthologie, comme celui de la gare de Valenciennes, finaliste des plus belles gares de France avec Reims, Metz, Limoges et Saint-Brieuc. Le buffet valenciennois hérita même d’une étoile au Michelin pour sa cuisine régionaliste, notamment avec les fameuses langues Lucullus, spécialité locale créée en 1930, une sorte de millefeuille de foie gras et de fines couches de langue de bœuf fumée. Il fermera ses portes en 2014, comme ceux de la gare de Limoges (2018) et de la gare d’Austerlitz, à Paris, bâtiment haussmannien en pierre de taille détruit en 2012…

À Roanne, Le Central a pris place, en 1995, dans un ancien hôtel des années 1920.
À Roanne, Le Central a pris place, en 1995, dans un ancien hôtel des années 1920. felix-ledru

Une vraie renaissance

Par un étrange mouvement de balancier, ce à quoi nous avons failli renoncer revient en vogue. Les trains de nuit sont de retour avec même de belles batailles (Venise- Simplon-Orient-Express du groupe Belmond versus l’Orient-Express de la SNCF en association avec Accor pour 2023, la Dolce Vita). La restauration à bord, si elle reste poussive et désolante dans les TGV, a conservé ses lettres de noblesse avec des trains mythiques comme le Rovos, en Afrique du Sud, ou le Royal Scotsman, à travers les merveilleux paysages de l’Écosse.

C’est l’occasion de découvrir une gastronomie de haute volée, de jolis vins, avant de rejoindre sa cabine au luxe édouardien et ses acajous. Ou de s’accrocher au bar avec de vieux malts au son des musiciens du folklore local… Quant aux gares, elles basculent dans une autre époque. Transformées en centres commerciaux, elles s’inspirent des gares japonaises, et multiplient les « corners » de vente à emporter. Toutefois, la donne gastronomique n’est pas oubliée, puisque les chefs étoilés ont été rappelés à la rescousse, tels Éric Frechon, Christian Le Squer, Michel Roth, Michel Rostang… Alors que le transport aérien tousse sous la pandémie, le chemin de fer revient à la surface et, cette fois-ci, compte bien retenir les leçons du passé.

5 questions à Michel Roth, chef de Terroirs de Lorraine, restaurant installé dans la gare de Metz.

Figure de la gastronomie française dont le passage au Ritz fut couronné par 2 étoiles Michelin, ce natif de Lorraine, en plus de ses restaurants (Le Bayview, table de l’Hôtel Président Wilson, à Genève ; à l’aéroport Roissy-CDG ; La Table Cachée, au BHV Marais, à Paris ; Le Baron, au château de Ferrières…), est, depuis 2017, responsable de la brasserie de la gare de Metz.

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Avez-vous des relations particulières avec cette région ?
Je suis né à Sarreguemines, à 40 km de Metz. J’en ai même fréquenté, avec mes parents, le restaurant de gare, qui était l’un des meilleurs de la ville. Je me souviens encore de la magie des nappes blanches… J’y ai fait mon école hôtelière, je parraine régulièrement des manifestations dans ma région et lorsque je me retirerai, ce sera ici !

Pour quelles raisons un grand chef s’investit-il dans un buffet de gare ?
C’est pour rencontrer un public plus large, sortir du monde réservé de la grande gastronomie et être plus proche des gens. On aime bien être populaire et faire goûter sa cuisine à tout le monde !

Ce genre de restauration présente-t-il une spécificité ?
Il s’agit de répondre à la demande des gens pressés qui veulent manger un morceau entre deux trains. Et puis, il y a une clientèle locale du matin, de l’après‑midi, et surtout celle du soir, qui vient se faire plaisir dans l’un des lieux les plus attachants de la ville.

Quel plat recommanderiez-vous ?
La potée lorraine à base de jarret, de saucisse fumée et de chou. Sans la dénaturer, j’ajoute, dans le bouillon, un peu d’estragon et de raifort frais râpé minute !

Il paraît que les pommes soufflées sont nées d’un train en retard…
En 1837, la vitesse des trains était très limitée. Et le 24 août de cette année‑là, jour de l’inauguration de la ligne Paris – Saint‑Germain‑en‑Laye, on épargna au roi Louis‑Philippe de se risquer à grimper jusqu’à 27 km/h, vitesse à laquelle le cœur avait des chances d’ « exploser ». C’est donc son épouse, la reine Marie‑Amélie qui s’y colla. Le convoi prit du retard et le cuisinier du banquet prévu à l’arrivée commença à se ronger l’intérieur des joues : ses rondelles de pommes de terre frites avaient triste mine. Elles étaient raplapla, un désastre annoncé, la honte assurée. En désespoir de cause, il risqua le tout pour le tout, et balança les rondelles penaudes dans l’huile bouillante de sa poêle préchauffée. Stupeur, les pommes de terre se mirent à gonfler. Les pommes soufflées venaient d’être inventées et notre cuisinier venait de sauver son honneur.


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