The Good Business
Des pays comme la France gagnent de l’argent en empruntant ! Des particuliers obtiennent des prêts quasi gratuits. Aubaine ou aberration ? Est-ce là le symptôme d’une économie mondiale qui dysfonctionne... voire une bombe à retardement ?
Cela défie le sens commun de tout bon citoyen cherchant à boucler son budget : comment est-il possible qu’on prête de l’argent à des taux négatifs ? L’été dernier, la Jyske Bank, au Danemark, a proposé des crédits immobiliers à – 0,5 % : en clair, pour 100 000 euros empruntés, vous ne remboursiez que 99 500 euros. Pourquoi se priver ? Un coup d’éclat qui était aussi un coup de pub, mais, chez nous, il arrive qu’un établissement accorde un crédit immobilier à + 0,5 %. Du jamais vu.
Et chaque mois, des pays – l’Allemagne et la France notamment, qui sont les deux économies les plus solides de la zone euro –, placent leurs obligations d’Etat – les milliards qu’elles empruntent sur les marchés pour se financer – à des taux négatifs. L’explication se trouve dans ces fameux taux négatifs. Un phénomène entamé après la crise financière de 2008 qui a conduit les banques centrales – la Fed, aux Etats-Unis, en premier lieu – à baisser progressivement le taux d’intérêt qui sert à refinancer les banques commerciales.
La Banque centrale européenne (BCE) atteint ainsi le taux de 0 % début 2016. Mieux, elle impose un taux négatif (porté à – 0,5 % en septembre 2019) aux liquidités excédentaires des banques. Objectif : les forcer à prêter cet argent aux entreprises et aux particuliers pour soutenir l’activité économique. Et ça marche : en France, les banques ont distribué 258 milliards d’euros de crédit immobilier l’an dernier – un record aux effets pervers.
L’effet boomerang des taux négatifs
Mais tout cet argent ne circule pas entièrement dans l’économie réelle, il reste dans la sphère financière et nourrit la spéculation sur les marchés boursiers, qui ont connu également une année faste en 2019 : + 26 % pour le CAC 40. C’est l’effet boomerang des taux négatifs : il est très compliqué de sortir de cette perfusion d’argent facile. Sans compter qu’elle fait des perdants : les épargnants qui placent leurs économies sur un livret réglementé ou sur une assurance-vie garantie dont la rémunération est corrélée aux taux d’intérêt.
Leur rendement est nul, voire négatif en tenant compte de l’inflation. Et puisque les banques ne retirent plus grand-chose de leur activité traditionnelle de crédit, elles se rattrapent sur les frais : opérations en agence, virements occasionnels, envoi du chéquier… tout y passe, en témoigne le triplement des frais de tenue de compte depuis 2013. Au total, les frais bancaires devraient représenter en moyenne 215 euros pour l’année 2020 selon le comparateur LesFurets.com.
Même si les établissements français ne sont pas prêts à taxer les comptes courants, à l’exception de la filiale de la (très privée) banque suisse Lombard Odier, qui applique la mesure sur les dépôts au-delà du million d’euros, l’exemple vient de nos voisins : en Italie, le premier groupe financier du pays, Unicredit, prélève une taxe à partir de 100 000 euros. En Allemagne, où près de 200 établissements font payer leurs clients, la Volksbank Raiffeisenbank bavaroise a été la première à taxer les dépôts dès le premier euro.
Il est d’ailleurs une autre conséquence des taux négatifs, assez cocasse, que nos voisins n’avaient pas anticipée : la plupart des banques locales préfèrent garder leurs liquidités plutôt que de les déposer à la BCE et de subir la taxe de 0,5 %. A la fin de l’année 2019, cela représentait plus de 43 milliards d’euros, trois fois plus qu’en 2014. Résultat, les établissements allemands n’ont plus assez de place pour stocker ces montagnes d’argent et cherchent discrètement des lieux sûrs…
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