« Les clients apportent le tissu, moi je fais la façon. » Ces mots prononcés par Jean Goldberg à son fils Albert vont marquer le début de l’histoire Façonnable. On est alors en 1961. Onze ans auparavant, Jean Goldberg ouvrait un atelier rue Paradis, à Nice. Né dans une famille de maîtres tailleurs venus d’Europe de l’Est, il fait preuve d’un savoir-faire de façonnier indéniable. Très rapidement, tout Nice se précipite devant sa porte.
Pendant le Festival de Cannes, ce sont les stars qui débarquent : Orson Welles, Robert Mitchum, Cary Grant, Burt Lancaster… Son fils, lui, passe ses journées dans l’atelier et le regarde entoiler le col d’une veste, placer une boutonnière, finir l’ourlet d’un pantalon. C’est donc tout naturellement qu’une fois ses études terminées le jeune homme rejoint son père afin de poursuivre l’aventure.
Avec un regard plus tourné vers le monde, Albert Goldberg a en tête l’Amérique quand il crée ses premières collections. Il va imaginer ce savant mélange de l’âge d’or du sportswear américain, et du chic décontracté français des années 60 : les chemises sont fabriquées en coton, à une époque où le Nylon domine le marché, les pulls sont bicolores et déclinent des éléments du monde de la course automobile, les chinos beiges en toile d’apparence simpliste présentent des biais colorés sur les revers, les tee-shirts de sport reprennent les rayures des tenues traditionnelles des pêcheurs niçois.
Le tailleur, créateur et entrepreneur invente une grammaire stylistique qui, portée par une extrême attention aux détails, va rapidement marquer les esprits. Cette signature va connaître une carrière à l’international grâce à un autre homme clé de l’entreprise, Jean-Pierre Benaym, associé visionnaire, mais également gestionnaire. Des boutiques ouvrent alors un peu partout : Monte-Carlo, Saint-Tropez, Paris, jusqu’à New York sur la 5e Avenue !
A l’époque, Tommy Hilfiger considérait « Faço » comme l’un de ses concurrents les plus importants. Dans les années 80, l’opticien français ODLM approche Façonnable avec l’idée de lancer une collection de lunettes de luxe reprenant les codes de la maison. Trente ans plus tard, le partenariat existe toujours. En 2000, le groupe américain Nordstorm rachète la marque pour 270 millions de dollars, et Albert Goldberg quitte le navire. A cette époque, ce fleuron compte 24 boutiques en propre en France, contre 42 à l’international, et 500 détaillants.
En 2007, l’américain cède l’affaire au groupe libanais M1. Puis, en 2016, l’espagnol Pepe Jeans Group en prend les rênes. Depuis 2013, où la maison affichait une perte de 30,5 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 47 millions d’euros, la machine est grippée. Le style est devenu confus, et l’identité de la griffe, malgré quelques fulgurances, s’est diluée. La magie n’opère plus, ou moins.
Même lorsque Frédéric Beigbeder fait sensation avec un manteau doublé de fourrure signé Façonnable, se retrouvant ainsi en tête des classements des hommes les mieux habillés. Désormais, le défi est de réaffirmer le propos, de réinventer une grammaire stylistique, tout en renouant avec l’élégance méditerranéenne et l’attachement aux matières de qualité.
En à peine deux ans, les marqueurs sont de nouveau au vert. Le navire se stabilise. A la nouvelle équipe créative de faire fructifier cet héritage, et de revenir à cet esprit fantasque, joueur et insouciant de la French Riviera, qui a fait les beaux jours de Façonnable.