The Good Business
Fini la petite marque qui joue des coudes : Beko est numéro 2 en Europe dans le secteur du gros électroménager, lancée dans une croissance à deux chiffres. Chaud devant !
Vous avez déjà vu ce nom. En cherchant un lave‑vaisselle ou un blender, peut‑être. Filiale du fabricant d’électroménager turc Arçelik, Beko est arrivée en France sur la pointe des pieds et a profité de l’inattention de ses concurrents pour se tailler une place de choix…
L’ambiance est à la fois électrique et religieuse. Comme dans une ruche dont on aurait bâillonné les abeilles. Dans cet immense open-space, deux groupes chuchotent. L’un a complètement désossé un lave-linge et mis les éléments en sachets comme autant d’indices issus d’une scène de crime, l’autre a scotché et numéroté sur un tableau noir les pièces d’un défunt presse-agrumes… Vous êtes au Garage, dernier bébé de Cem Kural, directeur de la recherche et du développement pour le groupe turc Arçelik. « Inauguré en février 2017, le Garage est notre Tech Pro Academy, raconte Cem Kural. C’est un lieu d’expérimentation et de coworking où tous les employés sont invités à venir tester leurs idées. Nous y invitons des experts, nous y formons nos ingénieurs au numérique, et c’est un lieu formidable pour la communication directe, puisque les dirigeants viennent régulièrement y faire un tour. »
D’un côté, une antichambre pour réfléchir et bricoler, avec de bons vieux tournevis ; de l’autre, une unité pour tester à l’échelle réelle, avec des imprimantes 3D à faire pâlir les chercheurs de Cambridge. Vous êtes à l’usine Çayirova, à quelques kilomètres du centre d’Istanbul, sur la rive asiatique. C’est là que sont fabriqués, entre autres, les lave-linge pour Beko, l’une des marques internationales d’électroménager du conglomérat turc, celle qui a enregistré la plus forte hausse en parts de marché ces dernières années et qui est distribuée en France. Elle fut, jusqu’en 2014, partenaire de l’émission « Top Chef » ; ça vous dit quelque chose ? A moins que vous ne vous souveniez de sa campagne de pub, « Beko partenaire officiel de votre quotidien »… Le groupe est également partenaire du FC Barcelone.
La course au silence
Ailleurs, on dit « usine » ; ici, on dit « campus ». L’unité de production fut la première bâtie par Vehbi Koç, le fondateur du groupe. En 1959, elle sortait 15 machines par jour. Aujourd’hui, il en émerge 12 500 d’une ligne de production de 75 mètres de long, presque entièrement automatisée. Le poste humain le plus important : les doigts gainés d’un bas de soie, en bout de chaîne, qui vérifient que les tambours n’accrochent pas… Ici, on travaille 45 heures par semaine sur 6 jours. On participe aux barbecues organisés par l’entreprise, qui veille à conserver son esprit familial.
Cette fringante sexagénaire est surtout devenue le centre d’expérimentation et d’innovation d’un groupe qui a toujours mis la recherche et le développement au cœur de sa stratégie. Ce département emploie 1 300 personnes dans le monde, lancées dans la course au progrès : innover, consommer toujours moins d’eau et d’électricité, introduire toujours plus de connectivité, et être de plus en plus silencieux. Cem Kural est membre honoraire d’une belle fourchette d’universités dans le monde avec lesquelles il collabore, dont le MIT, à Harvard, Stanford, l’Ecole des mines de Paris ou l’Ecole centrale de Nantes. Le groupe vient encore d’enclencher une vitesse supérieure en créant une chaîne miniaturisée, sur laquelle sont testés les nouveaux robots. Les équipes viennent s’y entraîner au pilotage, voire y réparer leur outil de production à l’autre bout de la planète grâce à un masque de réalité virtuelle. Techniques de pointe à tous les étages.
Une affaire de famille
Créer de la valeur ajoutée et déposer des brevets, cette culture de l’expérimentation vient tout droit du père fondateur de la Koç Holding, propriétaire d’Arçelik. Tout a commencé en 1926 avec le visionnaire Vehbi Koç. Ce jeune entrepreneur a le commerce dans le sang et une approche moderne de l’industrie. Impressionné par le taylorisme, il n’hésite pas à traverser l’Atlantique pour convaincre General Electric de monter une usine de fabrication d’ampoules en Turquie. De là, il bâtira un empire. En fabriquant son premier lave-linge dans les années 50, imaginait-il que ses usines en auraient produit 55 millions à ce jour ? Et que la Koç Holding serait l’un des plus gros conglomérats de son pays, l’incarnation d’une réussite familiale exemplaire ? Avec un chiffre d’affaires de 23 milliards d’euros, Koç représente aujourd’hui 8 % du PIB turc et est présent dans l’énergie (raffinerie et production électrique), l’automobile (production pour Ford et Fiat), la finance (Yapi Kredi Bank), l’agroalimentaire et l’électroménager avec Arçelik. A Istanbul, on surnomme le groupe « le Rockefeller turc ». La holding est aujourd’hui présidée par le petit-fils Omer. Ce grand collectionneur perpétue la tradition d’une famille de mécènes. On ne compte plus les interventions du groupe dans la culture ou l’éducation : financement de l’université Koç, de l’hôpital américain d’Istanbul, du musée Koç sur les rives de la Corne d’Or… Récemment, le groupe a offert deux galeries dédiées aux chefs-d’œuvre de l’art ottoman au MoMA de New York.
Beko, une arrivée en France incognito
Beko, marque d’électroménager issue de cet empire, a débarqué en France en 1988. Fabriquant d’abord en marque blanche pour les distributeurs, elle s’est faufilée incognito dans les foyers, puis a capitalisé sur l’atomisation du marché, envahi par un nombre pléthorique de marques, pour dévoiler son vrai visage. La proportion s’est inversée, les marques de distributeurs ne représentent plus que 20 % de son chiffre d’affaires. Devenue son second marché après le Royaume-Uni, où Beko pousse ses feux depuis une dizaine d’années, la France a été parmi les plus dynamiques l’an dernier. Son chiffre d’affaires y a été multiplié par sept en dix ans, et continue sur sa lancée. Les raisons de ce succès ? Les excellentes relations entretenues avec ses clients distributeurs, un positionnement accessible et un bon rapport qualité-prix pour des produits toujours plus innovants. Les ateliers préparent un « herb garden », pour cultiver plantes aromatiques et graines germées dans un frigo chez soi, ou le lancement de la VUX, « virtual user experience », un tableau de commande projeté sur le plan de travail de la cuisine, qui inclut même les images prises par la caméra dans la chambre de bébé ! En attendant, seriez-vous tenté par un réfrigérateur avec sorbetière intégrée ? par un lave-linge qui rend le tissu imperméable aux taches et accepte une charge de 12 kg ? par un four de 80 litres ou, à l’inverse, par le lave-vaisselle qui mesure 50 x 50 cm pour votre studio ? C’est le moment de faire connaissance.