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La baie de Guanabara, Rio de Janeiro
La baie de Guanabara, Rio de Janeiro.
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The Good Business

Dans les eaux troubles de la baie de Guanabara

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Cette baie est l’un des plus beaux sites naturels du monde. Elle va même accueillir certaines épreuves des jeux Olympiques. Pourtant, ses eaux sont de plus en plus sombres et de plus en plus polluées, le tout dans une indifférence presque générale. Retour sur un fiasco écologique.

Perché sur son pic du Corcovado, le Christ Rédempteur de Rio de Janeiro a une vue privilégiée sur la baie de Guanabara. Il la domine, la protège, dit-on, de ses bras ouverts. Rien n’échappe à son regard bienveillant. A commencer par ce panorama d’une incroyable beauté. Le Pain-de-Sucre veille sur les navires qui entrent et qui sortent depuis cinq siècles au moins, et les collines qui l’entourent sont couvertes de végétation ou gagnées par les masures colorées des favelas, tandis que le musée d’Oscar Niemeyer, en forme de soucoupe volante, est posé sur une rive. La carte postale est presque parfaite. Lorsqu’ils entrèrent dans la baie avec leurs caravelles, un jour de janvier 1502, les navigateurs portugais crurent avoir trouvé le delta d’un fleuve qui leur permettrait de contourner cette Terra de Vera Cruz (premier nom donné au Brésil) pour atteindre enfin les Indes. Et ils la baptisèrent Rio de Janeiro, « fleuve de janvier », un nom qui survivra à tout ce qu’a connu, depuis, ce havre de marins : défilé de galions, de ­pirates, d’hommes en armes, de colons appâtés par les richesses promises, comme ces Français, envoyés par Henri II, qui fondèrent une éphémère France antarctique (1555-1559). A l’époque, des dessins et des récits le prouvent, des tribus d’Indiens vivaient autour de ces eaux calmes des incroyables richesses naturelles : une végétation luxuriante, généreuse en fruits, des crustacés, des tortues, des poissons en masse, tandis que dauphins et baleines venaient s’y reproduire. Ce paradis tropical est aujourd’hui bien loin ! Sous le regard d’un Rédempteur octogénaire, l’agitation est permanente, liée à l’activité des 7,5 millions de Cariocas : bateaux, voiliers, cargos, navires-­citernes, digues portuaires, chantiers navals, raffinerie de pétrole, ­navires de la Marinha do Brasil, aéroports sur des îles-polders… Plus un pont de 13 kilomètres reliant Rio à Niterói et, enfin, les maisons et les immeubles qui ont grignoté les collines. La baie s’est rétrécie, et ses eaux se sont assombries. « Le Brésil ne valorise pas ses beautés naturelles. Cette baie a une forme de cœur, mais ce cœur est nécrosé », constate avec amertume David Lee, le professeur responsable du département océanique de l’Université d’Etat de Rio de Janeiro (UERJ). Nécrosé par ce que l’être humain déverse dans cette baie autrefois si bleue et si poissonneuse : les égouts des riverains finissent dans la baie. Pour moitié in natura, sans traitement aucun. Par endroits, la baie est devenue un véritable cloaque. « Les canalisations séparent les eaux ménagères des eaux de pluie, mais en théorie seulement, observe David Lee. Car tout finit par se mélanger, surtout les jours d’orage tropical, quand les tuyaux débordent ; 48 % à peine des eaux collectées passent alors par une station d’épuration. » Sans compter que tous les cours d’eau qui descendent la Serra do Mar – les montagnes du pourtour de la baie –, soit 45 rivières et fleuves, charrient eux aussi des immondices domestiques et industrielles. Les quotidiens de Rio témoignent régulièrement des objets trouvés : sandales, pneus, plaques de polystyrène, bouteilles de verre ou de ­plastique, bidons, chien mort et, plus sinistre encore, un bras humain.

En chiffres

  • Surface : 380 km2.
  • Longueur : 30 km.
  • Passe d’entrée : 1 600 m de large.
  • Profondeur moyenne : 3 m.
  • Profondeur maximale : 17 m.
  • Nombre d’îles : 22.
  • Cours d’eau s’y jetant : 55.

La moitié des égouts des riverains finissent dans la baie de Guanabara sans subir de traitement.
La moitié des égouts des riverains finissent dans la baie de Guanabara sans subir de traitement. Luiza Venturelli
Pneus, bouteilles, canapés, matelas… Les ordures sont si nombreuses qu’elles nuisent à la circulation des ferrys.
Pneus, bouteilles, canapés, matelas… Les ordures sont si nombreuses qu’elles nuisent à la circulation des ferrys. Luiza Venturelli

Les maux de la baie

  • Égouts : 10 000 t d’eaux usées par seconde.
  • Ordures : 330 t jetées par mois.
  • Le rejet de produits chimiques industriels.
  • Le trafic maritime.
  • Les faibles marées et la faible oxygénation : régulière mortalité en masse de poissons.

Située dans le fond de la baie, l’île de Paquetá était autrefois un lieu de villégiature pour cariocas aisés. Aujourd’hui, plus personne ne fréquente ses magnifiques plages ni ne se baigne.
Située dans le fond de la baie, l’île de Paquetá était autrefois un lieu de villégiature pour cariocas aisés. Aujourd’hui, plus personne ne fréquente ses magnifiques plages ni ne se baigne. Luiza Venturelli
Située dans le fond de la baie, l’île de Paquetá était autrefois un lieu de villégiature pour cariocas aisés. Aujourd’hui, plus personne ne fréquente ses magnifiques plages ni ne se baigne.
Située dans le fond de la baie, l’île de Paquetá était autrefois un lieu de villégiature pour cariocas aisés. Aujourd’hui, plus personne ne fréquente ses magnifiques plages ni ne se baigne. Luiza Venturelli

Des touristes déserteurs
« La présence de trop nombreuses ordures sur notre tracé nous oblige à ralentir la vitesse du ferry », s’excuse, un matin, le commandant Missias, aux commandes de son ferry qui rallie l’île de Paquetá. Une annonce qu’il doit faire de plus en plus souvent. Située au fond de la baie, Paquetá est un refuge de tranquillité ; les voitures y sont interdites. C’était autrefois un lieu de villégiature où les plus fortunés des ­Cariocas possédaient une résidence secondaire. La pollution a tout changé. Les touristes se font rares, malgré le charme indéniable que dégagent ces jolies maisons perdues dans la végétation. Les plages sont vides. Les résidents n’osent plus s’y aventurer, les visiteurs non plus. « J’habite ici depuis trente ans, j’adore le calme, mais je ne me baigne jamais, admet João, le cuisinier de l’hôtel du Lido. On voit tellement de choses flotter puis traîner sur le sable, surtout après la pluie… » Pourtant, des éboueurs aux tenues orange de la Comlurb, le service municipal, travaillent ici chaque jour. « C’est parfois démobilisant, reconnaît l’un d’eux. On ramasse de tout sur cette île ! Dernièrement, j’ai trouvé, échoués, un canapé, un matelas et un bidet ! Ensuite ? Les ordures sont transférées à Rio. Pour revenir avec la marée ? » Les pêcheurs semblent tout autant souffrir des ordures. « Ça déchire mes filets, se désole Heraldo. Avant, on pêchait beaucoup de crevettes et de sardines. Maintenant, je ne mets plus les pieds dans l’eau. Démangeaisons assurées ! » dit-il, préférant se souvenir d’un temps où le tout-Rio rêvait de Paquetá. Les mangroves du fond de la baie étaient autre­fois le repère des crabes. Leur royaume a aujourd’hui disparu sous les immondices. Et les consignes des scientifiques sont claires : éviter de manger des fruits de mer provenant de la baie, comme les crabes ou les moules. Cependant, au pied du Pain-de-Sucre, qui garde l’entrée de la baie de Guanabara, les pêcheurs sont toujours aussi nombreux, de jour comme de nuit, alignés près du muret qui contourne le paisible quartier d’Urca. Parfois, pour le simple plaisir d’être dehors, avec les copains. Retraité, Antonio de Carvalho pêche à Urca depuis quarante ans et se souvient de prises miraculeuses. Aujourd’hui, dans le doute, il se contente de rejeter à la mer ce qu’il prend à l’hameçon. Son bruyant voisin, en revanche, s’adonne à sa passion avec enthousiasme. Jorge Natalino lance loin sa ligne, à 150 mètres du bord, et ne repart jamais le seau vide. Ce policier militaire vient là pour oublier ses missions dangereuses quotidiennes dans la favela de Rocinha. « Je ramène les poissons à ma copine, qui cuisine très bien, et jamais nous n’avons été malades ! » assure-t-il.

Au pied du pain-de-sucre, rares sont les amateurs de pêche qui, comme Jorge Natalino, mangent le poisson de la baie.
Au pied du pain-de-sucre, rares sont les amateurs de pêche qui, comme Jorge Natalino, mangent le poisson de la baie. Luiza Venturelli

La pollution de la baie, tout le monde la voit, tout le monde la regrette, mais personne ne se mobilise vraiment pour en finir. L’opinion publique est certes de plus en plus attentive, mais elle le manifeste finalement assez peu. Il faut dire que les Cariocas entendent parler de la « depo­luição da Baia » depuis plusieurs décennies. Le Japon avait notamment participé, avec la Banque interaméricaine de développement (BID), aux 800 millions de dollars destinés aux grands travaux de dépollution lancés en 1991 et encouragés par tous les gouverneurs de Rio, quelle que soit leur étiquette. Mais sans résultat. « Même la pollution est rentable par ici, raille le chauffeur de taxi Wallace Ribeiro. La baie a officiellement été dépolluée au moins dix fois ! Ils avaient promis qu’elle serait propre pour les jeux Olympiques, mais je ne sais pas si c’est pour ceux de 2016, de 2020 ou de 2024 ! » lance-t-il avec facétie. C’est pourtant bien pour ceux de 2016 que des engagements avaient été pris. Ce devait même être l’un des principaux legs des JO aux Brésiliens : 80 % de la baie serait nettoyée, promettait le dossier de candidature en 2009. Promesse non tenue, comme tant d’autres. Les lieux des épreuves ne sont pas encore assainis, comme le long de la plage de Flamengo. Ce qui révolte le biologiste Mario Moscatelli. « Jamais je n’aurais imaginé que nos dirigeants se laissent ridiculiser devant les caméras du monde entier ! J’ai 51 ans et je me bats pour cette baie depuis vingt-six ans. ­Ailleurs, on me dirait citoyen. Ici, on me traite de fou ! J’ai déjà organisé des collectes d’ordures avec des riverains, mais personne ne se mobilise sur le long terme. » A la fin de l’été austral, cet écologiste avait appelé les voisins de la si jolie anse de Botafogo à manifester leur colère. Cette plage, située face au Pain-de-Sucre, n’a jamais de baigneurs et est polluée par deux énormes sorties d’égouts. Mais moins de dix habitants de Botafogo avaient bravé le soleil de plomb, encerclés par une nuée de journalistes. « Cette plage de carte postale est nauséabonde, mais personne ne le sait ! Je paie chaque mois des taxes pour la collecte des égouts et des ordures. Où va donc l’argent ? » s’interroge Carlos Jorge Darma, venu avec sa fille. « Les politiciens sont les reflets de notre société, lui répond Mario Moscatelli. Ils n’investissent pas dans les égouts parce que les gens ne s’y intéressent pas ! Cette baie agonise depuis vingt ans, dans l’indifférence. » Heureusement pour Rio, ses plages les plus fameuses, Copacabana et Ipanema, se trouvent côté atlantique. Elles sont brassées par la marée. Elles sont donc beaucoup moins victimes de la pollution. Et, pour l’instant, le canal, profond d’une vingtaine de mètres, irrigue la baie telle une artère et renouvelle encore assez ses eaux pour limiter « la nécrose du cœur ». Mais pour combien de temps ? Le Christ du Corcovado devra réaliser un miracle ! Et vite, très vite.

En 2009, le Brésil s’était engagé à nettoyer 80% de la baie pour les Jeux Olympiques, mais la promesse ne sera pas tenue…
En 2009, le Brésil s’était engagé à nettoyer 80% de la baie pour les Jeux Olympiques, mais la promesse ne sera pas tenue… Luiza Venturelli
Le Musée de Demain : un édifice écologique qui a les pieds dans les immondices.
Le Musée de Demain : un édifice écologique qui a les pieds dans les immondices. Luiza Venturelli

Entretien avec l’ingénieur chimiste Fatima Guadalupe Meniconi

Elle est l’une des 77 chercheurs universitaires réunis pour une étude sur la baie de Guanabara, récemment publiée. « La baie est polluée, contaminée, mais elle résiste grâce au courant qui, en profondeur, assure un renouvellement encore suffisant de ses eaux. Les égouts domestiques et les rivières sont les facteurs majeurs de pollution, car il y a de gros problèmes de collecte en vue du retraitement. Les rejets industriels sont importants, mais de plus en plus contrôlés, même si les sanctions sont très rarement appliquées aux usines fautives. Jusqu’à présent, les programmes de dépollution ont été un échec, inadaptés. D’énormes dépenses pour de maigres résultats. Les choses s’améliorent donc trop lentement. Et la crise économique du Brésil n’arrange rien. Elle peut même être un frein : les préoccupations écologiques perdent leur priorité dans des budgets restreints. Il nous faut miser sur l’éducation environnementale des jeunes, les sensibiliser, car, pour le moment, les habitants n’accordent pas d’importance à la propreté de leur baie. Elle reste la destination naturelle de leurs ordures. Mais je suis sûre que nos enfants sauront sauver la baie ! »

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