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La cité phare des Émirats arabes unis, cette Babel d’aujourd’hui, fait rêver les amateurs de clichés sans les importuner. Pendant ce temps, Dubai puise dans la mode pour imaginer la gastronomie de demain…
Que n’aura-t-on pas fait endurer à Dubai ? Une abondance de clichés nous conforte dans notre condescendance navrée. Comme cela nous rassurait, ces Lamborghini crachotantes, ces silhouettes siliconées, ces aquariums gigantesques (10 millions de litres, plus de 300 requins), ces héros plastifiés de la télé-réalité !
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Et puis, il faut croire qu’à force de se mettre la rate au court-bouillon, de médire, est venu le moment où Dubai gagne soudainement en vertu. Finalement, on se serait bien vus oublier nos cocoricos éraillés pour nous glisser en douce parmi les hommes en qamis (djellabas) blanc immaculé.
Régulièrement, et surtout discrètement, on se renseigne pour venir décrocher un appartement, un aller simple et – qui sait – le « golden visa ». « Le luxe, ici, témoigne une convaincue installée au Toby’s, coffee-shop tendance de Jumeirah, a beaucoup évolué. On aime la réussite, pas forcément son exhibition ; on préfère la forme physique à la fortune, son personal trainer à son banquier, et surtout, on fait partie de l’essence de la ville. C’est un reset permanent. »
À l’est, le futur
On aurait alors vite appris l’histoire de cet ancien port de marchands devenus prospères par les huîtres perlières, anéantis par les perles de culture japonaises (1950), puis réinventés avec le jaillissement du pétrole. Remonter ainsi un peu dans l’histoire (pas beaucoup, juste cinquante ans), comprendre que Sheikh Zayed, visionnaire éclairé, parvint à fédérer ses voisins pour consacrer les Émirats arabes unis qui, faut-il le rappeler, n’ont rien à voir avec le Qatar et l’Arabie saoudite.
Dubai, dit-on volontiers ici, c’est le Hong Kong d’il y a vingt ans, son énergie, sa modernité ; l’une des villes au monde où l’on peut deviner le futur. C’est alors que le monde nous est réapparu : pendant que nous lanternions au-dessus de nos timbres-poste, il s’est déplacé vers l’Asie. La majorité de la population mondiale vit aujourd’hui entre Shanghaï et Istanbul. Il est temps d’ajuster nos curseurs.
Il est vrai que la liberté de la presse n’est pas son fort (164e rang sur 180 ; la France est 25e, la Norvège, 1re), mais cette cité musulmane n’est pas une dictature assombrissant ses sujets, c’est bien un pays accordant une place prépondérante aux femmes. C’est une ville percutante, brassant 200 nationalités – pas mal d’Indiens, 37 %, de Pakistanais, 20 %… pour seulement 10 % d’Émiriens. Elle génère un vivre-ensemble déconcertant, d’une tolérance à faire pâlir nos compatriotes.
Au rythme du dromadaire
Grand gagnant de ce nouveau virage, avec la mode, le football (et son sportwashing), et bientôt le bien-être, la gastronomie. On savait depuis une décennie que c’était devenu un langage. C’est à présent le lieu d’une adhésion sociale où le monde entier peut se mirer.
Si l’on regrette parfois la surabondance de chefs mercenaires, les cuisines du Moyen-Orient commencent à s’afficher clairement avec des tables joyeuses, comme celle de la cheffe palestinienne Salam Dakkak. Certes, l’azote est partout et les musiques surlignent les intentions. On mange sous les vibrations de basses intranquilles, d’incantations murmurées, dans la rythmique lancinante du dromadaire (camel beat), voire du rock des années 1980 dans le nouveau triplement étoilé FZN de Björn Frantzén : Eurythmics et ses hymnes balançant entre synthpop hypnotique et électropop mystique en parfait miroir du turbot et sa sauce tahini, noisettes et caviar.
On se veut pédagogique, un jeune chef vous montre avec un large sourire comment on décoquille une saint-jacques. Mais si vous préférez le silence, le restaurant de Heston Blumenthal, avec sa cuisine britannique dite « médiévale », dispose sur la table plusieurs cartes « de service » pour compléter la nature des informations délivrées par les maîtres d’hôtels : soit la recette approfondie avec son histoire, soit un aperçu rapide, ou alors, et donc, le silence.
Le niveau des cuisines est dans l’ensemble plus que valable, avec les mêmes tendances que celles qui ont cours sur le reste de la planète, soit l’effacement de ce qui est bon par ce qui est visuel. En témoigne cette goutte d’eau reconstituée par le pâtissier du Royal Tearoom de l’Atlantis The Royal, Christophe Devoille ; ou le Meat fruit de Blumenthal, une mandarine farcie de mousse de viande.
Partout à Dubaï, le service est avenant, souriant, disponible et surtout, la ville conserve ses origines bédouines. À savoir la flexibilité, le nomadisme, à l’instar de la ville qui va se déplacer vers le sud, avec son nouvel aéroport déjà en émergence, une nouvelle « Palm » annoncée pour 2035. Dubaï est une capitale « work in progress » et rappelle les vers d’Ezzedine Jahaf, poète yéménite, évoquant cette cité définitivement vibrante où l’on arrive vieux et d’où l’on repart rajeuni.
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