The Good Business
Dévastée par la crise, Détroit a perdu beaucoup d’argent, d’habitants et de pouvoir. Pourtant, depuis quelques années, la plus grande ville du Michigan renaît de ses cendres, portée par ceux qui sont restés et des investisseurs intelligents.
« On a du mal à trouver son chemin avec tous ces travaux, c’est comme si, chaque jour, commençait un nouveau chantier ». Dans toutes les villes du monde votre chauffeur de taxi rencontrerait des difficultés à garder son calme en prononçant ces mots. Pas à Détroit. Ici, il esquisse un sourire, celui du rescapé qui voit sa ville renaître sous les grues et les tractopelles.
La crise du début de la décennie a terrassé Détroit, finissant le travail d’une classe dirigeante peu fiable, aux manettes depuis 40 ans. Elle est déclarée en faillite dès 2011. Fin 2014, alors que le nombre d’habitants est deux fois moins important qu’en 1980, l’ancienne très grande ville américaine réussissait à convaincre ses créanciers d’effacer une partie de son ardoise pour sortir de la faillite. Sa dette s’élevait à 18 milliards de dollars.
L’énième vie de la Motor City commence. Premier gros chantier, la réhabilitation des espaces « libérés » par les habitants qui ont quitté la ville. « Détroit vit une transformation impressionnante depuis trois ans, selon Renée Monforton directrice marketing et communication pour Visit Detroit, plus de six milliards de dollars ont été injectés par différents investisseurs dans des projets de grande envergure comme la revitalisation du littoral fluvial, la rénovation de dizaines de gratte-ciels, la construction d’immeubles résidentiels, la QLine (tramway inauguré en mai 2017 NDLR), de nouvelles boutiques et plus de 160 restaurants. »
Des investissements qui n’ont rien à voir avec du mécénat. Les prix de l’immobilier, au plus bas après la crise, minimisent la prise de risque. Deux investisseurs en particulier ont joué un rôle important dans ce renouveau. La famille Ilitch, propriétaire, entre autres, des équipes locales de hockey et de baseball qui a racheté plusieurs institutions de Détroit dont le Fox Theatre et Dan Gilbert, fondateur de Quicken Loans, un puissant organisme de crédit qui ambitionne de rénover 90 immeubles et de construire le futur plus haut gratte-ciel de la ville.
Les acteurs de l’hospitalité ne sont pas en reste. Outre les centaines de restaurants qui ont ouvert leurs portes depuis la sortie de la crise, des boutique-hôtels, une nouveauté à Détroit, fleurissent depuis un peu plus d’un an. Aloft, Foundation, Trumbull and Porter et plus récemment The Siren, avant les ouvertures prochaines du West Elm, District Detroit et Element. Le développement de l’offre hôtelière est impressionnant. A l’automne, Shinola, acteur incontournable de la ville, inaugurera à son tour son hôtel, avant une relative accalmie du marché. Résultat de tous ces investissements, entre 2014 et fin 2017 le nombre de locaux vides ou abandonnés, 40 000 il y a quatre ans, a été divisé par trois. Surtout, le taux de chômage est passé de 22 à 10 % entre 2013 et 2017.
Détroit et la fibre patriotique
C’est un fait, les detroiters sont passionnés par leur ville. On ne peut pas passer plus de trois minutes sans apercevoir une casquette, un tee-shirt ou un sweat à l’effigie de l’une des quatre équipes qui représentent la ville dans les différents sports nationaux. Et pas seulement les jours de match. Pour peu que vous n’ayez pas l’air du coin, aucun passant, chauffeur Uber, vendeur ou barman n’oubliera de vous demander ce que vous faites ici et ce que vous pensez de « leur » Détroit.
Ce qui peut ressembler, a priori, à du patriotisme amusant, a tout de même joué un rôle dans le sauvetage de Détroit. De nombreuses initiatives spontanées et personnelles ont en effet vu le jour quand la crise a frappé la ville. Ses habitants, méfiants vis-à-vis de la municipalité, ont préféré prendre les choses en main. Ainsi sont nés les Heidelberg Project et Grand River Creative Corridor, deux centres culturels qui misent sur le street-art, pour revitaliser les quartiers oubliés. Autre projet phare, les community gardens. Installés dans les nombreuses friches industrielles qui jalonnent Détroit, ces jardins sensibilisent les habitants à l’entraide et la débrouille.
Les exemples de la fibre patriotique qui anime les detroiters sont nombreux. On ne compte plus les enseignes qui sont nées en ville et font leur retour maintenant que la tempête est passée. C’est le cas, entre autres, de la griffe workwear Carhartt et de la brasserie Stroh’s. La première a rouvert une boutique dans le nord de la ville en 2015, la seconde est revenue en 2016 pour brasser une bière exclusive au Michigan. C’est vrai aussi pour certaines personnalités. Jack White, des White Stripes, né à Détroit, y a installé une boutique de son label Third Man Records, pourtant initialement créé à Nashville. Et Thomas Lents, chef exilé à Chicago où il a reçu une étoile Michelin, est revenu au bercail pour prendre les rênes des cuisines du Foundation Hotel.
Attirer des touristes
Détroit et sa région ont attiré 16 millions de visiteurs en 2013, dont 1,7 rien que pour le musée Henry Ford. L’an dernier, ce sont 19 millions de touristes qui ont eu la curiosité de passer un moment dans la Motor City. Une augmentation significative… et une industrie qui a un rôle à jouer dans la renaissance de la ville. A ce propos, Renée Monforton de Visit Detroit affirme que « Le tourisme a un impact considérable sur le développement d’une ville, peu importe laquelle. En 2017, les millions de touristes que nous avons accueilli ont dépensé 6 milliards de dollars, ce chiffre devrait continuer d’augmenter… Sans trop nous avancer, nous pouvons tabler sur une estimation à 20 millions de visiteurs en 2020. »
Mais il y a un « mais ». Si les prospectives de l’office de tourisme sont si raisonnables c’est parce que l’immense majorité des visiteurs à Détroit vient de l’Amérique du Nord. Pour que les chiffres explosent de façon plus impressionnante, il faut attirer des touristes étrangers, autres que les Canadiens qui n’ont qu’à traverser la rivière. Pour cela, Détroit mise sur l’Europe. Les premiers résultats se font sentir. Depuis peu, par exemple, des agences de voyage haut-de-gamme comme Voyageurs du Monde ont lancé des offres de séjours sur-mesure dans la ville de la Motown. Autre signe encourageant, la création d’une ligne Reykjavik – Détroit par la compagnie low-cost islandaise Wow Air. De son hub en Islande, elle relie la quasi-totalité de l’Europe au Michigan. Là où des compagnies nationales comme Air France opéraient déjà la liaison avec plusieurs vols directs par semaine, l’arrivée sur ce marché d’une budget airline change la donne et place Détroit sur la carte des destinations « loisir », souvent associées aux vols à bas prix.
Si les planètes semblent alignées pour faire de Détroit un hub touristique important du Midwest, un point lui fait encore défaut pour concurrencer Chicago qui se trouve à moins de 500 kilomètres. En effet, la vie nocturne détroitienne n’est pas encore à la hauteur d’une ville de cette importance. Les bars ferment tôt, les boîtes sont rares et les pubs minuscules. Attraction touristique majeure après 2h du matin : le casino. Une fois passée l’authenticité toute américaine des discussions avec les grands-mères visière/sac banane et gaillards tatoués exaspérés par leur malchance, on se lasse vite. Si on ajoute à cela le fait que le centre-ville (downtown) peut se montrer, de nuit, intimidant (par son aspect désertique plus que par son insécurité) il faudra attendre avant de voir Détroit se mouvoir la nuit.
Le downtown… et les autres
La quasi-totalité des projets immobiliers évoqués plus haut sont concentrés dans le très vivant Downtown. Mais d’autres quartiers ont su tirer leur épingle du jeu. A commencer par Corktown. La plus ancienne zone de la ville est devenue « le » repaire de hipsters. Friperies branchées, bars, barbiers et magasins de cycles ont remplacé les concessionnaires auto et les stations-service. Les motels miteux d’antan se sont transformés en charmants boutique-hôtels. Un Brooklyn du Nord à un détail près : une six-voies bruyante et polluante qui traverse le quartier. Une route démesurée, comme un rappel que l’on se trouve au pays de Ford et General Motors.
Autre quartier pétillant, Greektown. Quelques pubs, des néons étranges, les fameux casinos et ses allures de village y créent une agréable atmosphère. C’est ici que l’on croise la plupart des touristes et locaux quand la nuit tombe. Parallèlement, plusieurs autres zones vivent des transformations récentes. C’est le cas de Midtown ou Eastern Market. Plus au nord, le premier est un quartier culturel qui reprend des couleurs avec de nouveaux musées comme le MOCAD, consacré à l’art contemporain. Ici on assiste à l’arrivée de nouvelles boutiques qui se greffent à celle, pionnière, de Shinola. A nord-est, le deuxième est un grand rassemblement de primeurs et de restaurants.
Autour ? Tout reste à faire. Le maire en poste depuis 2014, le démocrate Mike Duggan, a déjà supervisé la destruction de 12 000 maisons abandonnées (l’un des fléaux de Détroit) et lancé la revitalisation des quartiers cités plus haut. Pour en arriver là, une nouvelle population, plus aisée, est venue s’y installer aux dépens des plus pauvres dont les taxes foncières ont augmenté, forcés de se rabattre sur des quartiers périphériques, encore loin d’être réhabilités. Parmi ces « déplacés », les afro-américains sont sur-représentés, ajoutant à la crise financière, des crispations raciales latentes et justifiées. Duggan promettait lors de la campagne pour son premier mandat, que « tous les quartiers avaient un futur ». Ce n’est pas encore le cas, mais celui qui est devenu en 2012 le premier maire blanc depuis 1974 semble avoir la confiance des citoyens de Détroit, majoritairement noirs (84 %). En effet, il a été réélu, fin 2017, pour cinq ans de plus, avec 72 % des voies.
Détroit a vécu l’une des décennies les plus compliquées de son histoire. Ancienne grande puissance, elle retrouve un second souffle et mérite que l’on s’y attarde. Pour son architecture Art déco flamboyante datant de son apogée, sa nouvelle scène gastronomique, ses musées, son histoire passionnante, son authenticité et ses friches qui, même elles, valent le détour. Fondée en 1701 par un Français, Antoine de la Mothe-Cadillac (que les detroiters prononcent « Calac »), la ville tient sa devise officielle d’un autre de nos compatriotes, le prêtre Gabriel Richard qui, après un incendie dévastateur en 1805, déclarait « Speramus meliora ; resurget cineribus » (« nous espérons des jours meilleurs ; elle renaitra de ses cendres »). Prémonitoire.
Pratique
• Y aller
WOW Air dessert Détroit toute l’année depuis Paris CDG via Reykjavik au rythme de 4 rotations par semaine. Vols à partir de 145,99€ l’aller. www.wowair.com
• Se renseigner
Office de tourisme de Détroit. www.visitdetroit.com