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Design : Patricia Urquiola, la plus milanaise des Espagnoles

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Elle est, depuis les années 90, l’une des figures de proue du design italien et international. Formée auprès des plus grands designers, la créatrice vit et travaille à Milan, où elle a créé son studio, en 2001. Curieuse insatiable et fascinée par les changements en cours, Patricia Urquiola se livre sur sa carrière et son rapport à l’écosystème du design italien.

Espagnole formée à l’architecture à Madrid, puis au Politecnico de Milan, où le design s’est imposé à elle à travers le regard exigeant des maestri, Patricia Urquiola est, depuis les années 90, une figure incontournable du design italien et international. Après avoir appris les différentes facettes, à la fois de la discipline et du métier, auprès de personnalités aussi mythiques qu’Achille Castiglioni, Maddalena De Padova, Vico Magistretti ou Piero Lissoni, elle a établi son studio en 2001 dans la capitale lombarde.

Créatrice multitâche, elle explore avec audace et enthousiasme les nouveaux scénarios de modes de vie respectant l’humain et l’environnement et est autant à l’aise à l’échelle macro – l’architecture et la scénographie d’expositions (dont la récente A Castiglioni, à la Triennale, en 2018) – que micro – le meuble et l’objet.

Toujours innovantes dans leur approche formelle, technique et chromatique, ses créations sont éditées chez Moroso, B&B Italia, Cappellini, Driade, Flos, Molteni&C, Kartell, Boffi, GAN, Andreu World, Glas Italia, Kettal, Haworth, Agape, CC-Tapis ou Louis Vuitton. Et chez Cassina, bien sûr, dont elle est également directrice artistique depuis 2015. Pour une expérience immersive de son univers, rien de mieux que d’aller passer une nuit dans l’un des hôtels qu’elle a aménagés, par exemple l’hôtel Room Mate Giulia, au cœur de Milan, ou Il Sereno, sur les bords du lac de Côme.

Pour une expérience immersive de l’univers de Patricia Urquiola, rien de mieux que d’aller passer une nuit dans l’un des hôtels qu’elle a aménagés, comme l’hôtel Room Mate Giulia, au cœur de Milan.
Pour une expérience immersive de l’univers de Patricia Urquiola, rien de mieux que d’aller passer une nuit dans l’un des hôtels qu’elle a aménagés, comme l’hôtel Room Mate Giulia, au cœur de Milan. DR

Lors du Madrid Design Festival 2020, la journaliste, critique et commissaire Ana Dominguez Siemens lui a consacré une exposition monographique – la toute première à Madrid –, mettant particulièrement en lumière combien sa curiosité tous azimuts – allant de la « réalité virtuelle à l’économie, en passant par la politique, l’intelligence artificielle, la théorie des couleurs, l’anthropocène, la robotique, l’écologie et le développement durable, le genre, l’interaction homme-machine, etc. » – nourrit son « approche rhizomatique des projets, un mode de pensée qui est aussi sa méthode de travail ».

A quelques jours du Salone del Mobile à Milan (5 au 10 septembre), rencontre à distance pour cause de pandémie, dont on ressort avec une curiosité joyeuse pour l’avenir. Grazie mille Patricia !

8 questions à Patricia Urquiola :

The Good Life : Qu’est-ce qui, à la fin des années 80, a motivé votre désir de venir poursuivre vos études d’architecture au Politecnico de Milan ?
Patricia Urquiola :
J’ai commencé par étudier l’architecture à Madrid, mais en Espagne, ma génération ressentait un puissant désir de liberté. L’Italie concentrait ces figures de proue de l’architecture et du design publiées dans Domus – une revue qui a sans doute beaucoup contribué à cette attraction. Et, bien sûr, il y avait cette culture et cette énergie à Milan dans les années 80 : Memphis, Fiorucci… J’ai fait ce que font aujourd’hui les étudiants avec le programme Erasmus et j’ai rejoint le Politecnico. J’ai passé ma thèse sous la direction d’Achille Castiglioni et l’ai assisté pendant une année pour ses cours – une formation analogique. Il y avait son frère aussi, c’était une famille merveilleuse, ouverte sur tant de choses. De là, tout s’est enchaîné, un pas après l’autre.

TGL : Qu’a signifié pour vous le fait de travailler avec Achille Castiglioni, Vico Magistretti, Maddalena De Padova ou Piero Lissoni, et que vous ont-ils appris ?
P. U. :
Maddalena De Padova était l’une des références absolues de l’entrepreneuriat éclairé, et son studio était déjà un lieu mythique en ville. Pour Maddalena et Vico [Magistretti, qui collaborait alors avec Maddalena De Padova, NDLR], il s’agissait toujours d’envisager la complexité et la simplicité. J’y ai passé six ans et j’y ai appris ce que sont la responsabilité de l’édition, la conception et le rapport entre la technique et la dimension commerciale, la culture de l’entreprise. Ce qui, en un mot, est la matrice du design italien. Avec Piero Lissoni, c’était une transition très belle : nous avions une grande affinité de goût ; il était un peu comme mon grand frère. Puis j’ai ouvert mon studio, en 2001, ce que je n’avais pas vraiment envisagé de faire auparavant et, là aussi, j’ai eu la chance de rencontrer rapidement des personnes qui ne m’ont pas dit non, comme Patrizia Moroso.

Pour une expérience immersive de l’univers de Patricia Urquiola, rien de mieux que d’aller passer une nuit dans l’un des hôtels qu’elle a aménagés, comme Il Sereno, sur les bords du Lac de Côme.
Pour une expérience immersive de l’univers de Patricia Urquiola, rien de mieux que d’aller passer une nuit dans l’un des hôtels qu’elle a aménagés, comme Il Sereno, sur les bords du Lac de Côme. DR

TGL : Qu’est-ce qui a changé par rapport à ces années-là ?
P. U. :
La numérisation et la mondialisation. Il s’agit toujours de concilier complexité et simplicité, mais les projets doivent avoir une performance commerciale plus globale. Il y a aujourd’hui une tension très forte et la conscience que les problèmes doivent être traités de façon différente. Mais, surtout, à partir de mars 2020, nous avons vécu dix années en une. C’est un moment très intense. Difficile, mais fascinant. Le numérique est le complément du réel, l’hybride est partout. En parallèle, il y a une volonté affirmée de ne pas perdre nos racines artisanales.

TGL : Depuis 2015, vous êtes la directrice artistique de Cassina – qui fait partie du groupe américain Haworth. En quoi la façon de travailler diffère de celle d’une direction 100 % Brianza ?
P. U. :
Quand je suis devenue directrice artistique de Cassina, la société faisait déjà partie du groupe américain et l’approche d’Haworth m’était familière, étant donné que je collaborais avec eux avant 2015. Il était alors déjà clair que, puisque l’on est dorénavant amené à travailler dans des endroits très divers, le mobilier de bureau, par exemple, ne pouvait plus se résumer à des sièges ergonomiques ou des cubicles [bureau à cloisons]. La fluidité est extrêmement importante.

TGL : On assiste, depuis quelques années déjà, à une pollinisation croisée entre la mode et le design. Est-ce cela que l’on doit lire dans votre fauteuil Lud’O (Cappellini) qui peut être « habillé » de différentes manières ?
P. U. :
Je crois qu’il ne faut surtout pas trop simplifier cette approche de pollinisation entre la mode et le design. La musique, le graphisme, les arts plastiques, tout cela a une grande influence aussi. Interpréter. Stimuler. Le fait de pouvoir « habiller » ou « déshabiller » le siège Lud’o lui offre une âme durable. Bien plus que la mode, le concept est celui des cycles de vie, puisque chaque élément qui le constitue peut être désassemblé. Mais déjà, dans les années 90, Vico Magistretti s’intéressait aux zips pour cette raison…

TGL : Personnellement, comment avez-vous traversé ces mois de confinement ?
P. U. :
Personne n’était préparé, je crois. J’ai eu du temps pour passer du temps avec ma famille, lire, cuisiner et, surtout, pour comprendre, de façon analogique, comment vivre ensemble. J’ai appris à être plus courageuse. Et plus patiente.

Patricia Urquiola est directrice artistique de Cassina depuis 2015. Elle pose ici dans un fauteuil Feltri dessiné par Gaetano Pesce en 1987.
Patricia Urquiola est directrice artistique de Cassina depuis 2015. Elle pose ici dans un fauteuil Feltri dessiné par Gaetano Pesce en 1987. DR

TGL : Comment voyez-vous l’avenir ?
P. U. :
C’est difficile de parler d’un futur, alors que nous sommes encore en train de vivre le changement et que tant de choses sont encore imprécises. On doit regarder cela sous l’angle des possibilités. Les objets et les lieux devront sûrement avoir une plus grande fluidité. Voyager autant que nous le faisions pour le travail semble obsolète. D’autant plus qu’on travaillera plus depuis des hubs qui pourront être aussi bien un hôtel qu’une voiture, avec le développement de la conduite autonome. La maison est au centre de l’attention. On y passe beaucoup plus de temps, et le désir se porte sur les espaces intermédiaires, ceux qui permettent une transition fluide entre l’intérieur et l’extérieur – balcon, terrasse, véranda –, tous ces synonymes d’ouverture sur le monde. C’est vraiment l’occasion de construire une nouvelle pensée écologique en dépassant la seule idée de l’environnement – parce que la nature, c’est nous, comme le dit si bien Timothy Morton [philosophe écologiste, NDLR].

TGL : Que vous semble-t-il essentiel de partager à votre tour avec les jeunes architectes et designers qui travaillent avec vous au Studio Urquiola ?
P. U. :
La difficulté, tout autant que la volonté d’être transparent. J’espère qu’ils voient combien la transparence est essentielle.


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