C’est une cérébrale, mais pas uniquement. Bintou Dembélé est surtout une instinctive. La preuve dans le simple mouvement du bras qu’elle exécute tout en parlant. Un geste anodin qu’elle rend magnifique et qui n’est pas autre chose, pour elle, que celui de sa grand-mère puisant autrefois l’eau de source. Dans ses chorégraphies, le mélange d’influences est omniprésent. Musique live, chant, hip-hop et autres street dances, pour traiter de ce qui lui tient à cœur : la mémoire, l’identité, l’histoire. Thèmes que cette addict à la transmission défend dans un phrasé limpide et fort, d’où jaillit la passion.
Dans ces Indes galantes que le metteur en scène Clément Cogitore (également réalisateur du très remarqué documentaire Indes galantes réalisé pour la 3e Scène de l’Opéra national de Paris) lui a confié, Bintou Dembélé a transposé ses combats, à savoir les inégalités, les sources du racisme, la justice sociale, le legs colonial, le rite, le marronnage, adaptant ainsi cet « opéra héroïque » dans la ville et dans la politique. En un mot, dans la modernité.
On saisit mieux alors que le livret de cette œuvre lyrique – qui fait l’apologie des compromis colonialistes, de l’insouciance, de la galanterie, de l’hédonisme, à travers un voyage en Turquie, en Inde, en Amérique du Sud… – lui ait posé quelque problème de déontologie. Problème qu’elle a résolu en choisissant de ne visionner auparavant aucune version de l’opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau.
Travail de contamination
« Avec ces Indes galantes, j’ai fait mes premiers pas dans le genre, explique-t-elle, et surtout sur la scène de l’Opéra-Bastille. » Quelle émotion, quel parcours pour celle qui a commencé par se produire sur les grandes places publiques. Et, surtout, quelle production ! Une armée de choristes, de solistes prestigieux – dont la soprano colorature Sabine Devieilhe – ou encore d’enfants sont présents sur scène… Vingt-neuf danseurs venant du krump – une danse née dans les quartiers pauvres de Los Angeles dans les années 2000, signifiant « éloge du puissant royaume » –, mélangés avec des danseurs de breakdance, de voguing, d’électro, de hip-hop, de waacking…
Autant de mondes parallèles que la chorégraphe a fait se rencontrer en laissant l’improvisation guider les pas dans une énergie communicative, et sans l’ombre d’un court-circuit, « histoire de travailler l’idée de la flamboyance », commente-t-elle. Et tout cela en restant fidèle à ses principes : absence de hiérarchie et de catégorie sociale.
« C’était fantastique de voir comment les danseurs ont réagi, ils étaient comme paralysés la première fois qu’ils ont entendu des voix en live, un monde tellement loin d’eux. Il y eut de la surprise, des frissons, presque du désarroi… » Ce « travail de contamination », comme elle l’appelle, s’opère donc par la transmission, qu’elle voit « comme un rite de passage ». Car, parallèlement à la formation, Bintou Dembélé organise des manifestations culturelles dans des collèges, des lycées, des prisons et des universités, et développe un travail d’aide à la professionnalisation en Guyane.