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À l’heure de l’urgence écologique, le marché mondial des voyages en mer est loin de connaître la crise. Reportage, 2024 - TGL
À l’heure de l’urgence écologique, le marché mondial des voyages en mer est loin de connaître la crise. Reportage, 2024 - TGL
Marine Mimouni

The Good Guide // Getaway

Stigmatisées « troisième âge », les croisières deviennent sexy

Getaway

The Good Guide

Stoppé dans son élan par la crise sanitaire du Covid, le monde de la croisière a repris des couleurs. Navires géants, petites unités intimistes, croisières-expéditions : la gamme s’est considérablement diversifiée, allant du rapport qualité-prix défiant toute concurrence au luxe le plus inouï. La clientèle, stigmatisée « troisième âge », a pris un vrai coup de jeune et les moins‑de‑40 ans, séduits par une offre de divertissement débridée, se sont mis à embarquer. À l’heure de l’urgence écologique, le marché mondial des croisières est loin de connaître la crise. Au contraire, il se frotte les mains.

Pendant la dizaine d’années qu’a duré la prohibition aux États-Unis, de petits malins eurent l’idée d’organiser des « booze cruises », des « croisières de la picole ». Il suffisait de sortir des mers territoriales et de faire des ronds dans l’eau pour que l’alcool coule à flots. À une époque où le paquebot était avant tout le seul moyen de franchir les océans, cette « croisière s’amuse » furet le germe de la navigation-loisir telle qu’on la pratique aujourd’hui.


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Le Ponant, trois‑mâts du croisiériste du même nom, est le tout premier voilier au monde labellisé Relais & Châteaux.
Le Ponant, trois‑mâts du croisiériste du même nom, est le tout premier voilier au monde labellisé Relais & Châteaux. Ponant / Nick Rains

Un peu plus tard, dans les années 50, la concurrence de l’aviation de ligne fut rapidement fatale aux paquebots et il fallut attendre le développement du tourisme de masse pour que les Américains aient l’idée, avec la compagnie Carnival Cruise Line, d’emporter le divertissement en mer. Les bateaux sont alors devenus une destination en eux-mêmes et leur glamour n’a cessé de croître jusqu’en 2019, année record, avec 31,5 millions de passagers embarqués sur tous les océans du monde.

Aujourd’hui, après la longue punition du Covid, la croisière bénéficie – à l’image des autres secteurs du tourisme – de l’effet « revenge travel », cette envie irrépressible de repartir en voyage pour oublier les crises et les conflits (et parfois ses convictions). On s’attend à plus de 40 millions de voyageurs cette année et à une centaine de nouveaux navires mis à l’eau dans le monde dans les cinq ans.

Des records post-Covid pour les croisières

Club Med propose de renouer avec le charme discret des croisières à l’ancienne à bord de son Club Med 2, un voilier 5 mâts, en Méditerranée et dans les Caraïbes.
Club Med propose de renouer avec le charme discret des croisières à l’ancienne à bord de son Club Med 2, un voilier 5 mâts, en Méditerranée et dans les Caraïbes. DR

Même si la France reste un peu à la traîne derrière les autres pays européens (1,2 million de passagers allemands contre 500 000 Français chaque année), la croisière commence à s’amuser pour de vrai.

« Nous avons pulvérisé notre record en 2023 », annonçait Patrick Pourbaix, directeur général de MSC Croisières France, heureux d’avoir enregistré « le plus grand nombre de passagers jamais atteint par une compagnie de croisières dans l’Hexagone » (soit 300 000 clients) et se réjouissant de grignoter des parts de marché sur les clubs de vacances.

Un bateau, aujourd’hui, n’est-il pas un resort qui se déplace ? Exit, d’ailleurs, l’image du croisiériste aux cheveux blancs emmitouflé dans un plaid sur sa chaise longue. Certes, les habitués sont toujours là, mais les millennials commencent à loucher vers ces hôtels flottants all inclusive dont l’offre ne cesse de se diversifier.

Le sauna du Champlain, navire « intimiste » de 131 m de la classe Ponant Explorer, limité à 184 passagers et équipé de 9 Zodiac. En prime, une vue sur mer.
Le sauna du Champlain, navire « intimiste » de 131 m de la classe Ponant Explorer, limité à 184 passagers et équipé de 9 Zodiac. En prime, une vue sur mer. Ponant / Nick Rains

Si les Français sont familiarisés avec les deux leaders Costa et MSC, les mers du globe voient défiler bien d’autres pavillons. Vous avez sans doute entendu parler de la Cunard, de la Royal Caribbean, de la Norwegian ou d’Hurtigruten, mais connaissez-vous des marques de niche comme Celestyal Cruises ou Regent Seven Seas Cruises ?

Certaines de ces compagnies jouent la carte de la gastronomie, invitant à bord des chefs étoilés, d’autres préfèrent l’alibi culturel, les croisières exploration dégainent les Zodiac pour approcher la nature au plus près, tandis que certains font de l’oeil aux familles avec kid clubs, divertissements et consommation à gogo.

Idem pour les prix : entre le mass market, qui permet d’embarquer pour quelques centaines d’euros sur un petit tour en Méditerranée, et le grand luxe proposant d’explorer des terres inconnues en penthouse pour près de 50 000 dollars la semaine, on ne peut pas parler de croisière, mais plutôt de croisières, au pluriel.

Zéro carbone en 2050

La vue sur la mer depuis le Club Med 2.
La vue sur la mer depuis le Club Med 2. DR

Côté mensurations, tout est permis : 126 mètres de long pour le convivial World Explorer de Rivages du Monde, spécialiste des croisières culturelles en mer ou sur fleuves ; 365 mètres et 250 800 tonnes (cinq fois le Titanic) pour l’Icon of the Seas, le dernier fleuron de la Royal Caribbean, actuel plus grand paquebot du monde. Ces géants des flots font le plein de clients, mais suscitent les controverses.

À l’heure de l’urgence le bateau caché à la proue, avec majordome, lounge, restaurant et piscine privés. Le groupe italo-suisse a également lancé sa seconde marque, Explora Journeys. Le numéro un, inauguré à New York fin 2023, inclut le champagne, le high tea et six restaurants, dont un étoilé, dans son forfait.

Trois autres pépites sont attendues d’ici à 2026. Luxe encore et navires à taille humaine chez le français Ponant ou l’américain Seabourn, qui parlent de « voyage en mer » plutôt que de croisière. Ponant, qui est passé de cinq à douze navires en une poignée d’années, a lancé sa gamme Explorer, des bateaux aux allures de gros yachts.

Le Club Med 2, récemment remis au goût du jour dans un esprit French Riviera.
Le Club Med 2, récemment remis au goût du jour dans un esprit French Riviera. DR

Son dernier-né, le Commandant Charcot, un brise-glace hybride, a choisi pour se distinguer de pousser jusqu’aux pôles en n’émettant aucune particule fine – et zéro émission tout court en mode électrique –, en assurant un débarquement sans impact et en récupérant l’énergie de propulsion pour chauffer les bancs du pont-promenade et l’eau des piscines. La vertu incarnée.

Et si l’on allait jusqu’au bout du raisonnement, l’avenir ne serait-il pas dans le retour de la voile ? Le charme discret des croisières à l’ancienne reprend ses droits avec le Club Méditerranée et les cinq mâts de son Club Med 2, récemment remis au goût du jour dans un esprit French Riviera ; Ponant et son racé voilier homonyme récemment refitté à Gênes et désormais labellisé Relais & Châteaux, sans parler de son projet de voilier géant Swap2Zero ; la légendaire compagnie Star Clippers, ou encore Orient Express, qui a annoncé le lancement, en 2026, du Silenseas, plus gros voilier du monde.

Même si certains misent encore sur le gigantisme, la tendance semble à la décroissance. Des navires plus petits, libérés de l’injonction de la vitesse et privilégiant des escales plus longues et la poésie de la flânerie : la slow cruise se profile à l’horizon.


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