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L’ouverture à la concurrence du train est aussi bénéfique pour les voyageurs que pour les opérateurs historiques comme la SNCF. Elle fait baisser le prix du billet et, de fait, rend le train plus attractif, mais elle doit être menée avec réflexion.
18 décembre 2021, gare de Lyon, à Paris. Un train se distingue des autres, par sa couleur d’abord, un rouge étincelant qui contraste avec les TGV généralement gris et bleu de la SNCF, et par ce message qui s’affiche en lettres blanches sur les vitres : « Il piacere di un nuovo viaggio », autrement dit, « le plaisir d’un nouveau voyage ». Plus qu’un nouveau voyage, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Ce train, baptisé Frecciarossa (la flèche rouge, en italien), de Trenitalia, la compagnie publique italienne de chemins de fer, est le premier TGV autorisé à faire concurrence à la SNCF sur la ligne Paris – Milan, via Lyon et Turin.
Depuis ce samedi de décembre, qui marque la fin du monopole de l’opérateur national, les trains Frecciarossa quittent Paris tous les jours à 6 h 35 et à 15 h 18 pendant que deux autres trains partent de Milan à 6 h 25 et à 15 h 53. Ils seront bientôt rejoints par d’autres Frecciarossa qui, eux, feront l’aller-retour entre Lyon et Paris. L’ouverture à la concurrence des marchés ferroviaires européens a démarré au début des années 90.
Les objectifs attendus étaient le développement de l’offre et une baisse des prix pour les voyageurs. Il a fallu plus d’une décennie pour que les États membres se mettent d’accord sur les conditions de cette libéralisation.
L’entrée en vigueur progressive de la concurrence à la SNCF
En France, le fret et le transport de marchandises sont ouverts à la concurrence depuis 2006. Bien qu’en théorie libéralisé en 2020, le transport de passagers ne s’est vraiment ouvert à la concurrence qu’en décembre 2021, en « accès libre ». L’opérateur est alors certifié et agrémenté pour exploiter une ligne, mais ne reçoit pas de subventions, contrairement au mode conventionné, qui attribue une ligne ou un bout de réseau à un exploitant pour une période donnée, le tout défini par une convention.
La concurrence est progressivement entrée en application dans plusieurs pays, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède et en Italie. Dans la dernière édition de son Étude sur l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire de voyageurs, publiée en février dernier, l’Autorité de régulation des transports (ART) confirme que les objectifs initiaux de l’Europe sont aujourd’hui bien atteints :
« L’ouverture du marché, en conduisant à une baisse des prix, à une amélioration de la qualité de service et au développement d’innovations, constitue un levier potentiellement très puissant d’amélioration et de développement du système ferroviaire au bénéfice de ses usagers. (…) Les exemples étrangers montrent que cette dynamisation du transport ferroviaire de voyageurs bénéficie à toutes les parties prenantes, y compris l’opérateur historique. »
Autre confirmation des effets bénéfiques de la libéralisation, le site L’Écho touristique mentionnait, fin février, les premiers résultats observés par Trainline. La plate-forme de réservation ferroviaire a constaté que, depuis l’arrivée de Trenitalia sur le marché français, le prix moyen d’un billet Paris – Milan était de 48 euros, mais, surtout, que les ventes de billets de train sur ce trajet ont progressé de 216 % tous opérateurs confondus. Ces aspects positifs ne doivent pas occulter les leçons à tirer de l’expérience des pays européens qui ont libéralisé leur marché du train plus tôt que la France.
Le revers de la médaille
Précurseur en la matière, puisqu’il a ouvert le secteur en 1994, le Royaume- Uni est récemment revenu sur la libéralisation à tout crin. Le prix des billets n’a cessé d’augmenter et les incidents techniques, voire les accidents dus à un manque de maintenance et à des défaillances matérielles, se sont multipliés de manière inquiétante.
Si le pays continue de confier l’exploitation ferroviaire à des acteurs privés, il les place désormais sous la surveillance d’un organisme public. En Allemagne, Keolis, filiale à 70 % de la SNCF, a cédé la quinzaine de lignes régionales qu’elle exploitait dans le pays, faute de parvenir à les rentabiliser. Venir concurrencer un exploitant sur ses propres lignes est un véritable sport de combat et un engagement financier de haute voltige.
Et ce d’autant plus avec la pandémie de Covid-19 qui a ralenti les voyages et transformé nos modes de déplacement. En effet, si les déplacements de loisirs reprennent, le recours au télétravail affecte durablement les transports régionaux. Dans une étude, le cabinet d’études Xerfi anticipe cependant le redressement du transport ferroviaire et une croissance de 18,5 % du trafic exprimé en voyageurs‑kilomètres.
« Toutefois, le trafic restera encore 5 % sous son niveau de 2019 en moyenne annuelle. L’ancrage du télétravail, le niveau encore dégradé des arrivées de touristes étrangers et des déplacements professionnels seront autant de facteurs qui empêcheront le retour du trafic à ses niveaux pré- pandémie », soulignent les experts de Xerfi.
Des investissements lourds
Le ferroviaire est un moyen de transport lourd, qui nécessite des investissements importants tant pour les infrastructures que pour les matériels roulants. Contrairement à l’avion, aux camions ou aux autocars, le train a besoin d’investissements qui s’inscrivent dans la durée. « Il faut avoir les reins solides et être persévérant pour réussir à s’imposer, affirme François Guénard, associé du cabinet Roland Berger. Pour cette raison, ce sont surtout les opérateurs nationaux qui vont concurrencer les opérateurs des autres pays comme, par exemple, la SNCF en Espagne ou Trenitalia en France. »
En effet, la tâche est plus facile pour un exploitant ferroviaire déjà implanté. Il connaît le métier, il dispose de matériels roulants qu’il sait entretenir et qu’il peut faire agréer pour rouler sur des réseaux étrangers. Enfin, il a une clientèle locale qui le connaît et qui lui assure des trajets aller-retour. Toutefois, d’autres enjeux offrent aujourd’hui aux opérateurs ferroviaires des occasions de se développer, même dans un contexte d’ouverture à la concurrence.
À l’heure où la transition écologique s’impose dans les esprits, le train, bien plus écologique que l’avion, a une carte à jouer. Le retour des trains de nuit et la multiplication des lignes interrégionales font remonter sa cote de popularité auprès du public. Il reste à ajuster les tarifs, ce à quoi la concurrence contribue.
Le train en France, en chiffres et en dates
• 1837 : la première ligne voyageurs est inaugurée, dix ans après la première ligne de chemin de fer destinée au transport de charbon.
• 1938 : création de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), qui fusionne les 5 grandes compagnies ferroviaires existantes.
• 1981 : la SNCF bat le record mondial de très grande vitesse à 380 km/h.
• 28 000 km de voies ferrées sillonnent aujourd’hui le pays, dont 12 500 km de lignes à grande vitesse. Cela fait de la France le 2e réseau ferroviaire en Europe, derrière l’Allemagne. Le réseau atteignait 42 700 km en 1938, soit 1,5 fois sa taille actuelle !
• 5 M de passagers utilisent chaque jour les trains Transilien ou TER.
• 700 000 personnes transitent chaque jour par la gare du Nord, première gare d’Europe et troisième mondiale par sa fréquentation.
• 18 décembre 2021 : premier concurrent du TGV, le train Frecciarossa de la compagnie italienne Trenitalia relie Paris à Milan en grande vitesse, en passant par Lyon et Turin, deux fois par jour.
• 2023 : l’ensemble du réseau ferroviaire français sera ouvert à la concurrence.
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