The Good Business
Président de SNCF Voyageurs depuis janvier 2020, Christophe Fanichet, numéro 2 de la SNCF, s’est imposé comme une personnalité publique incontournable, à un poste où il faut savoir prendre des coups.
Fin gestionnaire, bien au fait des questions technologiques et pragmatique, Christophe Fanichet, numéro 2 de la SNCF, ne cache pas ses ambitions à l’heure où le marché du rail s’ouvre à la concurrence en France : étendre son empreinte en Europe, concurrencer la voiture et imposer le train comme l’alternative écologique ultime.
Un entretien The Good Life sans langue de bois avec Christophe Fanichet, Président de SNCF Voyageurs :
Après la terrible année 2020 et une chute de fréquentation de 30 %, le bilan aura été plus favorable pour la SNCF en 2021, avec une hausse de 23 %…
Comme le reste de la planète, nous avons pris la pandémie de plein fouet. 2020 a été une année pleine d’incertitudes, sous le signe de deux mots pour nous : observation et adaptation. Nous avons fait un travail énorme pour changer notre mode d’organisation avec un objectif chevillé au corps : maintenir la mobilité des Français en étant agile, sachant qu’avant la crise nous assurions 5 millions de voyages par jour (3,5 millions en Ile-de-France, 1 million en régions avec les TER, et 500 000 voyageurs longue distance dans les TGV et Intercités), et qu’au plus fort de l’épidémie seuls 15 % des 15 000 trains quotidiens habituels circulaient en France.
Mais contrairement à beaucoup d’acteurs économiques, nous n’avons pas arrêté l’entreprise. Pas une liaison n’a été interrompue. 2020 a aussi été consacrée à convaincre les Français que le train était un moyen sûr en matière sanitaire. On l’a oublié, mais c’était une question majeure. Nous avons complètement revu notre politique. L’ensemble de nos dispositifs ont été renforcés. Le train a notamment été le premier endroit où le masque a été imposé. Après la chute colossale de fréquentation en 2020, nous avons relevé une envie de train chez les Français, notamment parce que c’est un moyen de transport plus écologique, et qu’à une époque où ils n’anticipaient plus rien il était possible de le prendre à la dernière minute.
On imagine que ce changement soudain de comportements des Français a dû être un sacré défi pour vous…
Effectivement, les comportements ont beaucoup changé pendant la pandémie. Depuis l’été 2021, les Français ont recommencé à se projeter. Nous avons été agréablement surpris, car pendant dix-huit mois, nous faisions des paris sur le nombre de trains qu’il fallait mettre, les gens vivant au rythme des prises de parole des politiques, des confinements, des couvre-feux. Les comportements ont changé de façon pérenne sur plusieurs axes. Sur les trains du quotidien – Transilien et TER –, auparavant, nous parlions d’heures de pointe. Désormais, nous parlons de jours de pointe. Pourquoi ? Parce que le télétravail est rentré dans les mœurs.
Pour vous donner un exemple très concret, le mardi est le jour le plus circulé en Ile-de-France, avec un quart de voyageurs de plus que le vendredi. Cette disparité dans le dispositif n’existait pas avant. Saint-Lazare, qui était une gare très, très fréquentée, d’où partent 1 500 trains quotidiennement, essentiellement vers l’Ouest parisien, a vu ses flux changer, avec des pointes complètement étalées aujourd’hui. En revanche, ce n’est pas le cas de la gare du Nord, où la pointe du matin est restée identique avant, pendant, et en sortie de pandémie, car ce sont des travailleurs « postés ». Si l’on caricature, c’est une gare de cols bleus.
Autre surprise majeure, qui nous a demandé une grosse adaptation : la pointe des trains de longue distance s’est étalée. Elle commence le jeudi après-midi et se termine le lundi soir, alors qu’avant elle s’étalait du vendredi midi au dimanche soir. Là aussi, cela tient au fait que les gens peuvent télétravailler ailleurs que dans leur résidence principale. Et sur 2022, globalement, on est en train de reconquérir le nombre de voyageurs dans le train du quotidien. D’une part, parce que le télétravail se réduit. Mais aussi parce qu’avec un prix de l’essence à 1,70 ou 1,80 euro il est évidemment moins cher de prendre un TER ou un Transilien que sa voiture.
Vos récents changements tarifaires ont-ils été orchestrés en vertu de ces nouveaux comportements ?
Alors, oui ! Sur les trains longue distance, nous avons fait un pari l’an dernier : simplifier les annulations. Au pic de la pandémie, c’était possible jusqu’à la seconde avant le départ. Aujourd’hui, on peut annuler gratuitement jusqu’à trois jours avant. C’est un moyen d’inciter les Français à se projeter en leur disant : « Si vous ne pouvez pas partir, nous vous donnons les conditions vous permettant d’annuler. » Mais l’élément le plus fort, c’est la mise en place de notre carte Avantage. D’abord, nous voulions tuer un canard de l’opinion publique, qui est à la fois juste et faux : l’idée que le train est trop cher. On va être très clair : les Transilien, les TER et les Ouigo ne sont pas trop chers. C’est le TGV qui est estimé trop cher. Pourquoi ? Parce que les leaders d’opinion, dont vous et moi, achetons nos billets à la dernière minute et, forcément, en vertu du principe du yield management, nous payons le prix le plus cher.
Nous avons donc voulu répondre à cette critique en garantissant un prix. Avec cette carte Avantage, en seconde classe, en fonction du temps que vous passez dans notre train, il est plafonné, jusqu’au jour et à l’heure du départ, à 39, 59 ou 79 euros. Depuis, cet objet médiatique qui consistait à dire que le train est trop cher a largement disparu. Un opérateur de mobilité qui garantit un prix plafonné, quels que soient le jour et l’heure, personne ne l’avait fait. Les économistes me posent tous la même question : mais combien ça vous coûte ? C’est vrai, cela nous coûte et fait globalement baisser le panier moyen, mais nous misons sur le volume, et le train étant le moyen de transport le plus écologique, j’ai la conviction qu’une entreprise comme la nôtre ne peut qu’être le promoteur et l’accélérateur de la transition. Et si cela me coûte, c’est moins grave à moi qu’à d’autres. Il faut inciter les Français à basculer et nous nous y retrouverons avec toujours plus de voyageurs à bord.
Retrouvez la suite de l’interview de Christophe Fanichet (SNCF), dans le N°53 de The Good Life, disponible ici.
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