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Ciudad Grupo Santander, un hub financier aux portes de Madrid
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The Good Business

Ciudad Grupo Santander, un hub financier aux portes de Madrid

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En concentrant dans sa banlieue ouest tous les services de la première banque espagnole, qui est aussi l’un des plus beaux fleurons de l’industrie financière latine, l’ancien patron de Banco Santander, Emilio Botín, a offert à Madrid l’un de ses meilleurs arguments pour espérer s’imposer sur la scène internationale.

Contrecoup de la crise financière, la consolidation du système bancaire espagnol a été violente en Espagne. Sur une soixantaine de banques et caisses d’épargne, il en reste à peine une douzaine. Cette concentration a conforté le poids financier de Madrid, où sont implantées les deux plus grosses banques du royaume, BBVA (Banco Bilbao Vizcaya Argentaria) et Banco Santander. De plus, la place bancaire madrilène pourrait aussi profiter de la crise politique en Catalogne. Certes, les deux principaux établissements catalans, La Caixa et Banco Sabadell, ont délocalisé leur siège social respectivement à Valence et à Alicante, mais, selon Juan Carlos Martínez Lázaro, professeur d’économie à l’IE Business School, il s’agit surtout d’actes symboliques : « Ce qui est plus significatif, c’est que Sabadell a choisi Madrid comme siège fiscal, note-t-il. C’est un signal, un premier pas pouvant entraîner les entreprises qui quittent Barcelone. »

L’ambition de Madrid est donc de s’affirmer comme une place forte de la finance.

Après le Brexit, les autorités locales ont d’ailleurs tenté d’attirer en Castille des services financiers de la City. Sans grand succès, pour l’instant. La capitale espagnole est plus tournée vers Mexico ou São Paulo que vers Londres ou Francfort. « Madrid pourrait devenir une alternative européenne à Miami, qui est la véritable capitale financière de l’Amérique latine », estime le journaliste et consultant financier Tom Burns Marañón. Ce sont vers ces pays que les investissements espagnols se sont focalisés pendant les années 90, et que les exportations espagnoles sont allées en priorité pendant la crise. Aujourd’hui, c’est souvent de ce continent que proviennent les capitaux investis à Madrid pour accompagner la croissance espagnole. Banco Santander illustre cette proximité avec les économies latino- américaines. Avec 120 millions de clients de par le monde, pour un chiffre d’affaires de 48,4 milliards d’euros en 2017, le groupe est la première banque d’Espagne.

Prospère après avoir traversé la crise sans y laisser trop de plumes, l’entreprise est l’une des premières capitalisations bancaires de la zone euro, avec environ 90 milliards d’euros. Elle a vu ses bénéfices augmenter de 7 % en 2017, pour atteindre 6,6 milliards d’euros, mais le marché espagnol ne représente plus que 15 % de ses profits. S’ils ont baissé au Royaume-Uni depuis l’annonce du Brexit (16 % contre 20 % en 2016), ils s’améliorent outre-Atlantique, en dépit des soubresauts politiques, économiques et sociaux dans plusieurs pays du continent. Le Brésil, en particulier, représente désormais plus du quart de ses bénéfices (26 %).

L’Edificio Pereda, dessiné par l’architecte irlandais Kevin Roche, comme l’ensemble de la cité financière, accueille l’état‑major du groupe.
L’Edificio Pereda, dessiné par l’architecte irlandais Kevin Roche, comme l’ensemble de la cité financière, accueille l’état‑major du groupe. DR

Par tradition, le siège social est resté à Santander, petit port de la communauté autonome de Cantabrie où un aïeul d’Ana Patricia Botín, l’actuelle présidente de Banco Santander, fonda, en 1857, un négoce de change avec les Amériques, prémices d’un empire financier qui, depuis, a toujours été dirigé par un membre de la famille Botín. Mais le cœur de Banco Santander, son centre opérationnel, bat à Madrid, non pas dans les quartiers d’affaires du centre-ville, mais à une vingtaine de kilomètres de là, dans la Ciudad Grupo Santander.

Un golf, une piscine… et des oliviers

C’est dans cette banlieue de l’ouest de Madrid, à Boadilla del Monte, que la banque a créé, sur 250 hectares, une ville à sa mesure, c’est-à-dire à la démesure des années 2000 en Espagne. Rapportée de ses visites dans les grands campus américains, notamment celui de la First Union, en Caroline du Nord, l’idée d’Emilio Botín, le père d’Ana, poursuivait un souci d’efficacité tout en flattant son sentiment de puissance.

La cité financière du groupe Santander a permis, à son ouverture, en 2004, de rassembler en un même lieu des services centraux jusque-là disséminés dans vingt-cinq bâtiments épars dans Madrid. Ce site atypique, un peu mégalo et nimbé de mystère, car très protégé, est devenu l’unique quartier général et centre névralgique pour les 15 000 bureaux et agences du groupe dans le monde. Environ cinq mille personnes y travaillent, dans huit immeubles élégamment dessinés par l’architecte irlandais Kevin Roche, lauréat du prestigieux prix Pritzker, et disposés autour de l’Edificio Pereda, rond et massif comme un donjon, où siège l’état-major du groupe.

L’endroit est sensible, car toutes les données de l’ensemble des clients y sont stockées, et doublées par précaution, dans deux bunkers semi-enterrés, distants d’un kilomètre l’un de l’autre. Mais la Ciudad Grupo Santander n’est pas qu’un coffre-fort. El Cubo, le gros cube vitré qui sert de bâtiment d’accueil, voit passer près de 15 000 personnes par mois, notamment des stagiaires du monde entier qui se rendent au centre de formation, un équipement pourvu de 28 salles et d’un amphithéâtre de 1 000 places, auquel s’ajoute une résidence hôtelière de 150 chambres.

La taille du site a nécessité l’organisation d’un système de transports interne pour la mobilité des employés, vers les neuf restaurants et les nombreux services qui leur sont offerts : une halte-garderie de 500 places, un centre médical, un gymnase avec piscine couverte, un stade équipé d’un terrain de football et de courts de tennis, un parcours de golf de dix-huit trous, etc. Enfin, 170 œuvres d’art de la Colección Banco Santander, dont des Rubens, des Greco, des Miró, des Picasso, sont accessibles dans une galerie aux proportions muséales.

Les 170 hectares paysagés sont aussi soignés que l’architecture des bâtiments : un million d’arbres et de plantes d’essences diverses ainsi que 25 000 mètres carrés de toits végétalisés marquent l’engagement pour l’environnement de ce domaine dont l’emblème est l’olivier. Cet arbre était l’une des passions d’Emilio Botín : sa collection en recense 1 220, venus de toutes les rives de la Méditerranée, dont 400 sont centenaires et 11 sont millénaires. Celui qui accueille le visiteur à l’entrée de la Cité financière a plus de 1 300 ans, tandis que le doyen, âgé de 1 627 ans, est sorti de terre vers la fin de l’Empire romain d’Occident…

Dans la Sala de arte Santander sont exposées 170 oeuvres de la collection du groupe.
Dans la Sala de arte Santander sont exposées 170 oeuvres de la collection du groupe. DR

A l’instar de ces troncs massifs et tourmentés, surveillés quotidiennement par une escouade de jardiniers, tout ici ramène aux trente années de règne d’Emilio Botín, que le magazine Euromoney avait sacré meilleur banquier du monde en 2008. Depuis sa mort, survenue en 2014, le bureau présidentiel de l’Edificio Pereda est occupé par Ana Patricia Botin-Sanz de Sautuola y O’Shea, l’aînée des six enfants d’Emilio Botín. La plus douée aussi pour la finance, disait ce dernier avec fierté. Ana Botín n’a pourtant pas suivi la trajectoire lisse d’une héritière. Elle a dû faire ses preuves à tous les échelons, dans le groupe et ailleurs. « J’ai commencé tout en bas, personne ne m’a jamais rien donné », précisait-elle au magazine Time en 2004.

Surtout pas son père, qui n’hésita pas à l’écarter brutalement du groupe en 1999 pour des raisons stratégiques. Pour le patriarche, la banque passait avant les sentiments. De son « exil » de quatre ans aux Etats-Unis, où elle fonda des entreprises technologiques, Ana Botín a conservé un esprit start-up qu’elle adapta à son management dès son retour dans le giron familial en 2002, d’abord à la tête de Banesto, une banque espagnole acquise par le groupe en 1993, puis au Royaume-Uni où, en moins de quatre ans, elle a redressé la filiale Santander UK, faisant d’un ensemble hétéroclite d’acquisitions une enseigne forte et respectée.

Une restructuration réussie

Malgré ces succès, le scepticisme régnait dans le milieu quand elle prit la succession. Pourquoi fallait-il confier l’avenir du groupe à une quatrième génération Botín, de surcroît une femme, alors que la famille pèse aujourd’hui moins de 2 % du capital ? Quatre ans plus tard, plus personne ne se pose la question. Chez Forbes, Fortune et dans l’ensemble de la presse spécialisée, cette banquière de 57 ans est célébrée comme la femme la plus puissante de la finance mondiale. Elle a imposé sa personnalité et les chiffres parlent pour elle.

Développé à marche forcée par son père, le groupe Santander a bénéficié de sa diversification internationale pour résister à la crise, mais aussi du trésor de guerre constitué avant l’éclatement de la bulle par la vente massive de ses actifs immobiliers. A l’époque, c’était dans le but de financer toujours plus d’acquisitions. Même la cité financière avait été cédée en 2008 à un fonds britannique pour 1,9 milliard d’euros dans le cadre d’une opération de lease-back d’une durée de quarante ans. Héritant d’un groupe confronté à un nouvel environnement économique et aux mutations technologiques du secteur, Ana Botín n’a pas lésiné sur les mesures d’austérité, à l’image du plan social de 2016 avec 1 100 suppressions d’emplois en Espagne.

Ana Botín, la présidente du Grupo Santander.
Ana Botín, la présidente du Grupo Santander. DR

Mais elle ne s’est pas contentée de serrer les boulons, elle a aussi fixé un cap et, surtout, mis en place une méthode nouvelle. Elle était décidée à faire les choses autrement, car, expliqua-t-elle à ses cadres, « l’important n’est pas seulement ce qu’on fait, mais comment on le fait ». Elle a bouleversé les habitudes de travail de ses équipes, changé les dirigeants, poussé à une quasi-parité hommes-femmes au conseil d’administration avec 35 % de femmes et, surtout, prôné une approche plus éthique du rôle de la banque dans la société. La fin du profit à tout prix ? «Ce n’est pas seulement une stratégie marketing, insiste-t-elle. C’est une réelle transformation culturelle.» CQFD.


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