Culture
Pendant le confinement, ce photographe documentariste et réalisateur anglais nous offre ses clichés d’une Londres déserte et échange avec The Good Life sur son processus créatif.
Chris Dorley Brown se consacre à l’image depuis toujours. Entouré par ses cameras, ses jumelles, ses télescopes et des dispositifs optiques de toute sorte, et influencé par le travail de Bill Brandt, Diane Arbus ou Brian Griffin, ainsi que par les films qu’il regardait avec ses parents et ses grands frères, Chris baigne depuis son enfance dans un univers qui exalte l’image. Plutôt qu’à l’université, c’est sur le terrain qu’il acquiert sa formation et met à point sa technique. D’abord en travaillant dans une imprimerie, puis en tant qu’assistant de Red Saunders, un photographe et artiste politiquement engagé dont il appréciait beaucoup l’œuvre.
Aujourd’hui, le travail de ce photographe documentariste et réalisateur anglais fait le tour du monde, on l’aperçoit ainsi dans les pages du Guardian ou du New York Times. The Good Life a échangé avec lui.
Rencontre (à distance) avec Chris Dorley Brown
The Good Life : L’un de vos premiers souvenirs liés à la photographie ?
Chris Dorley Brown : Occasionnellement, ma mère me laissait prendre une photo avec son appareil. Je garde toujours ces clichés avec moi ; je sais reconnaitre ceux que j’avais pris, ce sont les seuls avec mes parents dans le cadre. À l’époque il fallait insérer le film dans l’appareil quand il y avait très peu de lumière. Cela me fascinait beaucoup, la sensibilité de la pellicule photographique et l’intérieur des caméras avec ces boites noires… C’était comme l’équipement d’un magicien, mystérieux et secret.
The Good Life : Comment présenteriez-vous votre travail à quelqu’un qui ne l’a pas encore aperçu ?
Chris Dorley Brown : Décrire des choses ordinaires mais faire en sorte que l’observateur les trouve intéressantes, parfois troublantes, voici mon défi. J’ai photographié les bâtiments pendant des années mais maintenant je veux « compliquer » le cadre avec une narration sociale. Avec des expositions multiples de passants, je réplique plusieurs moments décisifs et je crée un mouvement dynamique. Au fur et à mesure, mes images sont devenues une étude de personnage dans un contexte choisi soigneusement, certaines sont une allusion à d’autres photographies, films, œuvres littéraires du passé.
Trois jours de post-production
TGL : Comment imaginez-vous vos séries ?
C.D.B. : Je commence par définir la structure d’un environnement chaotique dont j’apprécie la géométrie des rues et des intersections. Je continu avec un repérage du lieu que j’aurai visité plusieurs fois dans la journée pour vérifier la lumière et étudier comment les gens se servent de l’espace. Je ne prend qu’une ou deux photos par jour. Un shooting peut durer environ une heure. Je shoote une cinquantaine de photos dans chaque spot pour finalement en utiliser une trentaine. Entre 18 et 21 pour l’arrière-plan – sans personnages ni véhicules – , puis une dizaine d’images avec des figures humaines et des éventuels objets. Je suis porté par la lumière, le moment de la journée et la vibe qu’un endroit peut dégager. La post-production prendra deux ou trois jours de plus dans mon atelier à Statford. Et si je ne suis pas satisfait du résultat, parfois je ressors pour shooter à nouveau.
« J’espère que tous ceux qui observeront mes images verront Londres sous une différente lumière »
TGL : Votre premier appareil ? Et celui d’aujourd’hui ?
C.D.B. : Mon tout premier appareil était un Nikkormat 35 mm, une version « budget » du Nikon F. Actuellement j’utilise un Nikon D800 avec des objectifs que je garde depuis les années 70. Pendant les 40 dernières années j’ai essayé presque tous les modèles sur le marché, dont des caméras 5×4 plaque. Mais je ne suis plus un fétichiste des caméras ; compte tenu de mon travail actuel, je n’ai pas besoin d’un appareil trop recherché. Utiliser un équipement spécial dans la rue pourrait être une distraction, alors j’en achète en seconde main sur E-bay.
TGL : Votre travail a-t-il évolué pendant le confinement ?
C.D.B. : J’ai remarqué des petits détails concernant la relation entre les objets qui m’avaient échappé avant le confinement. L’absence de personnes m’a permis de me concentrer plus sur la spatialité, sur la manière dont les espaces entre les choses affectent la composition. Ce qui est en train de se passer avec la distanciation sociale est bizarre et effrayant, mais malgré cela je continue à travailler comme avant. J’espère que tous ceux qui observeront mes images verront Londres sous une différente lumière, avec un peu plus de recul par rapport à la frénésie à laquelle nous étions habitués.
Londres… à bicyclette
TGL : Normalement vous shootez des scènes en ville à l’extérieur. Pendant ces journées passées chez vous, avez-vous pris en considération la possibilité de concevoir des séries à l’intérieur ?
C.D.B. : J’ai été occupé à shooter les rues désertes, pour cela je n’ai pas passé beaucoup de temps chez moi. Quelques magazines m’ont commissionné de couvrir tout ce qui est en train de se passer, alors je sillonne la capitale à vélo tout en montrant ma carte de presse à la police… assez souvent !
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