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A Créteil, le destin ambivalent des « Choux » de Gérard Grandval

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La construction du Nouveau Créteil devait structurer la banlieue parisienne, alors en plein boom démographique. Emblématique de la ville-préfecture et de l’architecture des années 1970, le quartier du Palais abrite les fameux « Choux » de Gérard Grandval, dont le destin est marqué par l’ambivalence.

Depuis cette porte d’entrée vers la métropole parisienne, les barres d’immeubles dégagent une impression de monumentalité vaine. Une modernité dépassée, promesse déçue d’un avenir qui ne s’est jamais concrétisé. Bienvenue à Créteil, ville nouvelle de petite couronne bientôt définie par ses « choux », l’une des premières opérations d’aménagement visant à structurer la banlieue. C’était bien entendu avant le Grand Paris Express, avant même le RER et le choc pétrolier. Il y a cinquante ans, une éternité.

L’échec commercial est pourtant un succès esthétique.
L’échec commercial est pourtant un succès esthétique. Jean-Michel Moglia

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Tout en démesure

Jusque-là, cette plaine agricole était l’un des principaux centres de production maraîchère de Paris. Après-guerre, l’Île-de-France connaît un boom démographique sans précédent. Le département de la Seine, trop peuplé et en passe de tomber sous le joug du Parti Communiste, est divisé en plusieurs entités. Créteil devient ainsi préfecture du Val-de-Marne en 1966.

D’importants aménagements visent à en faire « une capitale départementale » : centre culturel, hôpital, université flambant neuve, palais de justice et bien sûr Créteil Soleil, le plus grand centre commercial jamais construit à l’échelle européenne, font de la ville-préfecture un centre de gravité délocalisé. Le général Pierre Billotte, maire de la ville, déclare : « La cité sera le témoin d’une nouvelle condition humaine, une cité d’espérance annonciatrice d’un modèle de cité future ». Dans ce dédale de béton, l’histoire maraîchère a déjà disparu.

L’architecture végétale de Grandval

Immanquables, les « Choux » de Gérard Grandval s’élèvent tels de gigantesques bouquets de dahlias dans le paysage de Créteil. Dix tours circulaires de 14 étages et un immeuble de taille moitié moindre, construits entre 1969 et 1975, façonnés de balcons arrondis. « Ils étaient initialement appelés ‘Épis de maïs’, note Colombine Cassan, chargée de la valorisation du patrimoine à la ville. Leurs balcons, pensés comme des pétales, ont rapidement valu aux bâtiments le surnom de choux, un terme popularisé par les publicitaires. »

Des épis de maïs ou des choux ? C’est selon.
Des épis de maïs ou des choux ? C’est selon. Jean-Michel Moglia

Maître de l’architecture végétale, diplômé des Beaux-Arts, lauréat du prix de Rome et chevalier des Arts et des Lettres, Grandval a 38 ans lorsqu’il conçoit ses Choux. Humaniste, il crée là une œuvre marquante, inscrite dans la tendance des années 1970, marquées par l’avènement d’un design aux courbes souples et aux couleurs pop. « Il est temps de rompre avec une architecture très minérale, brutale dans ses volumes. Il faut créer des formes plus souples », déclare celui qui rêve de voir naître des villes féminines. Dans l’aménagement paysager, tout – de l’école aux parkings – est circulaire, sans angle. Les flux sont séparés, et une grande place est accordée aux piétons et aux cyclistes, ce qui procure un sentiment d’ordre apaisé, de calme et de propreté.

Grandval ambitionnait de créer des tours-jardins. Il souhaitait offrir aux habitants des espaces extérieurs privatifs, des balcons de 2,40 mètres par 7, préfabriqués en usine pour réduire les coûts, qui devaient accueillir des plantes abondantes, telles des jardinières habillant les immeubles au fil des saisons. Une belle idée, néanmoins refusée par le promoteur, qui craignait que cela ne retienne trop d’eau et alourdisse les structures. D’où leur esthétique actuelle, marquée par les coques de béton brut, qui dominent le paysage.

Un échec commercial

Le prolongement du métro a été réalisé en parallèle du développement du quartier. Il était crucial de le relier à Paris. Un premier prolongement de la ligne 8 de Maisons-Alfort à Créteil-L’Échat a lieu en 1973, suivi de deux autres vers Créteil-Université et Créteil-Préfecture l’année suivante. Les Choux sont alors prêts à être commercialisés. La cible : une population de classe moyenne, à qui l’on vante la simplicité de la vie en zone périurbaine, à l’abri de l’agitation, cadre idéal pour les familles nombreuses dont les pères peuvent rejoindre Opéra en 35 minutes, avant de retrouver leur cocon souriant à 2200 francs du mètre carré. Une aubaine. Pourtant, les acquéreurs ne se bousculent pas. L’originalité n’est pas toujours un atout en matière d’investissement immobilier. La principale difficulté des immeubles ronds réside dans le fait que leurs cloisons ne sont pas plates. Les pièces, en forme de part de gâteau, s’élargissant vers les fenêtres et se rétrécissant vers le centre, rendent difficile l’agencement des meubles. C’est un peu atypique, en somme.

Les Choux ont longtemps dérouté les acquéreurs.
Les Choux ont longtemps dérouté les acquéreurs. Jean-Michel Moglia

Alors que le public s’y intéresse peu, les Choux de Créteil connaissent pourtant un succès mondial et réussissent leur pari de rupture avec l’architecture de leur époque. Un cas d’école. « Nous venons de voir l’une des réalisations les plus importantes de France, indiscutablement », déclare en 1974 l’ancien ministre des Affaires culturelles, André Malraux. Plus de trois décennies plus tard, en 2008, le programme reçoit le label « Patrimoine du XXe siècle ».

Aujourd’hui, il ne reste presque plus de propriétaires. Une grande partie des appartements sont des logements sociaux, le quartier étant devenu une zone socialement précaire. Pour favoriser la mixité, la municipalité a réservé 25 % des appartements à des étudiants. Certains habitants sont parfois admiratifs de l’œuvre architecturale. « C’est bien isolé », reconnaît ainsi Camille, étudiante en culture et communication, qui vit en colocation et apprécie la proximité avec la nature. « C’est toujours un plaisir quand je retrouve ce quartier, j’ai de l’affection pour les Choux. Et c’est très familial. » En visitant, on remarque que les balcons sont effectivement spacieux et qu’un sentiment paisible s’en dégage. La vue sur les tours voisines offre une perspective pop singulière, pas désagréable. Urbaine. Différente.

Créteil se veut aujourd’hui un « musée de l’architecture contemporaine » et cherche à valoriser son patrimoine en misant sur un tourisme de niche. « Nous souhaitons montrer comment des architectures récentes sont devenues patrimoniales », explique Cassan. Des visites sont organisées par le département ou parfois directement par les habitants lors des journées du patrimoine. Pour l’heure, cet ensemble reste emblématique d’une certaine banlieue, de ces fameux « quartiers » dont la sociologie a évolué au fil des décennies. Les Choux de Créteil servent de temps à autre de décors pour des tournages de films ou de clips de rap. Opéra est toujours à 35 minutes, via la ligne 8, mais c’est un tout autre monde.


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