Horlogerie
Du prêt-à-porter de luxe au caviar sur-mesure, il y a quelques pas à franchir… Lorsque Delphyne et Christophe Dabezies, avec leur associé Alexandre Guerrier, décident en 2009 de produire du caviar à Madagascar, on les prend pour des fous. Ils sont aujourd’hui à la tête du seul élevage africain où ils ont fait ressurgir deux espèces du fond des âges. Leur caviar produit à la demande a convaincu Armen Petrossian en personne, est plébiscité par les amateurs pour sa fraîcheur et son côté peu salé. The Good Life a voulu en savoir plus. Rencontre avec la co-fondatrice du caviar Rova, Delphyne Dabezies, dans son appartement parisien.
The Good Life. Quelle drôle d’idée que de produire du caviar à Madagascar ?
Delphyne Dabezies. Il faut croire ! Lorsque j’étais conseillère au commerce extérieur sur place, un ambassadeur s’est moqué de moi en public : « vous pourriez aussi élever des saumons dans le désert ! ». Notre force était notre naïveté mais surtout notre envie de bien faire. Comme depuis notre arrivée à Madagascar en 1996 avec Akanjo, entreprise textile qui emploie 2 000 personnes et travaille pour les plus grandes maisons de luxe, fondée avec mon mari Christophe et notre ami et associé Alexandre Guerrier. Nous ne sommes en tout cas pas guidés par le profit, si nous avions su ce que le caviar nous coûterait, nous ne serions d’ailleurs pas allés au bout.
TGL. Comprenez que du caviar dans l’un des pays les plus pauvres du monde(*), cela puisse interpeller…
DD. Madagascar possède la vanille, le poivre, le cacao, les crevettes, pourquoi pas le caviar ? Sur 700 élevages dans le monde, il n’y en a que deux dans l’Hémisphère Sud, en Uruguay et chez nous. Nous souhaitons que l’on parle en bien du pays, que le niveau de vie des Malgaches augmente et qu’ils soient fiers de leur travail. Nous n’avons par ailleurs pas attendu la tendance actuelle pour mettre en place une politique RSE (Responsabilité sociale et environnementale, ndlr), il y a 26 ans déjà. Par le logement, les infrastructures, l’éducation et la formation. Nous continuons avec Rova Caviar. Depuis la création de l’entreprise en 2009, nous avons embauché 300 salariés originaires du village d’Ambatolaona, alors que la pisciculture pourrait fonctionner avec trois fois moins de personnel. Nous avons bâti notre propre ville avec un restaurant, alimenté par un potager bio, une épicerie, un salon de coiffure, une salle de sport. Tous les vendredis, nous offrons à l’association Akamasoa du père Pédro Opeka (**) de la chair d’esturgeon et des têtes pour faire des bouillons. C’est pour cela que nous ne pratiquons pas le « no kill » (prélever les œufs sans tuer l’animal, ndlr), les enfants malgaches et les adultes aussi, ont un besoin vital de manger des protéines.
TGL. Comment se passe l’acclimatation de l’esturgeon en Afrique ?
DD. Nous avons trouvé l’endroit idéal, le lac Mantasoa, où nous passions tous nos week-ends, à deux heures au sud-ouest de la capitale, Antananarivo. Le lac se situe à 1 400 m d’altitude, est alimenté uniquement par les précipitations, avec une eau verte qui a inspiré notre charte graphique -au même titre que la forêt-, et des fonds troubles (l’esturgeon est lucifuge, il fuit la lumière, ndlr) en latérite, une terre rouge qui ne provoque pas le goût de vase reproché à certains caviars.
Nous y avons installé une trentaine de grands bassins de 25 m de diamètre. La température de l’air varie entre 13°C et 23°C, ce qui permet aux poissons de n’avoir pas trop chaud l’été et de ne pas hiberner l’hiver. Cela nous fait gagner deux ans sur la maturité sexuelle qui est de 8 ans pour les espèces les plus précoces. Il faut savoir que, pour obtenir un caviar d’exception, on doit laisser passer trois ou quatre cycles avant de le prélever.
« Armen Petrossian lui-même nous a mis au défi de retrouver le caviar iranien issu d’Acipenser persicus et sa madeleine de Proust, le caviar Shipova tiré d’Acipenser nudiventris (esturgeon à ventre nu), deux espèces en voie d’extinction. Grâce à Mikhail S. Chebanov, directeur de l’Institut de recherche halieutique de Krasnodar, qui nous fournit les œufs, nous sommes les seuls au monde à les avoir. Un élevage de petits dinosaures. » – Delphyne Dabezies
TGL. Quelles variétés d’Acipenser, le nom générique des esturgeons, avez-vous choisi d’élever ?
DD. Contrairement à de nombreux éleveurs, notamment en Chine, nous avons rejeté les espèces hybrides, même si leur caviar est très bon, avec un visuel et une tenue parfaits. Nous avons aussi voulu tout maîtriser, avec notre propre écloserie. Au début, j’ai écrit à toutes les grandes entreprises du secteur. Seule la Maison Petrossian nous a répondu et Nicolas Berhault, leur sélectionneur historique, est venu nous voir, nous donnant de précieux conseils.
Sans eux, nous n’en serions pas là. Armen Petrossian lui-même nous a mis au défi de retrouver le caviar iranien issu d’Acipenser persicus et sa madeleine de Proust, le caviar Shipova tiré d’Acipenser nudiventris (esturgeon à ventre nu), deux espèces en voie d’extinction. Grâce à Mikhail S. Chebanov, directeur de l’Institut de recherche halieutique de Krasnodar, qui nous fournit les œufs, nous sommes les seuls au monde à les avoir. « Un élevage de petits dinosaures », comme nous l’a dit un expert de la CITES (***) venu authentifier notre Acipenser persicus. Armen Petrossian a eu l’exclusivité des premières boîtes de Shipova, il faut attendre encore un peu pour le caviar iranien.
TGL. Quel est l’avenir de Rova Caviar ?
DD. Il faut vingt ans pour faire du caviar et vingt ans pour devenir une marque digne de ce nom. Après un premier kilo en 2017, nous avons produit près de 10 tonnes en 2021, mais nous sommes volontairement limités à un peu plus de 8 tonnes en 2022. Nous visons 20 tonnes en 2026. Nous travaillons en marque blanche pour 50 à 60 % de notre production, notre plus gros client restant la Maison Petrossian. Nous avons une marque festive, Kasnodar Caviar, et notre marque premium, Rova Caviar, sélection du meilleur de chaque espèce, pour les palaces et les chefs étoilés. C’est un bon début !
Propos recueillis par S.M
(*) À la 5e place en 2022 selon le Fonds monétaire international, avec un PIB par habitant de 539 $
(**) Le Père Pédro Opeka chez qui le MOF Guillaume Gomez a inauguré en octobre 2022 son deuxième Institut d’Excellence Culinaire à Madagascar https://www.perepedro-akamasoa.net/
(***) Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction
En savoir plus sur le site de Caviar Rova
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