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Monument du luxe mondialement reconnu, Cartier doit, pour rester au sommet et mieux coller à son époque, revisiter régulièrement les pièces iconiques de son patrimoine. Un procédé devenu, au fil du temps, une forme de signature.
« Joaillier des rois, roi des joailliers », c’est au prince de Galles, futur Edouard VII, que l’on doit cette formule, alors qu’il fait de l’enseigne le fournisseur officiel de la couronne d’Angleterre, au tout début du XXe siècle. En 1847, plus d’un demi-siècle plus tôt, Louis-François Cartier, celui par qui tout a commencé, se lance. Il reprend un atelier de joaillerie à Paris. Cartier naît donc par le bijou.
Cependant, très vite, les premiers modèles apparaissent, sous forme de montres de gousset ou portés en pendentif. La maison de la rue de la Paix se mue alors, véritable précurseur, en horlogerie-joaillerie, ce qu’elle est toujours.
Aujourd’hui, si la part des bijoux reste prédominante, les garde-temps occupent tout de même une place importante, avec plus de 600 000 pièces vendues par an (estimation). Ce poids lourd, désormais propriété du groupe Richemont, représente la moitié de ses ventes et les deux tiers de ses profits (estimations). De ce point de vue, ce monument français du luxe distance largement Montblanc ou Van Cleef & Arpels, deux autres vedettes du groupe.
Une communication adaptée à la clientèle
L’an passé, Cartier a relancé la Panthère, née en 1983, une montre bijou, souple et élégante qui est devenue une icône de la maison. Si la montre n’évolue pas radicalement, en revanche, le joaillier a fait appel à la cinéaste américaine Sofia Coppola, pour la communication. La réalisatrice de Virgin Suicides a imaginé un film très eighties qui met en scène une jeune femme moderne. « En matière de communication, le modèle mondial ne s’applique plus. Nous mettons en place une stratégie globale, suivie par des adaptations qui tiennent compte des réalités locales », modère Arnaud Carrez, directeur marketing de l’enseigne. Ainsi, pour le Moyen-Orient, le film de Sofia Coppola, qui montre une jeune femme conduisant sa voiture, se baignant, allant en boîte de nuit, est apparu un peu trop contemporain et sulfureux. Il n’a pas été diffusé sur place et a été remplacé par une campagne nettement plus traditionnelle. On ne va pas se fâcher avec ses clients !
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Cartier, une féminité revendiquée
Au sein du petit monde horloger, l’enseigne fait montre d’une personnalité et d’une créativité fracassantes. « A nos débuts, nous étions une maison joaillière, rappelle Arnaud Carrez, directeur marketing de Cartier. Cela laisse des traces. » Très vite, l’entreprise se dote, chose rare à l’époque, d’un studio de création qui développe des modèles très originaux et stylés.
Ces débuts expliquent le caractère empreint d’une grande féminité de la griffe parisienne. « Lorsque certains de nos produits, notamment les montres, s’adressent aux hommes, ils véhiculent toujours une masculinité élégante et raffinée, insiste le dirigeant. Nous nous positionnons comme une maison féminine qui fait de l’horlogerie masculine. Ces dernières années, nous avons lancé des modèles plus sportifs, comme la Calibre de la gamme Cartier Diver. Mais ceux-ci restent très habillés et chic. »
La marque semble en effet refuser d’explorer certains territoires apparemment trop éloignés de son esprit. « Nous ne sommes pas positionnés sur la “testostérone pure et dure”, ajoute Arnaud Carrez. Notre enseigne est riche de paradoxes. Elle vit une certaine tension intérieure. Cartier veut aller de l’avant, créer de nouvelles formes, surprendre. Mais en même temps, la marque doit concevoir et développer des objets en adéquation avec son patrimoine très riche et foisonnant. Nous cherchons donc à trouver un équilibre entre ce formidable passé et le présent. »
Un réseau international
« Notre maison est implantée sur tous les grands marchés de la planète de manière équilibrée », se félicite Arnaud Carrez. Ce choix permet à Cartier de moins souffrir frontalement des crises. La marque s’appuie sur un réseau d’environ 300 boutiques, réparties dans plus de 120 pays. L’enseigne gère les marchés avec pragmatisme. Elle renforce sa présence au Moyen-Orient et en Afrique, avec l’Afrique du Sud et le Maroc parmi les territoires les plus en vue sur ce continent. Et si elle a rénové récemment son antenne australienne, c’est que cette destination est désormais ultracourue des touristes chinois, toujours très dépensiers malgré un contexte moins favorable. Pour autant, la griffe n’oublie pas ses territoires historiques. En 2016, elle a fait rénover, agrandir et embellir sa boutique de la 5e Avenue, à New York, qui l’abrite depuis 1917. Et la France, de son côté, est un marché essentiel, surtout en termes d’image. D’où l’installation de la fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris. Enfin, l’enseigne se hâte lentement vers le web. Elle a lancé un premier site d’e-commerce dès 2008, et elle commence à s’ouvrir à des plates-formes pure players, comme Mr Porter…
Depuis fort longtemps, l’enseigne a ainsi pris l’habitude de revisiter ses collections historiques. Cette année, c’est la Santos, qui, chez les hommes, a bénéficié d’un profond lifting ; alors que chez les femmes, c’est la Panthère qui a été relancée. « Nous avons toujours procédé de cette manière. Nos modèles phares sont notre richesse. Ils sont aussi nombreux qu’ils sont iconiques, transgénérationnels et universels », note Arnaud Carrez.
Tank, variation autour d’une légende
La Tank de Cartier, née en 1917, est emblématique de cette politique qui s’attache à revisiter régulièrement les icônes maison. Pour durer, cette montre s’appuie sur ses formes ultragraphiques et dépouillées, inspirées par les chars Renault de la Première Guerre mondiale.
Le dessin épuré de cet objet horloger, pilier des Arts déco, a séduit les esprits libres et les élégants et semble toujours résister au passage des années. En comparaison de cet increvable garde-temps qui compte plus d’un siècle d’existence, les mythes automobiles ne font guère le poids. Ainsi, la Land Rover, née en 1948, ou encore la Porsche 911 de 1963 font figure de « jeunettes ».
Au fil du temps, la famille Tank a accueilli d’innombrables variantes qui ont édifié, petit à petit, un arbre généalogique au ramage fort dense et parfois compliqué à décrypter. En 1922 naît la Louis Cartier rectangulaire. Dix ans plus tard, c’est au tour de la Basculante de faire son apparition, suivie de l’Asymétrique en 1936.
L’ADN de la tradition
« Nous cherchons à bien faire ce que nous savons faire. C’est notre priorité, assène Arnaud Carrez. La montre connectée n’est donc clairement pas notre priorité. Nous sommes aux antipodes de ce type de produits qui intègrent des modules électroniques. » Ces objets, par essence voués à l’obsolescence, n’entrent donc pas dans l’ADN de la maison. « Un produit électronique finit à la casse, cinq ans après sa sortie. Tout l’inverse d’un objet Cartier, qui glisse sur les ans. Nos modèles anciens restent beaux, quel que soit leur âge. Nos montres, notamment, sont étudiées pour être transmises de génération en génération. Il existe une permanence Cartier. »
Plus exotiques, les Tank Chinoise ou Américaine ainsi qu’une Tank Anglaise, nouveauté 2012, enrichissent la gamme. Enfin, la dernière-née, la Tank MC – MC pour « Manufacture Cartier », au boîtier légèrement galbé – a rejoint la dynastie en 2013. Grande nouveauté, elle bénéficie pour la première fois d’un mouvement automatique maison, le calibre 1907 MC, et d’un fond vitré qui permet de mieux l’admirer. Cette année, pour finir, de nouvelles déclinaisons de la Tank Cintrée sont apparues.
Évoluer est donc perçu comme une absolue nécessité pour les ingénieurs et créatifs de la maison Cartier, qui se penchent certainement déjà sur le prochain modèle emblématique à revisiter. Quelle montre aura donc bientôt droit à sa collection modernisée et plus adaptée aux souhaits des clients ?
Dates clés
La maison Cartier est devenue l’une des griffes de luxe les plus importantes du monde. Retour sur plus d’un siècle et demi d’histoire.
• 1847 : Louis-François Cartier s’installe à Paris.
• 1898 : inauguration de la nouvelle boutique au 13, rue de la Paix.
• 1902 : implantation à Londres. Cartier devient le fournisseur officiel de la Couronne britannique.
• 1904 : sortie de la Santos, l’une des premières montres-bracelets de l’histoire.
• 1917 : création de la Tank, dont les formes s’inspirent du blindage des chars Renault de la Première Guerre mondiale.
• 1964 : la famille Cartier passe la main et perd le contrôle de l’entreprise.
• 1973 : apparition de la collection Les Must de Cartier.
• 1983 : lancement de la montre féminine Panthère.
• 1984 : ouverture de la fondation Cartier pour l’art contemporain à Jouy-en-Josas.
• 1994 : déménagement de la fondation au 261, boulevard Raspail, à Paris, dans un bâtiment signé par Jean Nouvel.
• 2001 : inauguration de la manufacture horlogère à La Chaux-de-Fonds, également imaginée par Jean Nouvel.
• 2010 : lancement du calibre 1904 MC, premier mouvement à remontage automatique 100 % Cartier.
• 2017 : nouvelle Santos.
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