Horlogerie
Des œuvres de Niki de Saint Phalle, Ugo Rondinone ou Picasso, version miniature, à porter en bague, collier, broche, ou bracelet... C’est ce que permet le bijou d’artiste, un segment méconnu du marché de l’art qui séduit femmes et hommes et se révèle dans une belle exposition bruxelloise et quelques galeries spécialisées en Europe.
Dans les fastes Art déco de la Villa Empain, à Bruxelles, on découvre la collection de Diane Venet : deux cents mini-sculptures portables imaginées par Picasso, Max Ernst, Niki de Saint Phalle, Orlan, Franck Stella et bien sûr son mari Bernar Venet. Ces œuvres avaient déjà été exposées à Paris, au Musée des Arts décoratifs, en 2018, un an après l’exposition Medusa, bijoux sans tabou du Musée d’art moderne, dont l’affiche exhibait sur fond noir une très érotique broche surréaliste de Salvador Dali, pulpeuses lèvres scintillantes de rubis taillés soulignant deux rangées de perles blanches en guise de dents.
Ces deux événements avaient mis sous le feu des projecteurs ce domaine peu connu. « Pour les artistes, le bijou représente un medium supplémentaire à explorer, une dimension de plus à leur liberté d’expression », résume la commissaire-priseur parisienne Leslie Marson, qui en présente souvent dans les ventes aux enchères qu’elle orchestre avec la maison de ventes Arp Auction.
Artiste et artisan, une collaboration
Le bijou d’artiste est souvent lié à une histoire d’amour. La photographe et peintre Dora Maar, lors d’une de ses disputes légendaires avec Picasso, avait refusé un diamant offert par l’artiste. Picasso dessina alors un minuscule portrait de sa compagne, qu’il sertit dans une bague dénichée aux Puces. Le cadeau fut accepté. Quant à Diane Venet, son destin de collectionneuse de bijoux d’artistes se joua à l’instant où le sculpteur Bernar Venet enroula une baguette d’argent autour de son annulaire pour la demander en mariage.
Aujourd’hui, le bijou d’artiste est un objet rare sur le marché, porté en général par une tribu d’esthètes proches du monde de l’art.
Le plus souvent toutefois, l’artiste ne fabrique pas le bijou lui-même. Ces œuvres miniatures naissent en général d’un compagnonnage avec un maître orfèvre. Le plus mythique d’entre eux, François Hugo, arrière-petit-fils du romancier du XIXe, travailla avec Georges Braque, Pablo Picasso (les boucles d’oreille “Victor” de 1971, ci-dessous, ndlr), Jean Arp, Max Ernst (la broche Poisson de 1959, ci-dessous, ndlr), Dorothea Tanning (image à la une, “Mademoiselle Pieuvre”, 1967, ndlr) ou Jean Cocteau. Son fils, Pierre Hugo, réalisa des bijoux pour Dali, Arman ou César dans les années 1970 et récemment avec la star de l’art contemporain Ugo Rondinone.
Nicolas Hugo, son petit-fils, dirige aujourd’hui l’entreprise. Il a présenté l’an dernier à la galerie Pierre Alain Challier une grande exposition de bijoux d’artistes historiques. Pierre-Alain Challier est l’un des rares marchands parisiens à vendre des bijoux d’artistes, entre autres ceux édités dans les années 1980-1990 par Artcurial, qui n’était pas encore une maison de ventes aux enchères mais une maison d’édition d’œuvres et objets d’art.
En colliers, bracelets et autres broches, les sculptures de Niki de Saint Phalle ou Claude Lalanne s’étaient alors démocratisées, souvent fabriquées par l’orfèvre Patrick de Boisgrollier. Puis l’attrait des artistes pour le bijou s’estompa des années durant. Aujourd’hui, c’est un objet rare sur le marché, porté en général par une tribu d’esthètes proches du monde de l’art.
Réinventer le bijou
« Quand j’ai lancé ma galerie en 2012, c’est parce qu’il n’y avait plus vraiment d’éditeur actif. J’ai voulu combler un manque », raconte Esther de Beaucé. À la tête de la galerie MiniMasterpiece, la fille de Diane Venet a remis la tradition en marche et travaillé avec Patrick de Boisgrollier pour des bagues de Bartelemy Togo et Pierrette Bloch, puis avec Hui-Young Jover, formée par le maître, qui a réalisé cette année des colliers pièces uniques de Joana Vasconcelos. Pour les bijoux cinétiques du sculpteur Takis, c’est l’orfèvre Lisandros Heretis, à Athènes, qui est à l’oeuvre.
En dix ans, la galeriste a édité des artistes aussi différents que Françoise Petrovitch, Julio Le Parc et Carlos Cruz Diez, des designers comme Constance Guisset ou Konstantin Grcic. Ses clients ? « Ils ont entre 30 et 70 ans et achètent souvent un bijou en lien avec les objets de leur quotidien, que ce soit une œuvre d’art ou un canapé. Ils sont surpris de découvrir que l’artiste ou le designer qui les passionne a créé des bijoux. ».
À 90 % ce sont des femmes, mais les amateurs masculins portent, comme elles, leur mini-musée – même les colliers. « Le bijou d’artiste est seyant mais audacieux. Il plait aux esthètes qui veulent consommer autrement et casser les codes. » Un exemple avec les broches du sculpteur allemand Lutz Fritsch, petits cubes en argent émaillés de couleurs qui se portent sur l’épaule, comme autrefois les perroquets des grands aristocrates.
Un marché encore incertain
Si le bijou d’artiste vous tente, la gamme des prix est large, selon la cote de l’artiste, le matériau utilisé et le nombre de pièces éditées. « Les prix ont tendance à augmenter : les gens y sont de plus en plus sensibles. Une broche « Pomme Bouche » de Claude Lalanne -dont la cote, pour ce qui est du design, est aujourd’hui très haute-, qu’on a longtemps vendue 400 euros aux enchères, se dispute jusqu’à 4 000 euros. », remarque Drew Battaglia, experte en bijoux pour les maisons de ventes aux enchères.
Les prix à la galerie MiniMasterpiece s’échelonnent de 200 euros, pour une bague en argent des frères Bouroullec éditée en Allemagne en série importante, à 38 000 euros pour un collier de Joana Vasconcelos, pièce unique en argent et émail de caoutchouc. Le 13 décembre, la maison de ventes ARP Auction a quant à elle adjugé 2 900 euros une broche oiseau en or de Georges Braque éditée à 8 exemplaires et en février 2022, 7 930 euros un collier serpent en or et rubis, épreuve d’artiste de Philippe Hiquily.
Lors d’une vente entièrement dédiée au bijou d’artiste chez Sotheby’s à New York en octobre dernier, un pendentif « Compression » de bijoux d’or et pierres précieuses, pièce unique voulue par l’artiste César et l’orfèvre Gérard Blandin, dépassait largement son estimation haute en décrochant une enchère de 47 880 euros frais compris. « Si vous êtes jeune collectionneur, mieux vaut rechercher les bijoux d’artistes dans le flot de l’Hôtel des ventes, à Drouot, où ils se nichent discrètement dans les ventes aux enchères de bijoux ou de design, que dans de grandes maisons de ventes internationales, tournées vers le monde du luxe », conseille Drew Battaglia. « Lorsqu’un bijou vous plaît, lancez-vous s’il s’agit d’une pièce rare mais ne réfléchissez pas en termes de plus-value. Le marché est trop incertain et toute tendance spéculative sur ce petit segment risque d’entraver la liberté de création des artistes », conclut l’experte. L’histoire du bijou au XXIe siècle serait-elle en marche ?
Une exposition : Ornamentum, Bijoux d’artistes, collection Diane Venet,
à la Fondation Boghossian,
Villa Empain, Bruxelles, jusqu’au 14 mai.
Quelques galeries.
À Paris :
Galerie MiniMasterpiece,
16, rue des Saint Pères,
75007 Paris
Galerie Pierre-Alain Challier,
8, rue Debeylleme,
75003 Paris
La Galerie Parisienne
26, rue de Seine,
75006 Paris
Galerie Hécate, sur rendez-vous.
À Londres :
Galerie Louisa Guiness, sur rendez-vous.
En Allemagne :
Galerie Diana Küppers,
Bussardweg 15,
45478 Mülheim an der Ruhr
…Et aussi en vente aux enchères, comme à l’Hôtel Drouot.
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