Horlogerie
Rigoureux sans être ennuyeux, empruntant parfois au surréalisme sa liberté de ton et son humour irrévérencieux, le design belge est aussi multiple que décomplexé. The Good Life a mené l’enquête au plat pays.
Carrefour de l’Europe, tant d’un point de vue géographique que culturel, la Belgique est écartelée, mais également dynamisée, par sa « pratique » quotidienne de la cohabitation entre Wallons et Flamands. Paradoxe rafraîchissant : si Bruxelles ne peut aujourd’hui se soustraire à son karma de ville européenne chargée d’unifier les réglementations des différents pays de l’Union, le design belge ne peut, lui, absolument pas se glisser dans une définition formatée. Comment dès lors l’aborder ? A travers le prisme de la diversité et de l’attitude, assurément, et non pas du seul style. On retrouve néanmoins quelques fondamentaux, comme la précision du trait qui fédère aussi bien l’Art déco et le modernisme fifties, que la simplicité quasi ludique de Sylvain Willenz ou la sobriété fonctionnelle d’Alain Berteau et de Marina Bautier. Sans oublier, bien entendu, la pureté minimaliste du regretté Maarten Van Severen.
La galaxie Van Severen…
Il y a des familles où la créativité doit se lover au cœur des gènes. Dites par exemple « Van Severen » et un feu d’artifice de prénoms va fuser. A tout seigneur, tout honneur : Maarten Van Severen (1956-2005), tout d’abord. Fils du peintre abstrait Dan Van Severen, cet architecte qui n’a jamais passé son diplôme – ce qui ne l’a pas empêché de collaborer avec Rem Koolhaas – figure au panthéon du design belge avec ses créations pures et minimalistes. On lui doit l’iconique chaise .03, éditée par Vitra – un best-seller – puisque Rolf Fehlbaum a su repérer très tôt cet immense talent. On lui doit aussi la A-Table (Vitra) et la Leather Lounge Chair LL04 (Pastoe). Une sensibilité artistique qui innerve également le travail de son architecte et designer de frère, Fabiaan, de son neveu Mattia – styliste – et de ses quatre fils, comme le raconte le magnifique documentaire de Moon Blaisse présenté l’an dernier à la Triennale de Milan : Maarten Van Severen: Addicted to Every Possibility. L’aîné de la fratrie, David, est en effet architecte et designer. Le cadet, Hannes, sculpteur de formation, compose avec sa compagne, la photographe Fien Muller, le duo Muller Van Severen, dont la première collection de meubles a été immédiatement retenue par le Design Museum de Londres. Les deux plus jeunes, Boris, musicien, et Flor, futur acteur peut-être, portent aussi l’empreinte de cet héritage créatif. De quoi faire résonner longtemps encore la phrase de Maarten Van Severen avec laquelle s’ouvre le film : « Le design commence avec la mémoire. »
Autre caractéristique ? Quelle que soit leur notoriété, les designers belges se reconnaissent à leur comportement non prétentieux et très simple. Il y a bien sûr des exceptions – elles confirment la règle –, mais force est de reconnaître qu’ils n’ont généralement pas les chevilles aussi enflées que leurs alter ego latins, ou l’art du conceptualisme élitiste de leurs voisins néerlandais. Or le made in Belgium se porte plutôt bien, si l’on en croit la récente exposition The Power of Object(s) : Design Bestsellers in Belgium organisée par le MAD (Mode and Design Center), en partenariat avec ING Belgique. Wallons ou flamands, peu importe, la plupart des marques et des éditeurs belges sont des entreprises à taille humaine, ou de petites sociétés fondées par de jeunes quadras pragmatiques. Et le design avant‐gardiste a droit de cité, aussi bien dans les galeries très pointues d’Anvers, de Gand ou de Bruxelles, qu’au sein même de la biennale Intérieur de Courtrai. Le marché industriel belge est aujourd’hui tiré par deux secteurs principaux : le mobilier de bureau et l’outdoor. Le premier surfe sur la culture d’aménagement de sièges sociaux et autres institutions.
Une culture héritée, si l’on en croit Jean‐Baptiste Moutte – un passionné de design vintage ; après Marseille, il vient d’ouvrir une boutique à Bruxelles –, « du modèle du design américain qui s’est exporté vers la capitale belge au moment du déménagement du siège de l’Otan, en 1966 ». Le second secteur vient renforcer l’idée que la Belgique, à l’instar des pays scandinaves, a su développer une créativité appliquée au mobilier outdoor qui semble inversement proportionnelle au taux d’ensoleillement annuel. De la même manière, c’est en Europe du Nord que l’on vend le plus de cabriolets !