×
Entre la conception de bateaux « volants », en Bretagne, et l’atelier Hermès, aux abords de Paris, Axel de Beaufort poursuit ses rêves de gamin tout en donnant vie à ceux de ses contemporains. Voyage dans l’imaginaire d’un ingénieur virtuose, 2025 - TGL
Entre la conception de bateaux « volants », en Bretagne, et l’atelier Hermès, aux abords de Paris, Axel de Beaufort poursuit ses rêves de gamin tout en donnant vie à ceux de ses contemporains. Voyage dans l’imaginaire d’un ingénieur virtuose, 2025 - TGL
Julien Oppenheim

The Good Business // Profiles

Axel de Beaufort, l’homme-orchestre des Ateliers Horizons Hermès

  • Profiles>
  • The Good Business>

Entre la conception de bateaux « volants », en Bretagne, et l’atelier Hermès, aux abords de Paris, cet architecte naval poursuit ses rêves de gamin tout en donnant vie à ceux de ses contemporains. Voyage dans l’imaginaire d’un ingénieur virtuose.

Visiblement on a affaire à un homme heureux. Remarquez, on le serait à moins. Allure de beau gosse chic et cool, Axel de Beaufort est architecte naval à succès. Installé avec son partenaire et leurs salariés en Bretagne, il y conçoit des « bateaux qui volent », comme il le dit lui-même en s’en émerveillant.


À lire aussi : L’odyssée spectaculaire du bateau-musée Art Explora


Le Petit Prince du design

« J’adore dessiner des bateaux, je sais faire, c’est ma passion, glisse-t-il. Je fais du surf, du nautisme, j’ai traversé plusieurs fois l’Atlantique. Au début, je ne me rendais pas compte du niveau de complexité que cela impliquait d’être architecte naval. J’ai réalisé mon premier bateau à l’âge de 25 ans, j’étais celui qui allait chercher le plus loin possible en ingénierie. Puis j’ai compris que quand on sait concevoir un bateau, on peut aborder bien des projets avec sérénité », assène Axel de Beaufort.

Portrait d’Axel de Beaufort.
Portrait d’Axel de Beaufort. Julien Oppenheim

Axel de Beaufort, né à Paris en 1977, est diplômé de l’université de Southampton, en design et en architecture navale. Il a reçu le prix Yacht of the Year, décerné par le Royal Ocean Racing Club de Londres, en 2005, et le Milano Nautical Design Award en 2012.

Une moitié de la semaine, il est donc en Bretagne, à imaginer de nouveaux bateaux. L’autre moitié, il la passe en déplacement à l’étranger ou à Pantin (Seine-Saint-Denis), à quelques encablures du nord de Paris, où se situe le siège de la maison Hermès.

C’est avec Axel de Beaufort que nous visitons l’atelier, véritable royaume du sur-mesure composé d’une équipe d’artisans, d’ingénieurs et de designers passionnés.
C’est avec Axel de Beaufort que nous visitons l’atelier, véritable royaume du sur-mesure composé d’une équipe d’artisans, d’ingénieurs et de designers passionnés. Julien Oppenheim

Son lieu de travail ne se trouve pas dans la manufacture, mais non loin de là, bien caché dans une petite rue. Ici se dissimule un atelier unique au monde, où il officie depuis 2013 en tant que directeur de création, un an seulement après son entrée dans la maison comme consultant pour les projets spéciaux.

Nous voici au cœur d’Ateliers Horizons, le studio de sur-mesure d’Hermès. Un immense hangar mesurant entre 800 et 1000 m². Au rez-de-chaussée, une succession de postes de travail occupés par une petite armée d’artisans qui œuvrent, assis ou debout, dans un silence monacal.

Ici se dissimule un atelier unique au monde, où il officie depuis 2013 en tant que directeur de création, un an seulement après son entrée dans la maison comme consultant pour les projets spéciaux.
Ici se dissimule un atelier unique au monde, où il officie depuis 2013 en tant que directeur de création, un an seulement après son entrée dans la maison comme consultant pour les projets spéciaux. Julien Oppenheim

À l’étage, en mezzanine, son bureau d’études qu’il ne nous permettra pas de visiter. « On a tout sur place, détaille-t-il, tout au même endroit, de la création à la réalisation. » Tout ce qui se trouve ici relève du secret le mieux gardé du monde. Rien ne sort, ni les prix des objets conçus, ni les noms de leurs futurs propriétaires, pas plus que les identités des artisans associés à Hermès pour la réalisation des créations. Arpenter les couloirs et les lieux se fait accompagné d’un petit groupe d’attachés de presse qui ne vous quittent pas du regard et disent quoi photographier, quoi ne pas regarder.

Dans le royaume du sur-mesure

Nous sommes dans un lieu qui n’a pas son pareil. Ici sont conçus des objets uniques, qui n’existent pas en boutique, ou presque pas. Parmi les très rares exceptions, un casque audio d’une qualité sensationnelle, armature cuir Hermès, entièrement fait à la main, qui sera vendu prochainement dans la plupart des 300 boutiques à travers le monde.

Le casque audio armature cuir Hermès, bientôt vendu dans les boutiques.
Le casque audio armature cuir Hermès, bientôt vendu dans les boutiques. Julien Oppenheim

Son prix ? « Sur demande. » Pour le reste, ce qui est imaginé, dessiné, conçu ici relève de commandes individuelles de personnes qui, à travers le monde, souhaitent acquérir, ou offrir, un objet bien particulier sorti tout droit de leur imagination et de leurs désirs.

C’est avec Axel de Beaufort que nous visitons l’atelier, véritable royaume du sur-mesure composé d’une équipe d’artisans, d’ingénieurs et de designers passionnés. Près de l’entrée, des étagères immenses, hautes jusqu’au plafond, comme des bibliothèques qui ne contiennent pas de livres mais des chutes, des rouleaux de cuir précieux et quelques mystérieux cartons, à coup sûr des projets en cours.

Fan de glisse, Axel de Beaufort est à l’origine de ces rollers équipés d’un système de fixations innovant.
Fan de glisse, Axel de Beaufort est à l’origine de ces rollers équipés d’un système de fixations innovant. Julien Oppenheim

Tout est numéroté, classé, nommé discrètement : 6F, 6C, Malles Milan, Bugatti Mistral, « Mon rêve ». Axel de Beaufort nous fait pénétrer dans l’antre d’Ateliers Horizons, puis dans le showroom. Avec lui, nous nous arrêtons sur certaines des créations. Un inventaire à la Prévert.

Ici, deux paires de skis, conçues avec l’aide d’artisans installés dans le Vercors. Là, un canoë pour la pêche à la mouche en Écosse, et même la boîte dans laquelle seront stockés les poissons attrapés et les mouches pour les attirer. « Le bois du canoë est du Yellow Cedar, explique-t-il. Il a fallu développer un cuir 100 % étanche. Ce fut un travail ! »

Une des planches de surf nées au sein des ateliers du sur-mesure.
Une des planches de surf nées au sein des ateliers du sur-mesure. Julien Oppenheim

Ici, un paddle, une sublime planche de surf Kawa Ora, sur laquelle est reproduit le dessin de l’artiste tatoueur maori Te Rangitu Netana. Une authentique malle de docteur, des gants de boxe, une boule à facettes disco, une planche à voile, des combinaisons de plongée, un skateboard, une cage à oiseaux ou encore un sac pour transporter un tambour indien, un cerf-volant.

Et une balle de cricket que deux filles ont voulu offrir à leur père. « Il a fallu deux ans de travail pour la concevoir », s’amuse-t-il. Une immense star de la musique anglaise, toujours vivante et dont il faut taire le nom par souci de confidentialité (il n’a fait partie ni des Beatles ni des Rolling Stones, mais fut proche d’eux…), y a fait réaliser un de ses étuis à guitare.

Combien de projets par an ? « Des centaines », répond-il. De toutes les tailles : ici, un petit sac rond en cuir vert en forme de pomme. En réalité, une housse pour transporter un seul fruit, qu’un Italien a offert à un ami.

Parmi les dernières créations, une table de mixage en cuir Hermès, conçue avec des ingénieurs du son extérieurs à la maison.
Parmi les dernières créations, une table de mixage en cuir Hermès, conçue avec des ingénieurs du son extérieurs à la maison. Julien Oppenheim

Détail : « Nous avons conçu un système pour que le fruit ne s’oxyde pas et ajouté un petit couteau, dans un mini-étui caché dans la bandoulière. » Dans l’atelier, les artisans terminent plusieurs petites malles, sublimes de finesse et d’élégance : une à whisky, d’autres à vins, cigares ou montres.

Certaines possèdent même une enceinte incorporée. D’autres réalisations sont bien plus conséquentes : Axel de Beaufort et ses équipes ont entièrement repensé les intérieurs d’avions, de voitures (ici, une Bentley ; là, une McLaren Speedtail ou une Porsche 911 Singer).

« Le plus fou ? » lui demande-t-on. « Ils le sont tous ! » On insiste. « Peut-être ce rickshaw qu’une cliente japonaise nous a demandé d’imaginer pour elle. » Et ce n’est pas fini. On tombe sur un vélo, entièrement construit en bois et en cuir, d’une solidité et d’une légèreté folles. « C’est une prouesse technologique incroyable », assure-t-il.

Les personnages du baby-foot ont été fondus près de Lyon.
Les personnages du baby-foot ont été fondus près de Lyon. Julien Oppenheim

Dans l’atelier, trois autres merveilles : un juke-box à vinyles, conçu avec des fabricants anglais ; une platine pour mixer, sur laquelle le logo est à peine visible, une merveille de technologie ; un baby-foot dont les petits bonshommes ont été conçus dans une fonderie près de Lyon et peints à la main. Les poignées sont évidemment en cuir Hermès.

Au défi des rêves

On se demande si l’on n’exauce pas ici les caprices, les gadgets sortis tout droit de l’esprit de personnes très fortunées. À quoi bon posséder un étui à pomme Hermès ? Axel de Beaufort ne se pose pas la question : « On apporte de l’élégance, de la poésie, de l’oxygène. Ce n’est pas une folie des grandeurs de la part de nos clients. C’est une envie de leur part d’avoir un projet spécifique réalisé ensemble. »

Portrait d’Axel de Beaufort.
Portrait d’Axel de Beaufort. Julien Oppenheim

Il l’assure : Hermès n’a pas affaire à des clients qui donnent des ordres, passent des commandes autoritaires, lancent des : « Je veux ça comme ça ! » Non. « On est dans un dialogue, une discussion », reprend-il.

Un défi, parfois ? « Oui, bien sûr. Vous ne verrez jamais un objet réalisé dans nos ateliers qui ne soit en accord avec nos valeurs : esthétique, fonctionnalité, durabilité. Il n’y a pas vraiment de limite, si ce n’est la faisabilité par nos artisans. »

L’idée n’est pas de répliquer mais d’explorer de nouveaux territoires. Et si l’équipe se rend compte que les coûts risquent d’être vraiment très élevés, elle peut proposer de repenser le projet. Car Hermès l’assure : Ateliers Horizons est le lieu de conception et de naissance d’objets qui n’existent pas, « d’idées soudain apparues en pleine nuit et à laquelle il faut absolument donner corps ».

Une enceinte portative conçue par Ateliers Horizons.
Une enceinte portative conçue par Ateliers Horizons. Julien Oppenheim

Axel de Beaufort fait partie de ces hommes et de ces femmes privilégiés qui jamais, assure-t-il, ne s’ennuient au travail. « Les requêtes sont très variées, on s’amuse beaucoup. On travaille parfois avec des experts externes à la maison, mais qui nous ressemblent, avec qui nous racontons des histoires. »

Parfois, cet homme tourné vers l’avenir se retourne sur son passé. Sur sa jeunesse privilégiée mais qui ne fut pas toujours rose, l’adolescent ne trouvant pas facilement sa place dans le système éducatif traditionnel. Mais déjà, il aimait par-dessus tout dessiner des bateaux.

Et il y avait ce grand-oncle adoré, François de Lamothe, un des plus éminents décorateurs de films du cinéma français des années 1960 et 1970, qui travailla avec Claude Lelouch, Roger Vadim, Édouard Molinaro, Philippe de Broca, Henri Verneuil… Quand les décors du film Le Samouraï, de Jean-Pierre Melville, avec Alain Delon, partirent en fumée, de Lamothe les reconstruisit en deux semaines.

Dans l’atelier, au rez-de-chaussée, une succession de postes de travail occupés par une petite armée d’artisans qui œuvrent, assis ou debout, dans un silence monacal.
Dans l’atelier, au rez-de-chaussée, une succession de postes de travail occupés par une petite armée d’artisans qui œuvrent, assis ou debout, dans un silence monacal. Julien Oppenheim

« Mon oncle m’a ouvert bien des portes, se souvient-il. J’avais 17 ans, j’étais un peu perdu, mais je savais faire une chose, dessiner, et mon oncle m’a poussé dans cette voie. Et, comme lui, j’essaie aujourd’hui d’exercer mon métier en gardant un regard très artistique, chic, joyeux et malicieux. Je me suis aperçu que mon oncle était vieux uniquement quand il est mort. »

Avant de le quitter, on demande à Axel de Beaufort quel est son rêve ultime. La réponse tombe sous le sens : « Concevoir les décors d’un film ! C’est ça mon rêve ultime ! »


À lire aussi : Bateaux ventouses, qui a oublié son yacht dans le port ?

Voir plus d’articles sur le sujet
Continuer la lecture