The Good Business
Alfa Romeo, Fiat 124 Spider Abarth, Ferrari, Lancia, Lamborghini, Maserati… Au pays de la bella macchina, ce mensuel est, depuis sa création en 1956, « la » référence. Un nom générique. En 1962, dans le film de Dino Risi Il Sorpasso (Le Fanfaron), Vittorio Gassman explique ainsi au jeune Jean-Louis Trintignant l’art de « bien tenir son volant ainsi que le conseille la revue Quattroruote » !
« La crédibilité de notre marque fait partie de notre ADN, mais nous vendons aussi du rêve », explique Gian Luca Pellegrini, élégant et bronzé quinquagénaire, campé dans son fauteuil directorial jaune et noir, réplique d’un siège de voiture de course. Son bureau lumineux, ouvrant sur l’open space de la rédaction du groupe de presse Quattroruote où travaillent une trentaine de journalistes, est évidemment décoré de photos de bolides, de dessins de moteurs et de trophées.
Pour illustrer la passion et la fidélité de ses lecteurs, il précise que la fréquentation du site web de Quattroruote, où l’on peut aussi consulter la cote du neuf et de l’occasion, a atteint des niveaux record pendant toute la période de… l’épidémie de Covid-19.
« Confinés, les Italiens ne pouvaient ni conduire, ni acheter une nouvelle voiture, ni revendre la leur, mais ils continuaient à rêver. » Et d’ajouter en riant : « De toute façon, pour juger de cette passion automobile nationale, il suffit de voir mes compatriotes, même s’ils sont au volant d’une petite Fiat 500, piloter dans les rues comme s’ils étaient sur un circuit de Formule 1 ! »
Reprenant un ton plus sérieux et presque solennel, Gian Luca, membre du jury italien de la voiture de l’année et qui dirige douze magazines sur « tout ce qui roule » – des nouveautés aux modèles vintage en passant par les numéros spéciaux pour les inconditionnels d’une marque ou ceux consacrés aux deux-roues – précise que la cote automobile établie par son journal sert de référence au ministère italien de l’Economie pour établir l’indice du coût de la vie.
Car à Quattroruote, on ne plaisante pas avec les chiffres et les diagnostics.
Une centaine d’ingénieurs et de journalistes essaient les nouveaux véhicules sur piste ou analysent en laboratoire les moteurs et les équipements. Tout récemment, le groupe a investi un million d’euros dans une machine sophistiquée pour tester des freins automatiques. Le superbe circuit d’essais privé – le plus grand du genre en Europe – dont dispose le groupe est à l’image de cette exigence : des virages mais aussi 2,2 kilomètres de ligne droite que Sophia, actuelle actionnaire principale de la troisième génération de l’entreprise familiale, utilise parfois comme piste de décollage pour son jet !
Bien sûr, une piste spéciale pleine de bosses et d’ornières permet aussi de torturer les véhicules tout-terrain… C’est en 1929 que Gianni Mazzochi fonde, à Milan, Editoriale Domus, dont émaneront de nombreux titres et, en 1949, l’actuel empire de la presse auto de la péninsule. « Notre père a disparu voilà dix ans en nous laissant un inestimable héritage de valeurs intellectuelles qui ne nous appartient pas seulement à nous ses descendants, mais qui constitue le patrimoine de tout un chacun », écrivent, à l’automne 1994, en préface d’un livre hommage, Maria et Giovanna Mazzochi.
Il a lancé notamment les magazines Panorama, l’Europeo, le quotidien Il Mondo ou encore la revue Domus, publiée en version anglaise et italienne – toujours une référence, depuis les années 1920, pour les architectes et les designers.
Une indépendance gage de confiance
Au début des années 50, Gianni Mazzochi constate que les Italiens commencent à abandonner leur sacro-sainte Vespa pour la Fiat 500. Ainsi, en février 1956, Quattroruotte voit le jour, qui surfera avec bonheur sur la passion grandissante pour les 4-roues de ce pays où circulent encore plus de 300 modèles de voitures différents. Une success-story médiatique qui se traduira par des ventes papier atteignant quelque 900 000 exemplaires et se poursuit aujourd’hui, grâce au numérique, avec une audience de 11 millions de lecteurs et visiteurs, ce qui constitue, pour les publications Quattroruote à elles seules, un niveau que n’atteignent pas tous les titres de la presse automobile américaine réunis.
Les ventes papier font toujours bonne figure, totalisant près de 400 000 exemplaires en comptant la quinzaine d’éditions nationales de Quattroruote dans le monde (Inde et Brésil, notamment). Autre atout pour la diffusion : nombre de lecteurs italiens, résolument accros, achètent deux exemplaires de chaque édition, l’un pour le lire immédiatement et l’autre pour le garder en collection !
Et ces mêmes lecteurs passionnés réagissent au quart de tour si, par malheur, dans les illustrations de la une du magazine, ils estiment que le modèle de leur marque préférée n’est pas assez mis en valeur par rapport aux autres véhicules concurrents présentés…
Si Quattroruote est devenu la bible des dévots de la bella macchina, c’est d’abord, comme le rappelle volontiers son directeur, pour « son sérieux et la confiance qu’elle leur inspire ».
Une confiance qu’elle doit à l’indépendance que lui confère un actionnariat familial n’ayant aucun compte à rendre aux banques et même aux grands de l’industrie automobile. Ainsi la rédaction s’arroge-t-elle le droit de corriger les publicités qu’elle reçoit à la sortie d’un nouveau véhicule si les arguments avancés dans celles-ci sont en contradiction avec les essais et diagnostics effectués par la rédaction du magazine !
Il reste qu’en ces temps si difficiles pour la presse mondiale confrontée à une crise de mutation sans précédent, la publicité de Quattroruote représente aujourd’hui 70 % des recettes. Mais Gian Luca assure que l’objectif est de revenir au plus vite à la « règle d’or » des 50 % de recettes pour la vente du magazine et 50 % pour la publicité.
« Construire la route du futur »
D’où le défi de trouver un nouveau business-modèle. « On doit construire la route du futur », insiste Gian Luca. Des tests par mailing sont ainsi en cours auprès de 600 000 visiteurs du site – pour le moment gratuit – afin de mieux connaître leur profil et leurs attentes. Mais le groupe de presse automobile est déjà très présent sur les réseaux sociaux, ses followers ayant récemment quadruplé. La diversification des activités est aussi la clé de l’avenir et du développement.
D’ores et déjà, Quattroruote dispose d’une émission de télévision, « Drive Up », diffusée le samedi après-midi. Une émission résolument grand public destinée, selon ses concepteurs, « à des gens normaux, des jeunes, des femmes notamment, bref, à ceux qui ne comprennent rien à la technique et n’ont jamais soulevé le capot du moteur ».
Autre aspect de la diversification : Quattroruote Professional mobilise 120 collaborateurs qui vendent leurs services et leurs compétences au secteur automobile. Ils réalisent des fiches techniques permettant, par exemple, à un garagiste ou même à un mécano amateur de savoir le temps exact qu’il lui faudra pour changer telle pièce du moteur de tel modèle d’occasion et le prix final que cela coûtera.
Enfin, citons la Quattroruote Academy et son master de journaliste automobile et de test driver auquel s’inscrivent les jeunes qui rêvent de faire ce métier tellement prisé en Italie. La « route du futur » évoquée par Gian Luca n’est pourtant pas si facile à tracer. Surtout à l’heure où se resserrent les normes environnementales et où se profilent les voitures électriques ou hybrides.
« Les jeunes n’achètent plus de voiture, ils se contentent d’acquérir de la mobilité », constate en soupirant un cadre de chez Fiat. Mais tout cela n’empêchera probablement jamais les Italiens de continuer à rêver de bella macchina…
Données clés
• Actionnaire : groupe familial Editoriale Domus fondé en 1929 et publiant notamment les titres : Quattroruote, Ruoteclassiche, Youngtimer, AutoItaliana, Dueruote, XOffRoad, Tuttotrasporti, Domus, Meridiani, Cammini, Il Cucchiaio d’Argento, Quattroruote Professional, Dueruote Professional, Quattroruote Fleet&Business, Autopro…
• Périodicité : Mensuel.
• Tirage moyen : 297 740 exemplaires.
• Audience cumulée print et web de Quattroruote : 11 millions de personnes chaque mois.
• Age du lectorat : une majorité de plus de 40 ans, seulement 31 % ont entre 18 et 34 ans.
• Web : 6 millions de visiteurs uniques par mois.
• Pages vues : 64,7 millions par mois.
• Une quinzaine d’éditions dans différentes langues dans le monde.
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